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Psychothérapies

La motivation au changement dans le traitement des patients dépendants aux opiacés : mythes et réalités !

LA MOTIVATION AU CHANGEMENT DANS LE TRAITEMENT DES PATIENTS DEPENDANTS AUX OPIACES : MYTHES ET REALITES !
Vincent ROSSIGNOL, Montréal, Canada

Mr Vincent ROSSIGNOL présente dans ce texte la synthèse de la pensée de MILLER dans "Motivational Interviewing: Preparing people for change, Guilford Press. New York". Cet article déjà publié dans la revue L'Echo-TOXICO, de l'Université de SHERBROOKE, est reproduit ici avec l'autorisation de Mme Lise ROY, responsable de cette publication.

Le Flyer N°14, nov. 2003
 
"le client n'est pas motivé, il n'y a rien que l'on puisse faire", dit-on.

La motivation, ou plutôt le manque de motivation au changement dans le traitement de la toxicomanie est un sujet qui passionne, mais surtout désarçonne, bien des intervenants.

Pourquoi une personne ayant subi d'importantes conséquences négatives (emploi, famille, santé, etc…) liées à sa consommation ou à son comportement, qui a toutes les bonnes raisons pour modifier son comportement, s'obstine à entretenir un comportement qui, de l'extérieur tout au moins, aurait tout avantage à être mis aux oubliettes ? Pourquoi une personne, ayant devant elle des éléments de preuves irréfutables des dangers pour sa santé à court, moyen ou à long terme, choisit-elle de continuer à consommer ? Pourquoi un 'client', à qui l'on nomme toutes les conséquences négatives, à qui l'on tente d'insuffler une dose raisonnable de crainte, qui vient à ses rendez-vous, ou reste en traitement, rechute-t-il aussitôt la thérapie terminée ?

Pourquoi tant d'hésitation ? Pourquoi tant d'ambivalence ?

 
Bien des intervenants viennent à mes ateliers dans l'espoir que je leur donne la recette magique, l'outil miracle leur permettant de guérir leurs clients non-motivés. La motivation est souvent perçue comme une substance que l'on peut injecter ou insuffler aux clients. Parfois, certains intervenants sont si découragés qu'ils en viennent à dire que : " Si le client n'est pas motivé, il n'y a rien que l'on puisse faire ". Cette dernière affirmation est en fait des plus répandue, et ce, non seulement comme l'expression d'un découragement, mais bien souvent comme leitmotiv clinique. Logique a priori, cette affirmation est l'expression d'une profonde incompréhension des mécanismes du processus de changement et de la motivation comme telle. Il existe toute une série d'affirmations et de mythes qui brouillent la capacité des aidants à faire ressortir la motivation de nos clients.
Dans l'espace qui m'est offert dans ce bulletin, j'aimerais partager avec vous ma réflexion sur la motivation au changement en faisant un survol de ces mythes ou prémisses dangereuses face à la motivation.
Mythes traditionnels face à la motivation
Mythe 1 : "pas motivés à changer"

Les clients sont " motivés " à changer ou non ! S'ils ne sont pas motivés à changer, il n'y a rien que l'on puisse faire !

Comme nous le mentionnions plus haut, cette affirmation tristement fréquente, en plus de dénoter un pessimisme et d'exprimer un constat d'impuissance, se révèle trompeuse.

En fait, les gens perçus comme non-motivés, sont plutôt ambivalents face au changement. La motivation n'est pas un bagage que le client transporte avec lui oublie avant de franchir la porte de votre bureau. On a souvent décrit les " toxicomanes " et les " alcooliques " comme des individus, de par la nature de leur problématique, non motivés et résistants. Il est beaucoup plus aidant de les voir comme ambivalents, incertains, indécis face au changement.

 
En fait, les clients viennent rarement rencontrer un intervenant s'ils ne sont pas motivés ! Il y a une motivation sous-jacente. Il serait donc plus juste de dire " Je n'ai pas découvert la motivation de ce client-ci mais si je l'écoute, je saurai trouver sa motivation et travailler à la modifier, l'amplifier " ou mieux encore " Ce client est ambivalent face aux choix qui s'offrent à lui. Prenons le temps d'explorer avec lui son ambivalence et tentons de l'aider à la résoudre ".
Affirmer que les clients sont soit motivés, soit non-motivés relève d'une vision simpliste, bipolaire, réductionniste . Cela va à contre-courant des recherches de Prochaska et Di Clemente qui, depuis quelques années, font école dans le domaine de la motivation. Aussi bien plier bagage et rentrer dans ses terres ! La notion d'ambivalence est de loin plus aidante.
Mythe 2 : Motiver = convaincre ou éduquer !
Bien souvent, les participants à mes ateliers désirent ressortir de mes formations avec des arguments, des outils, des énoncés motivationnels pour les aider à convaincre leurs clients de changer. Il est important de préciser que les tentatives pour " convaincre " un client provoquent souvent l'effet contraire à celui recherché. Si convaincre équivaut pour vous à confronter, il est fort possible que vous observiez une augmentation dans la verbalisation des résistances. Loin d'être une pathologie, cette résistance est saine. De plus, elle indique qu'il est temps pour l'intervenant de changer de stratégie. La résistance se produit dans un contexte de relation interpersonnelle, elle est un problème de thérapeute, de stratégie. Il ne faut surtout pas tenter de convaincre un individu de changer en utilisant des techniques directives et confrontantes. Les arguments favorables au changement doivent émaner du client et non du thérapeute.
 
Il y a bien plus de chance qu'une personne modifie un comportement si elle a conclu que " le prix n'en vaut pas la chandelle ". L'art thérapeutique consiste à accélérer cette réflexion de façon aidante. La confrontation est rarement aidante.
Dans un même ordre d'idée, si vous croyez que le client a besoin d'être " éduqué " face aux conséquences négatives de son comportement, si vous croyez qu'il ne saisit pas la gravité de la situation et que vous devez l'éduquer (ce qui revient souvent à faire peur) ; il se peut fort bien que le client, par souci d'équilibre, verbalise les raisons positives de sa consommation. Le réflexe-correcteur de l'intervenant étant alors d'augmenter la dose d'éducation, le client, en plus de se sentir incompris, risque de " décrocher " devant tant d'insistance. Eduquer, comme confronter, risque d'augmenter la résistance du client qui est alors jugé, à tort, comme non-motivé.

Mythe 3 et 4 : "Je suis l'expert, le client doit suivre mes conseils !" ;

"La santé est une motivation très importante pour tous !"

Bien qu'apparenté au risque " éducatif " ce mythe recèle un autre danger particulier. Très souvent, la motivation est jugée selon la capacité du client à faire ce que le thérapeute-intervenant lui dit de faire et selon son degré d'accord avec le thérapeute. Ainsi, un client d'accord avec l'expert est perçu comme ayant de bons " insights ". Dans le cas contraire, il est catalogué comme tant " résistant ". Plutôt que de voir la relation thérapeutique comme une session de consultation entre un expert et un client, il serait juste de voir cette même relation comme une rencontre entre deux experts : le client étant expert sur ce qui fonctionne pour lui et l'intervenant, expert sur ce qui a fonctionné pour d'autre. Cette relation devient alors une rencontre respectueuse entre deux individus, deux experts, à la recherche de la meilleure solution, la plus réaliste, la plus motivante.
 

Les raisons du changement doivent venir de l'aidé et non de l'aidant.

La santé est souvent perçue comme étant la suprême motivation, une valeur fondamentale partagée par tous. En fait, ce n'est pas le cas. Certaines personnes favorisent beaucoup plus la recherche du plaisir, l'intensité ou la liberté plutôt que la santé. Il est donc parfois piégeant de vouloir trop insister sur cette valeur soi-disant commune. Il est plutôt utile de tenter de comprendre les valeurs fondamentales de l'autre, de comprendre sa motivation et son ambivalence.

L'exploration de l'ambivalence entre le changement et le statu quo est au cœur du dilemme auquel est confronté l'individu. Moins d'ambivalence ) plus de motivation !

Mythe 5 et 6 : "Maintenant est le bon moment pour modifier un comportement !" ; "Motivation au changement = Motivation au traitement"
Ceux qui ont déjà tenté de cesser de fumer dans le temps des fêtes en savent quelque chose : choisir le moment approprié pour effectuer un changement est important. Il se peut que quelqu'un soit motivé à changer, mais pas maintenant. Il se peut que cette personne ait d'autres priorités dans sa vie à ce moment-ci, plutôt que la cessation de fumer.
On confond parfois la motivation au changement et la motivation au traitement. Le traitement est vu comme un passage obligatoire vers le changement : le changement passe par le traitement. La réalité n'est pas si simple. En fait, la majorité des changements de comportement se produit sans traitement ni intervention. Les travaux de Prochaska et Di Clemente, sur les stades du changement, en sont une excellente illustration. Donc, en plus d'être le signe d'une prétention incroyable, cette prémisse est fausse.
 

Dire aux gens qu'ils doivent nous attendre, qu'ils doivent être en thérapie pour changer est faux, mais c'est une bonne recette pour maintenir de longues listes d'attente.

Certaines études suggèrent que la capacité du client à rester en thérapie est un bon indicateur de la probabilité du changement. Il se peut fort bien que le fait de rester en traitement soit le signe d'une solide motivation plutôt qu'un indice d'efficacité du traitement. Dans la croyance populaire, le changement passe par le traitement, pourtant certaines personnes qui vont en traitement auraient aussi bien fait sans, et dans certains cas, mieux. Un bon livre d'auto-changement est parfois plus utile qu'une intervention bâclée. D'ailleurs, posons-nous la question, si une personne est motivée à changer, pourquoi aurait-elle besoin d'une traitement ? Qu'ajoute donc le traitement ? La question vaut d'être débattue !.

Mythe 7, 8, 9 : …
"Cet individu doit changer ! Cet individu est prêt à changer !" : Si un individu se présente en thérapie, il doit être prêt à l'action. La réalité est que bien des gens se présentent en thérapie avec un profond sentiment d'ambivalence. Tel que mentionné plus haut, loin d'être pathologique, cette ambivalence est saine et se doit d'être explorée.

"Une approche dure et confrontante donne de meilleurs résultats" : En fait, les recherches ont démontré le contraire. Plus un intervenant confronte, plus le client résiste. Une recherche a même démontré que plus les clients résistent en thérapie, plus ils consomment 12 mois plus tard.
 

"Plus j'accumule de l'information donc, plus je pose de questions, plus je suis en mesure d'aider l'individu à modifier son comportement !":

C'est la version raffinée du piège de l'expert. Poser beaucoup de questions, et surtout des questions fermées, fait taire le client et le rend passif. Le modèle prescriptif donne de pauvres résultats. Démarrer une intervention en posant beaucoup de questions a tendance à fermer le client, à le rendre passif.

Pour conclure, un résumé de ce que l'on sait !

Maintenant que nous avons fait le point sur les divers mythes relatifs à la motivation, voici une brève liste de ce que les recherches scientifiques sur la modification de comportement et sur la motivation au changement ont établi.


Le changement est un processus naturel ;


- Ce qui se produit suite à une intervention ressemble grandement au processus naturel ;


- La probabilité d'un changement semble fortement influencée par les relations interpersonnelles ;


- Lorsqu'un changement intervient en traitement, le gros du changement se produit lors des premières rencontres. Certaines études disent que la dose de traitement prédit peu l'effet du traitement sur le résultat final. Cependant, d'autres études affirment le contraire.


- Le ou la clinicienne qui donne le traitement est un élément déterminant dans le taux d'abandon, de rétention, d'adhésion au traitement et de résultats, car cette personne a une influence directe sur la motivation des clients.

 

- Un counselling empathique semble faciliter le changement ; son absence le décourage.


- Les personnes qui se croient capables d'effectuer un changement le font. Les personnes qui ont un conseiller qui les croit sont aussi plus portées à changer. Celles à qui l'on dit qu'il y a peu de chance de réussite réussissent moins.


- Ce que les gens verbalisent face au changement est important. Des énoncés qui reflètent la motivation (le discours-changement) prédisent le changement alors que la verbalisation d'arguments contraires (résistance) prédit le non-changement. Ces deux comportements sont fortement influencés par le style de counselling.