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Violence

Un cheminement entre protection de l'enfance et société qui cherche à se protéger des jeunes : adolescents en danger ou adolescents dangereux

UN CHEMINEMENT ENTRE PROTECTION DE L'ENFANCE ET SOCIÉTÉ QUI CHERCHE À SE PROTÉGER DES JEUNES :
ADOLESCENTS EN DANGER OU ADOLESCENTS DANGEREUX
Par Christian GUILLAUMEY

Colloque Répondre à la souffrance psychique des jeunes du 08/12/2006
NewsLetter N°1, février 2007
 
Perspective historique
Le questionnement, qui est le mien et que je voudrais partager avec vous ce matin, porte sur mon expérience professionnelle en prévention spécialisée. Il s'agit d'essayer de comprendre ce qui a conduit une société comme la nôtre à évoluer aussi radicalement à l'égard des jeunes.
Dans un premier temps, à partir de l'histoire du social depuis le début du siècle dernier, j'analyserai rapidement l'évolution de la protection sociale. Dans un deuxième temps, il s'agira de comprendre les glissements qui ont modifié le regard de la société sur les difficultés des jeunes.
 

Enfin à partir de l'actualité des débats, il conviendra de mesurer les enjeux d'une radicalisation de notre société. Je terminerai mon propos sur un essai de mise en perspective de toutes ces questions.


Pour essayer de comprendre la structuration de la Protection de l'Enfance je vais revenir sur les fondements du siècle dernier. C'est bien la fonction et l'usage de l'histoire. Elle ne donne pas de leçon, ne propose pas de solution ; elle offre seulement un peu plus d'intelligibilité au présent.

XIXe siècle : Naissance de l'Apache
" A l'inverse du processus de dilution sociale du crime repéré dans les années 1825-1845, les représentations dominantes de la fin du siècle tendent également à réinscrire la société délinquante dans un cadre plus circonscrit et professionnalisé (" l'armée du crime ")…, phénomène d'autant plus net qu'il coïncide avec des problématiques mises à jour par la " science criminelle " (notamment l'invention du récidivisme, que précipitent les usages statistiques et les perfectionnements de l'appareil répressif) et qu'il recoupe le souci républicain d'intégration et donc de décriminalisation du monde ouvrier. …L'Apache qui surgit vers 1900, synthétise ces appréhensions. Membre d'une tribu que l'on sait rebelle, sauvage et inassimilable, il justifie les stratégies d'élimination mise en œuvre (relégation, bagne, échafaud) au moment où les autres peuplades sauvages, entendons les " bons ouvriers " sont en voie d'intégration.
 

Enfin, ce mode renouvelé de représentation notamment journalistique, accentue la constitution d'une conscience sécuritaire et son appropriation par tout le corps social. " Cette citation de Dominique KALIFA, en changeant quelques termes et dates pourrait facilement se décliner dans notre société d'aujourd'hui.
" L'inculpation qui amène le plus d'enfants à la barre des tribunaux correctionnels est celle de vagabondage : sur 2102 mineurs de 16 ans arrêtés à Paris au cours de l'année 1890, 855 étaient des vagabonds. " écrivait déjà Henri NOLLET dans son livre Les enfants en prison. Comment ne pas faire le parallèle avec les questions de jeunesse qui nous occupent actuellement.


Dans ce contexte d'une prise en compte d'une jeunesse délinquante, le vingtième siècle est traversé par une succession de textes de loi.

XXe siècle : naissance d'un arsenal juridique
Tout d'abord, la loi du 21 juillet 1912 avait marqué une étape considérable dans l'évolution du droit pénal des mineurs en substituant à leur égard des mesures éducatives et de relèvement à la réponse pénale classique. Cette loi posait un principe absolu d'irresponsabilité au dessous de 13 ans, et invitait les juridictions à se pencher sur la question du discernement pour les mineurs plus âgés. Elle favorisait, par ailleurs, un premier tri entre les mineurs relevant du régime pénal et ceux pour lesquels ne pouvait être envisagée qu'une intervention d'ordre strictement éducatif.

La loi du 24 mars 1921 instituait un délit de vagabondage spécifique à l'égard des mineurs. Ces mineurs échappaient à la prison au dessous de l'âge de 16 ans. Les mineurs pouvaient bénéficier de l'ensemble des mesures éducatives à disposition du tribunal pour enfants.
Dés 1937, César Campinchi a jeté les bases d'un système complet de protection judiciaire de la jeunesse. L'accent était mis sur l'importance de l'observation du mineur, sur l'aménagement de centre de triage (au point de vue physique, intellectuel et moral) et une professionnalisation accrue des intervenants éducatifs.
Les Ordonnances de 1945

Je voudrais citer quelques extraits de l'exposé des motifs de l'Ordonnance de 1945 qui est très décriée actuellement :

 

" Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. …/...C'est là l'objet de la présente ordonnance, qui, tout en respectant l'esprit de notre droit pénal, accentue en faveur de l'enfance délinquante le régime de protection qui inspire par tradition la législation française. Elle vise, en abrogeant la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et la liberté surveillée, comme aussi les textes ultérieurs, et notamment la loi du 22 juillet 1942, à présenter dans un document d'ensemble une mise au point des réformes justifiées par l'expérience…/…

Il n'en reste pas moins que le juge des enfants devra procéder à une enquête approfondie sur le compte du mineur, notamment sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents de l'enfant, car ce qu'il importe de connaître c'est bien plus que le fait matériel reproché au mineur, sa véritable personnalité, qui conditionnera les mesures à prendre dans son intérêt. Et pour ce faire, le juge des enfants, comme également le juge d'instruction, lorsqu'il sera saisi, aura recours de préférence aux services sociaux spécialisés existants auprès des tribunaux pour enfants ou aux personnes titulaires d'un diplôme de service social. L'enquête sociale elle-même sera complétée par un examen médical et médico psychologique, sur l'importance duquel il n'est point nécessaire d'insister.

Des révoltes de la jeunesse à la naissance de la question " urbaine "
Depuis 1945, la Protection de l'Enfance s'est développée de façon considérable, par la création et le développement des services sociaux en milieu ouvert et la fermeture des maisons dite de redressement. Le texte d'origine a fait l'objet de plus de quarante modifications.
A la fin des années 1950, l'attention du public est violemment attirée par l'activité de certaines bandes de jeunes ("blousons noirs"). La bande existe à partir de son territoire (centres villes, faubourg) et de ses activités délinquantes (vols, bagarres, vandalisme,...). En 1959, il a été même question d'un "été chaud" dit "été des blousons noirs" pour désigner les tensions vécues dans les villes.
" Au début des années soixante, dans une France catholique, gaulliste et communiste, dans une société où la plupart des parents n'ont pas connu de jeunesse au sens moderne, ou pour lesquels les liens des générations n'a pas été celui de la jeunesse, la montée d'une culture jeune s'effectue dans un climat de conflit de générations. Le monde des vieux paraît vieux et celui des jeunes semble étranger tant par les goûts musicaux, les modes vestimentaires que par la volonté d'échapper au contrôle serré des familles. " " Les quartiers d'exil " François Dubet, Didier Lapeyronnie,.
 

L'État était soucieux d'enrayer ce phénomène de jeunesse qui survenait en même temps que se développait, au delà de la Méditerranée, un conflit qui divisait l'opinion française. .C'est, de cette façon, que s'est développé la Prévention Spécialisée.


Les événements de mai 1968 renvoient l'image d'une jeunesse différente qui pose les fondements d'un changement de société.
En même temps que s'installe la "crise" en France fin des années 1970, émergent des revendications de jeunesse avec comme théâtre de prédilection le milieu urbain. Ville et jeunesse vont donc marquer l'entrée dans un débat social nouveau.


C'est à la fin des années 1970 que vont apparaître les premiers dispositifs, de ce qui se nomme aujourd'hui communément " politique de la ville ". Le plan Habitat et Vie Sociale (H.V.S)sera proposé en 1977 avec comme objectif la réhabilitation des cités qui se sont dégradées. La partie sociale ne sera pas réellement reprise dans ce programme parce que difficile à mettre en œuvre, mais aussi par manque de partenariat sur le terrain.

L'insertion et le sécuritaire

L'insertion sous la forme d'un dispositif:
Les premières mesures en faveur de l'insertion des jeunes ont été proposées en 1977 par le Gouvernement de M Raymond BARRE, sous la forme d'un dispositif appelé "Pacte pour l'emploi".


Les équipes de prévention ont souvent été sollicitées dans cette dynamique de propositions d'insertion en fonction des initiatives innovantes qu'elles avaient menées mais aussi de leurs capacités d'adaptation par rapport à un public en difficulté.

Le sécuritaire et le social :
Le discours sécuritaire, à l'œuvre à la fin des années 1970 va trouver un point d'orgue en 1978 par le vote de la loi "Sécurité liberté" proposée par Alain PEYREFITTE.

 

Ce texte mobilise de l'hostilité dans le secteur social et les professionnels n'hésitent pas à descendre dans la rue pour s'opposer à cette loi.

Durant les années 1970, la prévention spécialisée va devoir s'expliquer sur son positionnement avec les jeunes. Des problèmes vont apparaître entre les éducateurs et la police concernant le point délicat de l'anonymat au regard de la non dénonciation des jeunes auteurs de délits. Cette difficulté de compréhension entre police et acteurs de prévention spécialisée a été telle que des affaires ont été jugées devant les tribunaux.
Il faudra attendre la mise en place des concertations dans le cadre des Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance (C.C.P.D.) pour que les rapports entre la police et les associations de Prévention Spécialisée retrouve une certaine sérénité.

La ville au cœur des préoccupations

Les années 1980 vont être celles de la "Ville", autant du fait des événements qui vont faire émerger les difficultés des quartiers que de la mise en place de dispositifs destinés à corriger ces problèmes. En 1981, un rapport de Hubert DUBEDOUT : " Ensemble refaire la ville" va introduire l'idée d'un changement possible dans la gestion municipale. A partir de son expérience de maire de Grenoble, Monsieur DUBEDOUT propose de considérer autrement le développement social des villes en insistant notamment sur la nécessité d'un partenariat associatif comme point d'appui.


Le 10 mai 1981, François MITTERRAND est élu à la Présidence de la République, cette élection trouve une résonance forte dans le travail social même si rapidement le sentiment général va se traduire par une déception quant aux changements proposés dans le secteur.

 

 

En juin et juillet 1981, des événements d'une extrême violence, survenus dans le quartier des Minguettes à Lyon, révéleront des problèmes nouveaux concernant les jeunes.
Les "rodéos" voitures, qui se multiplient devant des médias complaisants, deviennent vite le symbole de ces événements. Ils mettent en scène des jeunes, principalement issus de l'immigration, au cours d'affrontements avec la police dans une violence "spectacle".

Cette jeunesse des "banlieues" montre un nouveau visage à l'image des populations qui habitaient les quartiers. L'émergence de la "deuxième génération" sera encore plus présente dans la "marche pour l'égalité et contre le racisme" en 1983, qui fait suite aux événements de Minguettes. Il s'agit pour des jeunes de Lyon de rejoindre symboliquement Paris pour faire connaître leurs difficultés. Les jeunes issus de l'immigration s'invite sur le terrain de la revendication par des actions médiatiques.

Le rapport Bonnemaison
Au niveau de l'Etat, la violence des jeunes des quartiers va susciter beaucoup d'inquiétudes et de perplexité. Une étude va être commanditée à M. Gilbert BONNEMAISON au titre de la commission des maires de France sur la sécurité. Cette étude aboutira en 1982 à la rédaction d'un rapport :
"Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité "
Les propositions de ce rapport concernent la mise en place des opérations "Prévention Eté" avec le soutien de Gilbert TRIGANO. L'idée était simple il s'agissait de proposer des activités de loisirs en emmenant des jeunes de la ville dans des villages de toiles avec un encadrement assuré par des C.R.S.
 

Une autre proposition du rapport a été de créer les conseils communaux de Prévention de la Délinquance (CCPD). Ces instances regroupaient pour la première fois un ensemble d'acteurs: Police, Justice, Social, Élus, Education Nationale.


En 1982 également, le rapport de M. Bertrand SCHWARTZ portant sur l'insertion des jeunes servira de lancement des Missions Locales.
Pendant près de dix ans vont se développer nombre de dispositifs sous couvert de la Politique de la Ville mais aussi dans le cadre de l'insertion et de la lutte contre la précarité (RMI)

Les limites des dispositifs au regard des événements:
Le 6 octobre 1990, dans le quartier du Mas du Taureau, à Vaulx-en-Velin, la mort d'un jeune à moto, causée par une intervention policière, va déclencher une émeute urbaine qui s'étendra à d'autres villes. " La nouvelle de la mort de THOMAS Claudio court à Vaulx-en-Velin. En quelques heures, le quartier est en émoi. Des jeunes gens armés de pierres, de cocktails Molotov, de fusils, de pistolets à Grenailles et des voitures folles défoncent les vitrines et pillent les magasins. Des véhicules sont lancés à toute allure contre les forces de l'ordre. D'autres brûlent. Des lieux publics, comme la salle de réunion de la bibliothèque municipale, sont mis à sac. Les jeunes des Minguettes et de Villeurbanne rejoignent Vaulx-en-Velin et les émeutes durent trois jours. Les jeunes s'acharnent contre la place Guy MOCQUET, phare de l'opération de développement social, fierté de la ZUP. Le coût des dégâts est estimé à 25 millions ". (" Violence urbaine " Christian Bachmann, Nicole Leguenne, Ed Albin Michel, Paris, 1996) Cela quinze jours seulement après l'inauguration de la place Guy MOCQUET avec un mur
 
d'escalade symbole d'une logique d'accès au sport moderne dans les quartiers).

 

Les responsables politiques sont atterrés par cet événement qui montre les limites de l'intervention publique appuyée sur des dispositifs. La suite des événements va encore amplifier cette revendication des jeunes, avec des effets dévastateurs auprès de l'opinion publique.
" Les incidents se multiplient bientôt dans toute la France. Un mois après Vaulx-en-Velin, le Val d'argent, à Argenteuil, fait parler de lui. Les grandes surfaces sont dans le collimateur.
Même le centre ville est menacé, quand les banlieusards sont maîtres du pavé. Le 12 novembre 1990, 10 000 étudiants et lycéens protestent dans les rues de la capitale contre les projets du ministre de l'Education Nationale Lionel JOSPIN. Pendant la manifestation, des éléments incontrôlés, descendus, masqués, de leurs banlieues, font exploser les vitrines de magasins de Montparnasse, sous l'œil ahuri des caméras, et pillent des magasins de sport. " (cité in " Violence urbaines, op.cit)
La crise du travail social

La violence recouvre un nouveau visage et surtout elle s'étend au centre des villes.


Ce que les décideurs pensaient avoir circonscrit dans les quartiers se retrouve partout et surtout concerne la jeunesse dans son ensemble. La stigmatisation, voulue par certains courants politiques, ne tient pas. Les travailleurs sociaux commencent à s'exprimer pour faire entendre leurs positions et leur volonté de maintenir un travail de présence auprès des jeunes, basé sur l'écoute et la disponibilité.


Cette question de l'urgence des banlieues se développe et devient même centrale lors des élections présidentielles de 1995 et surtout de 2002. L'électrochoc du 21 avril 2002, montre que la société réagit de façon extrême à la surmédiatisation de la violence et du crime.

 
L'enjeu est maintenant suffisamment important pour faire apparaître une scission entre le modèle d'action sociale à l'œuvre dans le cadre de la protection de l'enfance et des dispositifs de plus en plus prégnants de prévention de la délinquance.
Le discours se radicalise pour faire du soit disant échec du travail social les fondements des politiques de sécurité ou plutôt sécuritaires.
Cette inversion de tendance, s'est construite petit à petit. Les travailleurs sociaux des années 1970 disaient travailler à leur propre disparition. Ils établissaient leurs actions dans une logique de retrait à partir du moment où les situations seraient traitées. Cet horizon ne s'est pas rapproché.
Mais cela s'est réalisée : le travail social a disparu en tant que profession unifiée occupant une position charnière entre la marge et la norme.
Le triomphe du " dispositif " sur l'intervention sociale

Les dispositifs ont complexifié les effets du travail social, tout d'abord au travers des effets de la politique de la ville et ensuite dans les politiques de prévention de la délinquance.
Au commencement, il y avait les politiques sociales fondées sur une dynamique de société ouverte avec une logique d'intégration forte. L'action sociale dépendait d'un ministère important et était mise en œuvre par des acteurs sociaux qualifiés dans le cadre des métiers canoniques.


Les politiques de la ville ont été mise en place, au début des années 1980, pour répondre à des besoins nouveaux de traitement des questions urbaines. De nouveaux termes sont apparus : opérations, zones, territoires, diagnostics, partenariat…. Pour se mouvoir dans cette jungle de dispositifs qui s'empilaient les uns sur les autres ou plus souvent les uns à coté des autres, une myriade de nouveaux métiers sont apparus sous le vocable de : " métiers de la ville ".

 

Tous ces nouveaux métiers étaient confiés en réalité à des opérateurs embauchés par des collectivités territoriales. Dans cette réorganisation de l'urbain en temps que question sociale, force est de constater qu'il devenait très difficile de distinguer l'action sociale des dispositifs sociaux. Autre élément important de cette évolution, c'est l'émergence d'un acteur de proximité à savoir le maire, il suffit pour cela de se rappeler à qui avaient été confié les rapports préparant à ces dispositifs (Dubedout, Bonnemaison, Sueur,…).


Une opposition est apparue entre les missions d'action sociale fondées sur des relations éducatives nécessitant du temps et des opérations limitées dans le temps et l'espace qui se basent sur une obligation de résultats. L'"acteur" ne partage pas les préoccupations de l'"opérateur" et vis versa. Le partenariat qui se développe à partir de ces dispositifs entretient largement cette opposition voire la renforce.

Le triomphe du sécuritaire sur l'action éducative
Les dispositifs de politique de la ville favorisent l'émergence de la prévention de la délinquance qui petit à petit devient centrale et s'impose comme moyen unique de traitement social dans les quartiers et dans les villes.
Les conseils communaux de Prévention de la Délinquance avaient donné une place nouvelle au maire confirmée et renforcée dans les Conseils Locaux de la Prévention de la Délinquance (cf. circulaire du 17 juillet 2002)
La loi de prévention de la délinquance va plus loin et confirme la centralité du maire comme responsable à l'échelle de sa ville des difficultés sociales et de la délinquance.
Il convient de s'arrêter quelques instants sur le Rapport Bénisti présenté en octobre 2004. Ce rapport est truffé de jugement de valeurs sur les obligations d'assimilation des personnes dans la société fondée sur le langage et sur une stigmatisation des comportements délinquants.
 

Même si ses thèses ont suscité de vives réactions au départ, il s'est imposé comme une référence lors des événements de novembre 2005 pour finalement servir de fondement à la loi de prévention de la délinquance.


La préparation de la loi de prévention de la délinquance a été longue, mais constante dans sa volonté de mettre au pas les acteurs sociaux, indépendamment de leurs missions avec des terminologies nouvelles telles que secret partagé, échange d'information. L'échange d'information au service du maire parait fondamental pour les concepteurs de la loi mais semble beaucoup plus difficile à prendre en compte par les maires eux même. Tout est fait comme si les dynamiques de réseau n'existaient pas ou mieux encore s'il fallait les contrôler lorsqu'elles existent.

Le projet de loi de " prévention de la délinquance " :
confusion entre prévention de la délinquance et aide sociale à l'enfance

La prévention de la délinquance intègre l'Aide Sociale à l'Enfance (code de l'Action Sociale et des Familles Art. L 121-2). Mais la question que je me pose c'est de savoir si ce ne serait pas plutôt l'Aide Sociale à l'Enfance qui se met au service de la prévention de la délinquance.
Le maire devient l'acteur central de la prévention avec des délégations de compétences d'action sociale, ce qui vient contredire le positionnement, de 2004, des départements comme les chefs de file du social.
Le social est tenu responsable donc coupable de n'avoir su empêcher les difficultés dans les villes. Pour s'en convaincre les politiques n'hésitent pas à prendre à témoin l'ensemble de la société en partant de l'exemplarité d'actes de violences ou de problématiques sociales mal traités par différents services.
 

Les politiques fondent leurs propositions sur l'obligation de se protéger des fauteurs de troubles, qu'ils désignent sous des vocables moins soft que cela. Le ministre de l'intérieur n'hésite pas à dire et à écrire que " la sanction est premier outil de prévention ".

Dans la pensée de la loi, les parents sont coupables de n'avoir su éduquer leurs enfants, ils vont devoir en répondre devant un Conseil pour les Droits et devoirs des familles.


En conclusion, il semble de plus en plus évident que la Protection de l'Enfance s'est transformée en protection contre les mineurs. La protection devient un instrument d'ordre public.

Renouer une relation de confiance avec la jeunesse
Hésiode écrivait au VIIIeme siècle avant JC : " la jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible " et un éducateur, dont les propos étaient repris par la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs, disait : " Nous avons peur de nos jeunes, maintenant ".
Faut il en temps que travailleurs sociaux ou acteurs sociaux se mettre à avoir peur des jeunes au point de se résigner à rentrer dans les dispositifs sans marquer notre différence. En effet, qui pourra rester au contact des jeunes en établissant une relation de confiance si nous devenons les opérateurs au service d'élus municipaux plus souvent soucieux d'une paix sociale garante de leur réélection que d'une réelle prise en compte des difficultés sociales des personnes. Les résistants ont œuvré pour l'ordonnance de 1945, les travailleurs sociaux d'aujourd'hui mais surtout de demain devront sans doute entrer en résistance pour que soit respecter le Contrat social qui leur permet de placer l'Educatif au cœur de leur mission.
Les professionnels de la protection (juges, travailleurs sociaux, intervenants en santé mentale…) sont-ils condamnés à s'adapter à un nouvel ordre social ou à disparaître ?
 

Si les acteurs sociaux ne sont plus en mesure d'agir aux limites des fonctionnements institutionnels pour essayer de toujours permettre une passerelle entre la marge et la norme, le risque, c'est de voir s'installer d'autres réponses issues du caritatif ou du communautaire se plaçant comme les derniers remparts d'une société défaillante.


Elisabeth Chauvet, juge des enfants à Montpellier écrivait :
" Les jeunes rencontrés, au quotidien, dans le secteur social et médico-social apportent, si besoin en était, la preuve que les changements qu'ils opèrent pour eux-mêmes et pour ceux qui les accompagnent représentent une richesse pour toute la société. "


Une société, qui choisit l'évitement de sa jeunesse, est une société qui se prive d'un avenir social harmonieux. Il convient de ne pas se laisser porter par une idée majoritaire qui s'imposerait à tous sans possibilité de retour. Même s'il faut être à contre courant, je ne pense pas que nos missions doivent se conduire dans le sens du vent mais davantage dans l'intérêt des personnes dont nous avons la charge.