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L'actualité vue par la cyberpresse par Emmanuel Meunier
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Épidémiologie | ||
D’après l’ONUDC, la consommation d’opioïdes (héroïne, morphine et usage non médical d’opioïdes…) concernerait entre 0,6 et 0,8 % de la population mondiale âgée de 15 à 64 ans. Si l’Europe a observé une baisse très significative de la consommation d’héroïne vers la fin des années 1990 et le début des années 2000, notamment liée à l’apparition des produits de substitution, depuis 2003-2004, on assiste plutôt à une stabilisation. D’après OEDT, la prévalence de l’usage d’opioïde est de 3,6 et 4,4 cas pour 1 000 individus âgés de 15 à 64 ans. Cela représente environ 1,3 million (de 1,3 à 1,4 million) d’usagers d’opiacés à problèmes dans l’Union européenne et en Norvège en 2009. |
Ces taux sont inférieurs à ceux de la Russie qui se situe à 16 cas pour 1 000 individus âgés de 15 à 64 ans et l’Ukraine entre 10 et 13 cas pour 1 000 individus âgés de 15 à 64 ans. En France, d’après l’OFDT, 0,9 % des jeunes de 17 ans (1,0 % des garçons et 0,8% des filles) et 1,2 % des adultes ont déjà expérimenté l’héroïne et 0,2 % d’entre eux (soit 90 000 personnes) en avaient consommé dans l’année. La proportion d’expérimentateurs d’héroïne, après une hausse entre 2005 et 2008, est en diminution à 17 ans. Par contre, on constate une légère hausse de la consommation chez les jeunes hommes adultes : l’usage dans l’année est passé de 0,5 % en 2005 à 0,9 % en 2010 parmi les hommes de 18-34 ans. Sources : |
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Tendances récentes |
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En 2010, une maladie du pavot a fait baisser la production d’opium en Afghanistan (3 600 tonnes en 2010 contre 6 900 tonnes en 2009), qui a été partiellement compensée par la production Birmane et par celle de la Colombie et du Mexique. Certains éléments laissent penser que cette pénurie a encouragé les consommateurs de certains pays à remplacer l’héroïne par d’autres substances, telles que la désomorphine (“krokodil”) [Voir "Le Krokodil, une drogue artisanale qui se développe en Russie" in Héroïne - Actualité 2011], l’opium acétylé (“kompot”) et des opioïdes synthétiques, comme le fentanyl et l’usage détourné de buprénorphine. Plus marginalement, on constate l’usage de "rachacha", une pâte concentrée de têtes de pavot. Les usagers d’opioïdes sont principalement, des personnes sous médicaments de substitution qui en font un usage ponctuel, des jeunes très précarisés, des jeunes issus du milieu alternatif « techno » qui l’utilise comme régulateur des prises de stimulants (généralement sous le nom de « rabla ») et d’autres usagers qui l’utilise comme drogue « récréative » dans le cadre d’un |
poly-usage, en évitant l’injection et en préférant le snif ou l’inhalation (« chasse au dragon »). Les prix sont bas et à la baisse (37 euros en moyenne 2011 contre 42 euros en 2010) et une plus forte disponibilité du produit est constatée, grâce à des réseaux de cannabis qui commercialisent aussi de l’héroïne et par le développement de « voyages » dans les pays limitrophes (Belgique, Pays-Bas et Espagne surtout) où le gramme d’héroïne sur le marché de gros peut descendre jusqu’à 10 euros. La qualité de l’héroïne, en France, est globalement faible (l’enquête SINTES-héroïne 2011 fait état de taux situés entre 5,1 % et 9,3 %). Sources : |
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Traitements de substitution en Europe | ||
L’accès aux traitements de substitution progresse en Europe. Le nombre total de consommateurs d’opiacés recevant un traitement de substitution dans l’Union européenne, en Croatie et en Norvège est estimé à 700 000 personnes (690 000 dans les États membres de l’UE) en 2009 contre 650 000 en 2007 et près d’un demi-million en 2003. Dans les douze pays qui ont rejoint l’UE plus récemment, le nombre de patients recevant un traitement de substitution a presque triplé entre 2003 et 2009 et est passé de 6 400 à 18 000. Près des trois quarts des patients en traitement de substitution reçoivent de la méthadone. La buprénorphine (BHD) est prescrite à un quart des patients. |
La morphine à libération lente par voie orale, qui, à l’origine, a été autorisée pour traiter la douleur chez les patients cancéreux, est actuellement administrée comme médicament alternatif dans le traitement de substitution pour dépendance aux opiacés en Bulgarie, en Autriche, en Slovénie et en Slovaquie. Le naltrexone, un antagoniste des récepteurs des opiacés, est utilisée pour éviter la rechute dans la consommation d’opiacés. Des implants de naltrexone et de buprénorphine, l’administration de suboxone dans une puce électronique, sont développés à destination d’usagers en difficultés pour prendre régulièrement leur traitement.
Source :
Rapport OEDT 2011 |
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Traitements de substitution en France | ||
En France, 145 000 personnes bénéficient de prescriptions de traitements de substitution aux opiacés. La BHD (Subutex® et/ou génériques Arrow® et Mylan®) est toujours largement majoritaire : 75 % de bénéficiaires contre 25 % pour la méthadone. Si la plupart des patients utilisent la BHD dans un but thérapeutique, une minorité la détourne pour la consommer ou la revendre comme une drogue. Le laboratoire Reckitt Benckiser vient de lancer le Suboxone®, un comprimé sublingual à dissolution en 8 à 10 minutes analogue au Subutex® mais qui se différencie par l'ajout de naloxone. L'action de la buprénorphine est maintenue à l'identique mais la naloxone intervient pour limiter l’effet euphorisant de la BHD et ainsi réduire l’intérêt de son détournement et de son injection. Son prix est inférieur à celui de Subutex®. AFSSAPS a édité des recommandations concernant le traitement par la BHD. Outre un rappel des caractéristiques du médicament, des modalités de mise en œuvre du traitement, etc.; l'AFSSAPS attire l'attention sur plusieurs situations qui nécessitent des prises en charge particulières. - La prise en charge des co-addictions qui requièrent une posologie suffisante pour éviter le phénomène de compensation par un autre produit (benzodiazépines, tabac, cannabis, alcool ou cocaïne) si la posologie de BHD reste insuffisante. Un grand nombre de cas d’intoxication aiguë ayant ou non entraîné le décès du patient sont liés à des poly-intoxications associant la buprénorphine à deux autres dépresseurs du système nerveux central, l’alcool et/ou les benzodiazépines. - La prise en charge de la douleur de patients substitués par buprénorphine : Contrairement aux idées reçues qui voudraient qu’un patient substitué soit résistant à la douleur, le patient substitué a, au contraire, une hypersensibilité à la douleur (hyperalgésie) et les manifestations douloureuses chez ces patients sont 2 à 3 fois plus élevées que celle de la population générale. |
Une insuffisance de la prise en charge de la douleur peut avoir un effet néfaste sur le bien-être du patient et être à l’origine de rechutes ou d’automédications inadaptées. La buprénorphine est déconseillée en association avec des analgésiques morphiniques de palier II (codéine, tramadol, poudre d’opium) et contre-indiquée avec les paliers III (morphine, oxycodone, hydromorphone, fentanyl…) : il existe un risque de déclenchement d’un syndrome de sevrage et réduction d’efficacité des morphiniques analgésiques. - En cas de grossesse, il ne faut pas interrompre le traitement de substitution afin de prévenir un syndrome de sevrage et un risque de reprise de la consommation chez la mère, sources de souffrance fœtale. L’utilisation de la buprénorphine est possible en cours d’allaitement, car la quantité de buprénorphine et de ses métabolites ingérée via le lait maternel est très faible : l’enfant reçoit (en mg/kg) environ 1 % de la dose maternelle. - La prescription de « dépannage » doit être exceptionnelle et limitée à quelques jours (2-3 jours). Il est alors utile de prendre contact avec le prescripteur ou le pharmacien habituel. Une demande répétée de prescription de « dépannage » doit conduire à la réévaluation du traitement et le patient devra être orienté vers une structure de prise en charge spécialisée. L’AFSSAPS évoque aussi la question des relais méthadone-buprénorphine et buprénorphine-méthadone, les relais de prescription et les déplacements à l’étranger, ainsi que l’arrêt du traitement. Sources : |
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Traitement avec prescription supervisée d’héroïne | ||
Selon l’OEDT, un traitement avec prescription d’héroïne est proposé à un total d’environ 1.100 usagers d’opiacés à problèmes dans cinq États membres de l’UE (Danemark, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni) et à 1 360 usagers d’opiacés à problèmes en Suisse. L’OEDT a commandé un rapport au Cochrane Drugs and Alcohol Group, intitulé « New heroin-assisted treatment » qui valide scientifiquement l’utilisation supervisée d’héroïne médicinale comme traitement de seconde intention pour les usagers d’opiacés qui ne répondent pas aux autres traitements. Les auteurs ont révélé que le traitement avec prescription d’héroïne pouvait entraîner une « amélioration substantielle » de la santé et du bien-être du groupe, une « réduction majeure » de leur consommation continue d’héroïne « de rue », un « retrait majeur de toute activité criminelle », telle que des délits commis en vue du financement de leur consommation de drogues et une « amélioration notable de leur fonctionnement social » (p. ex. logement stable, taux d’emploi plus élevé). |
Le traitement injectables (dose généralement de quelques 20 milligrammes de diamorphine par injection) est administré sous supervision médicale directe pour garantir la sécurité et éviter tout détournement du médicament. Le coût estimé d’un traitement d’un an avec prescription d’héroïne s’élève à 19 020 € par patient et par an en Allemagne et à 20 410 € aux Pays-Bas, essentiellement à cause des moyens humains à mettre en œuvre. Néanmoins, « des économies de taille pour la société » sont vérifiées, notamment une réduction des dépenses associées aux procédures pénales et aux peines d’emprisonnement. Sources : |
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Soin et Insertion |
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Drogues et Société, en collaboration avec le dispositif d’appui du CIRDD Rhône-Alpes et CCMO Conseil, a réalisé un document intitulé « Insertion sociale et par l’emploi des usagers de drogues - Recommandations pour un accompagnement individuel et collectif ». Ce document s’appuie sur l’idée que « l’insertion peut constituer une ressource pour le soin au même titre que le soin peut constituer une ressource pour l’insertion » et propose une série de recommandations pour les professionnels qui suivent des usagers de drogues. Les auteurs observent que les professionnels « se focalisent souvent sur des critères de comportement au travail (ponctualité, assiduité, capacité d’intégration dans une équipe, implication) », à savoir, le degré d’adaptation de la personne aux exigences du milieu du travail, que sur l’évaluation des compétences. Or pour que la personne retrouve un minimum de confiance en elle-même, il conviendrait de s’y intéresser en priorité. La méthode du « récit de vie » permet au sujet, malgré des parcours chaotiques et les sentiments de honte et de culpabilité, de renouer avec des expériences du passé qui peuvent donner des indications importantes sur des savoir-faire. La méthode de la « mise en situation de travail » permet aussi de révéler des aptitudes, à condition que la personne soit accompagnée et que le poste de travail ait été adapté. Les professionnels ont à faire face à des projets d’insertion « irréalistes ». Plutôt que de les mépriser et de « casser » les espérances, le professionnel doit se centrer sur le « sens » de cette demande qui ne peut se concrétiser : « La dimension irréaliste, voire utopique, d’un projet peut donc recouvrir [plusieurs] significations, comme celle de renforcer une inscription sociale, de donner un autre sens à sa vie, de maintenir une bonne estime de soi, ou bien d’autres enjeux, comme celui ne pas se sentir prêt à s’engager mais tout en s’y sentant obligé. » Ce type de demande vient interroger les « possibles » et, parfois, le professionnel a-t-il une vue assez limité de ce que l’usager pourrait faire, du fait de politique publique qui confine l’espace de l’insertion à des |
emplois dans les espaces verts, la propreté des lieux publics ou toute autre activité manuelle ne nécessitant aucune qualification technique ou intellectuelle. Parfois, une demande est « perçue comme « irréaliste » car ne correspondant pas aux métiers ou activités professionnelles habituellement proposés dans ces actions d’insertion. » Or, la personne aura pu développer des compétences, y compris dans des contextes illégaux (travail au noir, trafic), qui pourraient être mobilisées. Le professionnel doit aussi faire face aux consommations, à leur reprise au moment du retour ou dans l’emploi. La mise en situation de travail oblige bien souvent « l’usager de reconsidérer son besoin de soin ou de meilleure observance. En ce sens, une coopération renforcée entre centres de soin et structures d’insertion par l’activité économique est un atout. » La stabilisation du traitement n’est pas un préalable à l’insertion, si les professionnels s’inscrivent dans une logique dynamique qui prend en compte que le traitement devra être réajusté par rapport à la situation de travail, mais aussi que le cadre de travail devra être adapté. Il convient de dédramatiser les consommations et observer dans quelle mesure elles sont gérées par l’usager pour qu’elles ne nuisent pas au contexte de travail. « Reconnaître le concept de gestion de la consommation, c’est ainsi raisonner en termes de dynamique et non en termes de résultats ou d’échecs et de mettre à disposition des ressources et des réponses visant à consolider une meilleure régulation des consommations, tendant à une diminution voire à l’abstinence. » Des consommations vont, chez l’usager, refléter des inquiétudes générées par le travail et ces consommations vont générer de l’inquiétude chez l’employeur. Aussi les professionnels doivent-ils accompagner pour rassurer et l’usager et l’employeur. Source : |