SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Rivage, Centre de Soins d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (C.S.A.P.A)

L’addiction est bien plus qu’une maladie du cerveau ! Réaction à la définition de l'ASAM

ACTION : L'ADDICTION EST BIEN PLUS QU'UNE MALADIE DU CERVEAU !
Docteur Alain MOREL, Psychiatre, Vice-Président de la Fédération
Française d'Addictologie, Directeur Général d'Oppelia

Le Flyer N°46, Février 2012

Introduction

L’American Society of Addiction Medicine aurait donc fait une grande découverte durant l’été 2010 : « l’addiction est une maladie du cerveau » ! En fait, qu’y a-t-il de neuf dans ce communiqué ? Rien, sinon une manifestation des débats et des manoeuvres pour le leadership sur le domaine des addictions qui traversent depuis plusieurs années la communauté scientifique américaine. Il faut lire le communiqué de l’ASAM en fonction de ce contexte et à la veille de la parution du DSM V qui doit, pour la première fois, définir l’addiction en tant que « trouble » spécifique. Il prend alors tout son sens.

Il est intéressant de se rappeler qu’en 1997, déjà, la revue Science titrait exactement la même affirmation, en citant la Directrice du NIDA, Nora Volkow. Or cette dernière s’est investie depuis 2009 dans la transformation de l’ASAM afin d’en faire une société qui pèse politiquement pour parvenir à faire de l’addictologie une spécialité médicale.

Cela passe par la création d’un comité de certification médicale pour les prescripteurs de traitements de l’addiction (l’American Board of Addiction Medicine, ou ABAM). Cela fait plus de deux décennies que Volkow et quelques autres veulent à la fois promouvoir une conception neurologique de l’addiction et des traitements purement médicaux agissant directement sur les parties du cerveau dont ils prétendent qu’elles sont la source de l’addiction.

En cela, ils ne font que relancer une vieille lune de certains secteurs de la médecine qui s’emploient régulièrement, depuis plus d’un siècle, à s’approprier la question. Ce fut ainsi pour définir « l’alcoolisme », « la toxicomanie », puis « la dépendance » et maintenant « l’addiction ». Mais le résultat est toujours le même : les erreurs épistémologiques sont telles que la science disparaît derrière les motivations corporatistes et idéologiques.

Une définition bien peu scientifique !

Ce qui frappe est en effet le caractère bien peu scientifique de ce qui est énoncé.

On nous dit d’abord que « l’addiction n’est pas seulement un problème social, moral ou criminel », ce qui laisse entendre que le social et le comportement individuel y sont un peu pour quelque chose, mais pour glisser ensuite sur l’affirmation que c’est une maladie « neurologique et non liée à des facteurs externes ». Donc « une maladie à part entière » qui n’a « pas d’autres causes telles que des problèmes émotionnels ou psychiatriques ».

Ainsi, comme à chaque fois, le modèle de l’addiction-maladie présuppose un fondement biologique spécifique qui la caractériserait et qui en serait la cause ultime.

L’erreur épistémologique de nos confrères de l’ASAM est de confondre un regard nouveau apporté par la neurobiologie et l’imagerie cérébrale sur une partie de l’addiction avec une explication de toute l’addiction.

C’est aussi de confondre cause et conséquence. Car ce que la neurobiologie décrit, que ce soit à propos du dysfonctionnement du système dopaminergique ou d’un « découplage » des systèmes sérotoninergique et noradrénergique, c’est l’empreinte biologique de l’addiction, ce qui ne veut pas dire la source. D’ailleurs tous les neurobiologistes sérieux, y compris ceux qui défendent un modèle explicatif de l’addiction comme Jean Pol Tassin en France, ne manquent jamais de souligner l’influence du contexte, du stress et des troubles émotionnels sur les dysfonctionnements biologiques qu’ils observent.

Une définition qui accroît les clivages et surmédicalise

Nous avons aujourd’hui suffisamment de recul – et d’expériences désastreuses avec toutes sortes de réductionnismes – pour oublier le caractère fondamentalement multifactoriel de l’addiction (dans son installation comme dans son émancipation), et pour rebrousser le chemin alors que nous avançons dans des approches cliniques et thérapeutiques plurielles, systémiques, intégrées, centrées sur la subjectivité de l’usager et respectant ses choix de vie.

Quid de la réduction des risques dans la conception de l’ASAM ? Quid des addictions comportementales ? 

Deux éléments qui sont au coeur des évolutions que connaît l’addictologie en France mais qui n’ont guère de place dans ce modèle. L’addictologie française s’est construite sur des bases qui permettent le dialogue interdisciplinaire et le dépassement des logiques purement corporatistes ou institutionnelles, au bénéfice des personnes addictes et de leur entourage. Au bénéfice aussi d’un regard social et coopératif sur ces questions. Si nous affirmons que l’addiction peut être une cause de souffrance et créer des situations de maladie nécessitant des soins médicaux, nous savons que la médecine seule ne peut pas grand chose face à ces situations.

Une définition qui aggrave la stigmatisation des usagers et patients

Comme leurs prédécesseurs, les promoteurs de « l’addiction-maladie du cerveau » utilisent l’argument humaniste et compassionnel pour justifier leur construction théorique. Certes, le dépendant malade n’est plus un pêcheur ou un délinquant, mais il est victime de son dysfonctionnement cérébral. Gagne-t-il vraiment au change ? En tout cas pas en termes d’autonomie et de responsabilité sur lui-même, puisque le seul choix qui lui est consenti est « quand il s’agit de demander de l’aide ».

Chapman, un auteur américain lui aussi, avait montré à propos de l’addiction au tabac (dans un article du Lancet en 2009) que « le volume de recherches et d’efforts destinés à l’arrêt par voie professionnelle et pharmacologique est inversement proportionnel à celui étudiant la manière dont les ex-fumeurs s’arrêtent réellement », c’est-à-dire le plus souvent par euxmêmes.

Aux Etats-Unis toujours, une série de Hbo intitulée « Addiction : une maladie cérébrale » est diffusée dans les lycées avec pour seul résultat une baisse de l’investissement des pédagogues et éducateurs sur la prévention. Autre conséquence dommageable d’une surmédicalisation.

Au moment où les conditions sociales et sociétales n’ont jamais été aussi addictogènes, certains voudraient ériger la médecine en seul vrai rempart. Cela va d’ailleurs souvent avec la mise en avant de la loi et de l’interdit du côté de la prévention. L’appropriation par les uns ou les autres du problème et de sa solution mène toujours à l’impasse.

L’enjeu aujourd’hui est de redonner aux personnes la confiance dans leurs capacités à modifier leur comportement, dans leur pouvoir d’agir, avec si besoin l’appui de leur entourage, de la collectivité et des professionnels. Cela nous oblige à penser ensemble une éducation et des accompagnements thérapeutiques qui y contribuent, et pour cela de nous servir de modèles qui nous y aident.

 

Lire la définition de l'Addiction selon l'ASAM