Qu’il s’agisse de réparer les gouttières ouvertes ou d’éduquer les enfants sur l’importance des moustiquaires, une approche « pansociétale » est nécessaire pour réussir à enrayer le paludisme, selon Michael Adekunle Charles, PDG du Partenariat RBM pour mettre fin au paludisme, un groupement mondial d’autres organisations. plus de 500 organisations dédiées à la lutte contre la maladie.
Cela survient alors que le Rapport mondial sur le paludisme 2024 de l’OMS révèle que les cas sont en augmentation, l’Afrique subsaharienne supportant le fardeau le plus lourd.
L’ancien diplomate et médecin explique à SciDev.Net que la priorité du financement du paludisme est de garantir que les médicaments parviennent dans les zones difficiles d’accès, et souligne les risques posés par Anopheles stephensi, le moustique urbain transmetteur du paludisme qui peut piquer pendant la journée. .
Comment évalueriez-vous l’état actuel du contrôle et de l’élimination du paludisme, tel que souligné dans le Rapport mondial sur le paludisme 2024 ?
Le rapport offre un mélange d’optimisme et de défis. Il note des progrès significatifs, avec 2,2 milliards de cas et 12,7 millions de décès évités depuis 2000. Toutefois, le paludisme reste une menace majeure, notamment en Afrique, qui supporte 95 % du fardeau mondial du paludisme. Même si nous ne progressons pas aussi vite que nous le souhaiterions, les gains sont indéniables.
Pour progresser davantage, nous devons aborder le paludisme comme un problème de société, et non comme un simple défi de santé, impliquant des secteurs tels que l’éducation, les infrastructures et l’agriculture.
Nous devons adopter une approche plus optimiste et globale dans la lutte contre le paludisme. Il est essentiel de ne pas considérer le paludisme uniquement comme un problème de santé. Les pays qui ont réussi à éliminer le paludisme l’ont abordé dans une perspective de développement, en abordant les infrastructures, les questions de genre, l’agriculture et l’éducation. Chacun de ces aspects joue un rôle essentiel dans l’élimination du paludisme.
Par exemple, l’éducation des enfants dans les écoles les encourage à utiliser des moustiquaires à la maison, tandis que la résolution des problèmes d’infrastructure (comme l’eau stagnante dans les nids-de-poule et les gouttières ouvertes) élimine les terrains fertiles pour les moustiques.
Dans des pays comme le Nigéria et d’autres régions d’Afrique, ces facteurs environnementaux restent des obstacles majeurs. Si nous encourageons les gens à dormir sous des moustiquaires mais ne parvenons pas à lutter contre l’eau stagnante et à ouvrir les gouttières à l’extérieur de leurs maisons, nous ne gagnerons pas la lutte contre le paludisme. Une approche pansociétale, impliquant une collaboration entre tous les secteurs, est la voie à suivre.
Le rapport met en évidence les déficits de financement dans les efforts de lutte contre le paludisme. Comment résoudre ce problème ?
Le financement reste un problème crucial, avec seulement 4 milliards de dollars sur l’objectif de 8,3 milliards de dollars atteints en 2023.
La participation du secteur privé à travers des initiatives telles que les Conseils pour mettre fin au paludisme (forums dirigés par les pays pour accélérer les progrès dans la lutte contre la maladie) s’est révélée prometteuse, collectant 80 millions de dollars dans neuf pays. L’optimisation des ressources et des modèles de financement innovants sont essentiels.
Le financement est crucial pour intensifier les efforts de lutte contre le paludisme. Dans les pays où nous avons connu des succès significatifs, un financement adéquat a été un facteur clé. Cependant, nous ne disposons pas actuellement de toutes les ressources dont nous avons besoin. C’est là que l’optimisation des ressources devient essentielle. Par exemple, dans l’État de Kebbi, au Nigeria, la culture du riz nécessite des eaux marécageuses, qui constituent un terrain idéal pour la reproduction des moustiques.
Le ministère de la Santé devrait-il consacrer ses fonds antipaludiques à l’application de traitements larvicides (application d’un traitement à l’eau pour tuer les larves) dans ces zones, ou le ministère de l’Agriculture devrait-il plutôt y contribuer ? En demandant au ministère de l’Agriculture de financer de tels efforts, les ressources du ministère de la Santé pourraient être libérées et réorientées vers d’autres mesures de lutte contre le paludisme.
De même, résoudre les problèmes d’infrastructures tels que les gouttières et les nids-de-poule, qui servent également de sites de reproduction des moustiques, réduirait les cas de paludisme, allégerait le fardeau des hôpitaux et libérerait des fonds supplémentaires pour la prévention et le traitement. L’optimisation des ressources est une stratégie clé et chaque secteur doit comprendre son rôle dans la lutte contre le paludisme.
Nous devons également explorer d’autres sources de financement. Au Nigeria, par exemple, le Conseil pour mettre fin au paludisme a été revigoré avec le soutien de dirigeants du secteur privé comme (l’homme d’affaires nigérian Aliko) Dangote et (l’économiste nigérian) Tony Elumelu. Grâce à des initiatives de responsabilité sociale des entreprises, le secteur privé peut contribuer de manière significative aux efforts de lutte contre le paludisme.
En associant d’autres secteurs à la lutte contre le paludisme, nous pouvons libérer des ressources du ministère de la Santé et renforcer la lutte globale contre la maladie.
Quel rôle l’inéquité joue-t-elle dans les résultats du paludisme, et comment peut-on y remédier ?
Si l’on regarde le paludisme, il est clair que les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes sont les plus touchés, c’est pourquoi nous associons souvent le paludisme aux questions de genre. Au-delà de la maladie elle-même, l’inéquité joue un rôle important.
Par exemple, dans de nombreux cas, c’est la mère qui amène l’enfant malade à l’hôpital. Si l’enfant est admis, c’est la mère qui reste à ses côtés. Cette même mère a souvent plusieurs autres enfants à la maison dont elle doit encore s’occuper. Avec le peu de ressources dont elle dispose, elle finit par tout dépenser pour l’enfant malade.
Cela limite sa capacité à s’engager dans des activités productives comme l’agriculture ou le commerce, qui apporteraient des revenus au ménage. Dans les zones rurales, cette situation est aggravée si l’homme du ménage n’est pas en mesure de subvenir financièrement à ses besoins. Le résultat est un cercle vicieux de pauvreté et de difficultés, exacerbé par le paludisme.
Les femmes, déjà aux prises avec ces pressions, supportent le plus gros du fardeau : elles consacrent du temps et des ressources au traitement tout en perdant la possibilité de subvenir aux besoins de leur famille. C’est l’iniquité dont nous parlons en matière d’issue du paludisme, où la maladie touche de manière disproportionnée les femmes et les enfants, à la fois directement et indirectement.
L’avènement des vaccins contre le paludisme est-il la percée que nous attendions, ou simplement une étape dans un combat plus vaste ?
Les vaccins constituent un ajout intéressant à notre boîte à outils, mais ils ne constituent pas une solution miracle. Par exemple, le vaccin contre le paludisme contribue à réduire les cas graves et les décès, mais doit être utilisé parallèlement à d’autres outils tels que les moustiquaires et la pulvérisation intradomiciliaire à effet rémanent. L’intégration dans les programmes de vaccination existants est essentielle. Une innovation continue est nécessaire pour développer des vaccins offrant une immunité à long terme.
Son déploiement présente des difficultés, notamment son intégration dans les programmes de vaccination existants tels que le Programme élargi de vaccination (une initiative de l’OMS en matière de vaccins). Le vaccin contre le paludisme devrait être géré par eux, mais comme il est spécifique au paludisme et nouveau, il est souvent piloté (au Nigeria) par le Programme national d’élimination du paludisme. Garantir un déploiement fluide est essentiel.
Le vaccin est administré aux enfants de moins de deux ans, le groupe d’âge le plus vulnérable, afin d’améliorer les taux de survie. Lorsqu’il est utilisé en complément d’outils tels que les moustiquaires et la pulvérisation intradomiciliaire à effet rémanent, il réduit considérablement les cas de paludisme grave.
Nous avons besoin d’intégration, d’innovation et de développement continu pour atteindre un stade où une seule dose de vaccin offre une protection à long terme. Pour l’instant, il s’agit d’un outil important, mais il doit s’inscrire dans une stratégie globale combinant prévention et traitement.
Comment la transmission du paludisme est-elle affectée par le changement climatique ?
Le changement climatique exacerbe la transmission du paludisme en modifiant les schémas et en augmentant la fréquence des conditions favorisant la reproduction des moustiques. Par exemple, les inondations créent de l’eau stagnante, qui constitue un terrain idéal pour la reproduction des moustiques. Il ne s’agit pas seulement de changements dans les régimes de température et de précipitations, il s’agit également de la manière dont ces facteurs créent des environnements propices aux moustiques, accélérant ainsi la propagation du paludisme.
Pour lutter contre cela, des mesures adaptatives sont essentielles. La chimioprévention du paludisme saisonnier est un exemple clé, où un traitement préventif est fourni aux enfants pendant la saison des pluies, lorsque la transmission atteint son maximum. Cette intervention a connu une ampleur significative, passant de 170 000 enfants en 2012 à 53 millions en 2023. En ciblant les enfants pendant trois à quatre mois pendant cette période à haut risque, nous atténuons l’impact de la transmission accrue du paludisme due au changement climatique.
Quels sont les défis émergents dans la lutte contre le paludisme, tels que la résistance et les nouvelles espèces de moustiques ?
Le comportement du moustique évolue constamment. Plus nous attendons, plus il devient adaptable, se transformant en de nouvelles souches qui contrecarrent nos efforts avec les outils existants. Un bon exemple est Anopheles stephensi, une espèce de moustique originaire d’Asie, aujourd’hui présente dans plusieurs pays africains, dont le Nigéria. Cette espèce est particulièrement préoccupante car elle prospère dans les zones urbaines et pique en fin d’après-midi et en début de soirée, contrairement aux moustiques traditionnels porteurs du paludisme qui sont plus actifs la nuit.
Ce changement soulève des questions cruciales quant à l’efficacité de nos interventions actuelles, telles que les moustiquaires, qui protègent principalement les personnes pendant la nuit. Cela souligne l’urgence d’obtenir un financement adéquat, de stimuler l’innovation et de combler les lacunes en matière de connaissances. Si nous n’agissons pas rapidement, nous risquons de perdre les progrès significatifs réalisés dans la lutte contre le paludisme, comme les 2,2 milliards de cas évités et les 12,7 millions de vies sauvées depuis 2000.
Relever ces défis nécessite une approche multidimensionnelle, impliquant une surveillance améliorée, le développement de nouveaux outils et le renforcement de la résilience de nos stratégies de lutte contre le paludisme pour dépasser l’adaptabilité des moustiques comme Anopheles stephensi.
Quelles priorités devraient guider le financement du paludisme et les efforts de R&D ?
À l’heure actuelle, aucun enfant ne devrait mourir du paludisme. La priorité du financement du paludisme devrait être la gestion des cas, en garantissant que les médicaments et les traitements parviennent même aux zones les plus difficiles d’accès. Ceci est crucial pour sauver des vies, en particulier pour les enfants, qui ont besoin d’avoir accès à un traitement dans les 24 heures suivant leur maladie. Même si la recherche et le développement, ainsi que les produits tels que les moustiquaires, sont importants, l’accent doit être mis dans l’immédiat sur la mise en œuvre rapide d’interventions permettant de sauver des vies.
Au-delà de cela, nous devons anticiper l’adaptabilité du moustique. Il est essentiel de soutenir les chercheurs africains et de renforcer les capacités de fabrication locales. Plus de 80 % des produits antipaludiques proviennent actuellement de l’extérieur du continent, ce qui est inacceptable. Investir dans l’industrie manufacturière locale créera non seulement des emplois et de la richesse, mais garantira également une plus grande sécurité sanitaire à la région.
Bien qu’il soit difficile d’établir des priorités dans un combat aussi multiforme, la clé consiste à trouver un équilibre entre les besoins immédiats de survie et les investissements à long terme dans l’innovation, les capacités locales et les solutions durables.
Quel est le rôle du Partenariat RBM dans la réalisation des objectifs mondiaux en matière de paludisme ?
RBM est un partenariat de plus de 500 entités, parmi lesquelles des organisations de la société civile, des pays, des acteurs du secteur privé, des sociétés pharmaceutiques, des établissements universitaires et des organismes de recherche. Notre rôle est d’agir comme un catalyseur pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de paludisme, en nous concentrant sur quatre priorités clés. Premièrement, la coordination est vitale : elle rassemble les efforts au sein des pays, entre les régions et à l’échelle mondiale. Même si tout le monde partage l’objectif d’éliminer le paludisme, tous les efforts ne vont pas dans la même direction, et notre travail consiste à rationaliser ces efforts.
Deuxièmement, le plaidoyer est crucial pour maintenir le paludisme en tête de l’agenda mondial de la santé. Cela implique de promouvoir une approche pansociétale, de combler le déficit d’éducation et de garantir que les parties prenantes comprennent leur rôle dans la lutte contre le paludisme. Troisièmement, nous nous concentrons sur les systèmes de données. Renforcer la surveillance, garantir la livraison sur le dernier kilomètre de tests de diagnostic rapides et améliorer la collecte et l’analyse des données sont tous essentiels pour comprendre et réduire le fardeau du paludisme.
Enfin, il est essentiel de relever les défis persistants en matière de financement. Nous travaillons à mobiliser des ressources par le biais des Conseils pour mettre fin au paludisme, en impliquant le secteur privé et en favorisant des engagements qui complètent les sources de financement traditionnelles. En améliorant la coordination, le plaidoyer, les données et le financement, RBM vise à générer des progrès significatifs vers les objectifs mondiaux de 2030 en matière de paludisme.
Fourni par SciDev.Net