SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Substitution (MSO)

Un autre regard sur les médicaments de substitution

UN AUTRE REGARD SUR LES MEDICAMENTS DE SUBSTITUTION
POURQUOI UN MSO(1) N'EST PAS UNE DROGUE ET NE DOIT PAS ÊTRE CONSIDERE COMME TEL?
Dr Jean-Marc COHEN, Nice (06)

Le Flyer N°39, avril 2010
Un traitement aux allures de toxicomanie

Il ne nous est pas rare d’entendre la critique suivante dans la bouche de certains de nos patients, de leurs familles, mais plus surprenant, de certains soignants : « je suis (il est) encore drogué : la preuve, je (il) ne peut pas me (se) passer de Subutex® ou de méthadone ! ». Quelques remarques sont à faire : un MSO utilisé correctement sans mésusage, c’est-à-dire, ni injecté, ni sniffé et ni fractionné n’entraîne aucun effet flash(2) ni tolérance(3), contrairement à la drogue.

De nombreux chercheurs considèrent qu’au plan neurobiologique, des « cicatrices » (défaut de synthèse des endorphines ?) pourraient persister chez certains ex-héroïnomanes, au point de devoir prendre des opiacés de substitution pour de très longues périodes, peut-être à vie, l’avenir nous le dira. Le médicament de substitution agirait alors comme un correcteur de ce défaut biologique qui correspond à une maladie chronique(4). Dans le même esprit, la toxicomanie à l’héroïne fut appréhendée par Dole et Nyswander(5), comme une maladie métabolique.
L'arrêt d'un MSO

Certains héroïnomanes arrivent à arrêter (le plus souvent progressivement) leur MSO après plusieurs années de traitement. Cela aurait tendance à prouver que nous ne sommes pas tous égaux face à la dépendance. Il en est ainsi pour l’héroïne : certains n’y goûtent pas, d’autres l’expérimentent et en resteront là, d’autres l’essaient et deviennent ‘accro’ et en meurent parfois, d’overdose ou de certaines complications (infectieuses notamment).

Le produit, seul, ne fait pas le toxicomane : c’est l’interaction entre le produit, l’individu (notamment sa psychopathologie) et son environnement qui crée la toxicomanie. Quant au traitement, si certains l’arrêtent définitivement, une grande majorité aura besoin d’un appui médical, médicamenteux, psychologique et social pour longtemps.
Question de représentation sociale

Après le passage du nuage radioactif de Tchernobyl, certaines personnes ont vu leur thyroïde ne plus fonctionner, d’autres ont développé un cancer de cette glande. Et enfin, la majorité n’a rien eu. Ceux dont la thyroïde ne fonctionne plus devront prendre à vie des hormones thyroïdiennes de substitution. La différence entre un hypothyroïdien et un ex-héroïnomane réside dans le fait que le premier n’est pas suspecté d’être un délinquant en puissance qui va trafiquer son médicament. Le second est un « vicieux » qui pourrait faire l’effort et avoir la volonté de se passer de son médicament.

Le premier est incontestablement un patient, le second un « pervers » qui nous manipule pour avoir sa substance. Nos représentations ont la vie dure ! Penser cela d’un toxicomane actif qui essaie de s’en sortir, aux débuts, pourquoi pas ? Mais pourquoi penser une telle chose d’une personne qui a (re)construit sa vie professionnelle, affective, sociale, sous prétexte qu’il consomme encore un MSO (à la même posologie parfois) depuis des années ? Nous rêvons tous d’un monde parfait, sans drogues, sans produits, ni addictions.
Les MSO sont des médicaments

Mais pourquoi les MSO ne seraient-ils pas considérés pour ce qu’ils sont, des médicaments ? Parce que certains les ont détournés de leur usage ? D’autres médicaments le sont également : les benzodiazépines, les hypnotiques…
Pourquoi les personnes âgées sous somnifères depuis tant d’années, de même que les spasmophiles sous benzodiazépines, ne sont-

elles pas stigmatisées de la même façon que l’exhéroïnomane ? Les MSO sont des traitements, qui prolongent la dépendance, mais au profit de la santé physique et mentale de nos patients ex-héroïnomanes. Nous serions tous très heureux de pouvoir disposer de tels produits pour les dépendances au cannabis, à l’alcool, à la cocaïne…
Un TSO ouvre la voie d'une reconstruction 

Au final, ne vaut-il pas mieux vivre avec une dépendance médicamenteuse qui autorise la (re)construction de sa propre vie que de souffrir d’une dépendance(6) à une drogue, destructrice et bien souvent pourvoyeuse de souffrances, de complications infectieuses (hépatites, sida), sociales, judiciaires, familiales…

Alors que la dépendance à une substance comme l’héroïne peut être résumée par une perte de contrôle, un retentissement sur la santé physique et/ou psychologique et un retentissement sur la vie familiale et socioprofessionnelle, la dépendance à un MSO (prescrit et utilisé à bon escient), permet d’atteindre des objectifs à l’opposé : reconstruction personnelle (dimension médicale, affective), familiale et socioprofessionnelle.
Investissement dans la durée et principales tendances

Si nous ne sommes pas capables d’accepter cela, comment le faire admettre à certains de nos patients, dont le souhait est d’arrêter rapidement tout traitement de substitution ? Dans ce domaine, chaque cas est un cas particulier, avec sa propre histoire, son environnement, sa vulnérabilité propre…

 

Mais de grandes tendances voient le jour :


1. C’est le soignant qui va orienter, guider le déroulement et la qualité de la prise en charge. Soit il se « débarrasse » de son patient et se contente de rédiger une ordonnance. Soit il « s’en embarrasse » et s’en occupe, l’écoute, le conseille, l’accompagne de manière globale, notamment au plan somatique (infections VIH, VHC, co-addictions…). Mais cela prend du temps, demande de la patience et de l’investissement car il s’agit de projets qui s’inscrivent dans la durée.

2. Les TSO(7) sont des traitements longs, très longs, contrairement à ce que l’on pouvait espérer à leur tout début (en France notamment malgré une littérature scientifique abondante depuis les expériences et publications de Dole et Nyswander).
3. Les posologies prescrites varient souvent très peu dans le temps.
4. Les patients sont très souvent les premiers à demander à tout arrêter.
5. Il est bon d’entendre leur demande, sans se précipiter d’y répondre. La plupart du temps, les patients « non prêts » finissent par s’en rendre compte d’eux-mêmes.
6. Pour certains, baisser un peu la posologie de leur MSO, équivaut à une victoire, tout en restant très prudent chez les poly-dépendants, qui ont souvent tendance à compenser la diminution de leur posologie de MSO par une surconsommation d’alcool.
7. Certains deviennent abstinents !
Légende :

(1) MSO : Médicament de Substitution des Opiacés
(2) Flash : euphorie très puissante
(3) Tolérance : accoutumance à une substance nécessitant une augmentation des doses pour obtenir le même effet.
(4) Deglon Jean-Jacques : bilan de 40 ans de traitement de substitution par la méthadone.
(5) 2 chercheurs américains, V. Dole et M. Nyswander, ont utilisé la méthadone au début des années 60 comme traitement de maintenance,

c'est-à-dire à long terme, face au constat des rechutes à répétition des héroïnomanes
sevrés, .
(6) Cf la définition qu’en donne Goodman, le DSM IV et la CIM.
(7) TSO : traitements de substitution des opiacés, qui comportent un volet médical, médicamenteux (MSO), mais
également un volet psycho-social.