SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Substitution (MSO)

Jeunes de moins de 25 ans inclus dans un traitement par la méthadone

JEUNES DE MOINS DE 25 ANS INCLUS
DANS UN TRAITEMENT PAR LA MÉTHADONE
Dr Sophie ALESSANDRI, CSST de Créteil (94)

Le Flyer N°37 - Septembre 2009
 
Introduction
Depuis fin 2006, le CSST de Créteil a décidé de s’intéresser à un petit groupe de patients sur l’ensemble de la file active du Programme Méthadone de « Drogues et Société » (204 patients recevant un traitement par la méthadone et 14 par la BHD : celui des jeunes de moins de 25 ans). En effet, l’augmentation de la consommation de drogues chez les jeunes est un véritable problème de santé publique contre lequel tous les intervenants en toxicomanie sont mobilisés. L’inclusion de ces jeunes dans les programmes de substitution reste controversée. Et c’est dans cet état d’esprit, qu’initialement, nous étions peu rassurés de mêler et de confronter nos jeunes patients aux « anciens ». Cette idée était plus dérangeante pour nous que pour nos jeunes usagers. De plus, il semble même que dans un contexte et des conditions déterminées, leur évolution soit des plus favorables.
 
Tant à court terme en ce qui concerne leurs modes de consommations et la réduction des risques, qu’à long terme en limitant l’exclusion sociale et parfois familiale. Dans cette optique les jeunes dépendants aux opiacés et demandeurs d’un traitement de substitution à la Méthadone avaient la possibilité d’intégrer rapidement le programme du CSST. Ainsi, 10 jeunes de moins de 25 ans ont pu être suivis et bénéficier de la méthadone au cours des deux dernières années. Comme pour les autres patients du CSST, nous avons privilégié, avec ces jeunes patients, le suivi individuel, le soutien et l’écoute. Nous avons adapté notre discours et notre prise en charge, afin de renforcer la relation de confiance entre l’équipe et le jeune usager afin qu’il n’y ait aucune pression, et que ces jeunes usagers aient la motivation et la volonté de revenir de lui-même au CSST régulièrement.
A. Bilan à l’inclusion des 10 jeunes usagers de drogues
 
1) Age moyen
L’âge moyen à l’arrivée au centre est de 21,2 ans. Parmi les jeunes usagers qui sont entrés dans le programme depuis fin 2006, il y eu 5 « vraies » inclusions et 5 relais (patient venant du bus Méthadone, ou d’autres CSST).
 
En considérant que les patients en relais étaient déjà quotidiennement et de façon régulière traités par Méthadone depuis environ 2 ans, l’âge moyen de l’inclusion pour cette population de 10 jeunes était de 19 ans.
 
2) Bilan médical
A leur arrivée au CSST, les jeunes usagers étaient tous injecteurs et dépendants aux opiacés depuis leur adolescence, avec pour la moitié d’entre eux, l’héroïne comme premier produit de dépendance. Quant à l’autre moitié, la quête de défonce représentait l’effet le plus recherché avec une polyconsommation massive, quelle que soit la substance. Dans ce contexte, les premiers produits de dépendance consommés sont ceux les moins onéreux comme l’alcool (alcoolisations massives aux alcools forts, bières à haut degré d’alcool type 8/6) ou les médicaments issus des trafics de rue (morphine, buprénorphine haut dosage).
 
Le plus souvent, plusieurs produits étaient absorbés en même temps afin de potentialiser les effets des substances. Ces jeunes patients consomment alcool, ecstasy, cocaïne, buprénorphine, kétamine… et, par la force des choses, deviennent physiquement dépendants, entre autres, aux opiacés… ce qui les amène à nous rencontrer. Nous avons également observé que la moitié de ces jeunes usagers s’injectaient régulièrement de la cocaïne (au moins 2 fois par mois) en plus de leur consommation d’opiacés.
 
Concernant les sérologies VIH /VHC /VHB, ce n'est bien sûr pas l'âge qui compte dans ce domaine, mais la durée de l'usage de drogue par voie intraveineuse, ou plus exactement le moment (l'année) où cet usage a commencé.

 
Dans la population de jeunes usagers de moins de 25 ans que nous avons suivi au CSST, seuls 2 patients à l’inclusion, avaient réalisé récemment leurs sérologies VIH et VHC (négatifs). Les autres n’en avaient jamais fait.
B. Contexte social
Les CSST sont généralement composés d’équipes pluridisciplinaires qui proposent de nombreux services accessibles aux usagers en situation de précarité ou marginalisés. Ainsi, l’entrée en CSST représente donc un point crucial dans la vie d’un usager de drogues. Cependant, le retour à une vie « normale », sinon « active », semble poser un certain nombre de problèmes. En effet, de nombreux usagers sont peu qualifiés, et ils peuvent donc éprouver de réelles difficultés à réintégrer le marché de l’emploi.
 

Ainsi, sur les 10 jeunes que nous suivons : 6 étaient sans activités (dont 3 sans domicile fixe), et 3 étaient scolarisés mais en échec. 1 seul travaillait depuis plus d’un an en CDI après un bac technique.


L’ennui et l’inactivité sont fréquemment une des raisons de rechute d’anciens dépendants, c’est la raison pour laquelle nous avons axé nos objectifs sur la réalisation de projets (professionnels) afin d’éviter l’isolement et à plus long terme l’exclusion.

 
C. Objectifs
Evidemment nous présagions que le problème des consommations de psychotropes prendrait du temps et l’exigence n’était pas dans l’arrêt immédiat des consommations de produits. Mais compte tenu du jeune âge de ce groupe, les urgences étaient avant tout sociales et sanitaires, parfois familiales. Pour ceux (3 jeunes) qui étaient scolarisés et dont les parents avaient des possibilités financières, l’important était de maintenir les études engagées en favorisant le retour et l’investissement au lycée. L’objectif principal était de les aider à reconstruire des projets professionnels et à trouver de nouvelles motivations.
 
Concernant les patients ayant un niveau bac mais sans emploi, nous favorisions les formations professionnelles afin d’obtenir un diplôme qualifiant, leur permettant de retrouver un emploi et pour certains un hébergement. De manière régulière, nous avons tenu à les informer sur les produits qu’ils consommaient afin de leur expliquer les possibles répercussions somatiques. Nous leur avons également distribué du matériel et des documentations afin de diminuer certains comportements à risque, et des dépistages VIH et VHC ont été prescrits.
D. Suivi
Les usagers de moins de 25 ans que nous suivons au CSST, du fait de leur jeunesse, ont tendance à refuser tout type d'autorité, et à fuir la réalité sociale et ses contraintes. Nous pensions donc, que pour mieux répondre à la demande de chacun des jeunes usagers de drogues, la prise en charge devait être renforcée afin d’être perçue comme un soutien et non comme une autorité abusive. Il nous fallait donc être particulièrement disponible pour pouvoir être directifs mais pas « tyranniques ». J’ai fait ainsi le choix de laisser mes coordonnées téléphoniques personnelles aux jeunes usagers afin qu’ils puissent téléphoner en cas d’urgence, pour être rassurés ou pour poser des questions. Ce qu’ils font raisonnablement.
Toujours pour privilégier le lien avec l’équipe et maintenir une vie extérieure, l’inclusion au traitement à la méthadone avec passage quotidien et prise sur place était volontairement limitée au temps de stabilisation d’environ 2 semaines. Pendant ces 2 semaines, les jeunes usagers passaient chaque jour, sans rendez-vous, de préférence le matin afin de fixer un horaire de prise. Les posologies étaient adaptées en fonction de leur état clinique et des réponses données.
 

Une « vraie » consultation était obligatoire au moins 2 fois dans la semaine, les autres jours, les patients pouvaient consulter à la demande ou ne faire que passer. Nous envisagions dès que possible des délivrances avec prise sur place bi-hebdomadaires puis hebdomadaires. Toujours dans cette idée de ne pas être trop « emprisonnant ». Les consultations restaient en outre fréquentes et à la demande.


Concernant les analyses urinaires, la première a été effectuée avant l’inclusion, ensuite, pour favoriser le dialogue, nous ne faisions qu’une analyse au cours des 2 premières semaines. Par la suite, les analyses urinaires furent limitées, souvent programmées. Dans ce cas, les usagers sont prévenus de la durée de positivité des produits dans les urines et du jour de réalisation de l’analyse. Dans la mesure où ils sont informés et qu’ils sont en traitement, les jeunes usagers sont désireux d’être négatifs, cela leur permet de prendre conscience de leur capacité ou non à gérer leurs consommations. Les analyses urinaires sont donc peu fréquentes et ne conditionnent pas la prise en charge.

E. Bilan à 2 ans

1) Taux de rétention dans le CSST.
Sur 10 patients inclus : 8 sont encore au centre, 1 est parti cet été dans le sud et a été relayé dans un autre CSST (nous sommes encore régulièrement en contact), 1 a été relayé en ville chez son médecin de famille.

2) Traitement par la méthadone et impact sur les consommations. Quelques mois après leur inclusion, tous avaient cessé les injections quotidiennes d’opiacés.

Aujourd’hui, sur 10 patients, 7 ont totalement arrêté de consommer des opiacés illicites :

2 ont continué à consommer dans un contexte festif ; au commencement 1 à 2 fois par mois en moyenne, actuellement moins d’une fois par mois. 1 est toujours dans les produits mais l’héroïne reste occasionnelle.


8 jeunes sont stabilisés à la même posologie de méthadone depuis plusieurs mois, et 2 sont en protocole dégressif ; l’une est à 5 mg/j et n’a plus de consommations parallèles, l’autre est sous gélule de méthadone (2 mg /j) afin de diminuer progressivement. Tous les patients font toujours l’objet d’un suivi 2 ans après le début du traitement.

La mise en place d’un traitement par la méthadone a entraîné l’arrêt de l’injection chez les jeunes usagers (sauf prise exceptionnelle).

 

Avec l’arrêt de l’injection et l’espacement des prises occasionnelles, les consommations de cocaïne se sont également espacées pour devenir exceptionnelles.

Concernant la consommation excessive et problématique d’alcool chez 1 des jeunes patients, un sevrage ambulatoire a été entamé et les consommations d’alcool ont considérablement diminué. Celles-ci sont passées d’une bouteille de vodka par jour mélangée à du vin mousseux et autres bières, à 1 demi-bouteille de rosé le soir, avec une tendance à la diminution de la consommation (occasionnelle).

Certains ont encore à l’occasion des envies de cocaïne. Ils en parlent et sont tenus par la volonté de ne pas réinjecter.

3) Situation professionnelle
Concernant les 3 lycéens : les 2 qui redoublaient leur terminale ont obtenu leur baccalauréat. L’un a poursuivi ses études et l’autre a fait une formation en informatique et a obtenu son diplôme en juin 2008. Il recherche actuellement un emploi. Pour les 6 patients « inactifs » : 1 a finalement repris ses études et est reparti dans de bonnes conditions cette année, 2 autres ont retrouvé un travail et 1 a obtenu un diplôme de fleuriste et recherche un emploi.

 
F. Conclusion
Cette démarche de soins chez ces jeunes usagers, aura finalement permis de trouver des réponses adaptées pour favoriser leur réinsertion sociale et éviter une possible marginalisation. Ils ont finalement appris à nous faire confiance et à respecter l’autorité que nous représentions. Evidemment, tous restent vulnérables et n’ont pas résolu le « pourquoi » de leurs consommations. Ils étaient d’ailleurs en majorité peu enthousiastes à s’engager dans un suivi psychologique. La plupart ne se sentaient pas prêts, et nous n’avons pas instauré de suivi psychologique obligatoire.
 
Nous avons préféré privilégier la relation de confiance en leur laissant la possibilité de consulter un thérapeute s’ils en ressentaient le besoin. L’instauration d’un traitement par la méthadone et le suivi rapproché ont eu des répercussions positives sur la diminution et l’arrêt des consommations de produits, les comportements induits, les répercussions diverses sociales et sanitaires. La mise en place d’un traitement par la méthadone les a notamment aidés à se prendre en charge et à se responsabiliser. Ils ont ainsi appris à limiter les comportements à risques et leurs conséquences sanitaires et sociales.