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Cocaine - Actualité 2010

COCAÏNE - ACTUALITÉ 2010

L'actualité vue par la cyberpresse
Par Emmanuel Meunier
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Épidémiologie

D’après le rapport 2010 de l’UNODC, 15 à 19,3 millions de personnes ont consommé de la cocaïne au cours de l’année dans le monde (ce qui correspond à une prévalence annuelle de 0,3 à 0,4 %). Au cours des 10 dernières années, alors que la consommation de cocaïne baisait aux Etats-Unis, le nombre d’usagers de cocaïne a doublé en Europe, passant de 2 millions en 1998 à 4,1 millions en 2008.

L’OEDT, dans son rapport 2010, estime à 14 millions le nombre d’Européens qui en ont consommé de la cocaïne au moins une fois dans leur vie, soit une moyenne de 4,1 % d’adultes âgés de 15 à 64 ans. Pour l’OFDT, il y aurait 1,1 M de personnes en France qui aurait consommé de la cocaïne au moins une fois dans la vie, dont 250.000 qui en aurait consommé dans l’année.

Thérapeutique : un guide des bonnes pratiques

En février 2010, la HAS (Haute autorité de santé) a publié un guide des bonnes pratiques pour la prise en charge des usagers de cocaïne. L’étude met en avant les complications liés à l’usage de cocaïne, en particulier cardio-vasculaires, neurologiques, ORL, infectieuses, dermatologiques et psychiatriques et, pour la femme enceinte, de complications obstétricales et périnatales. Les complications les plus fréquemment rencontrées sont citées dans le tableau ci-contre. Les consommations concomitantes d’alcool, de cannabis et de tabac augmentent le risque de complications. Le symptôme le plus souvent rencontré est la douleur thoracique (près de 40 % des cas). Un diagnostic parfois difficile chez les consommateurs de cocaïne avec le risque d’un retard de mise en route des traitements de reperfusion coronaire. La HAS rappelle donc que toute douleur thoracique doit conduire à un appel au Samu-Centre 15 et à un interrogatoire sur une éventuelle consommation de cocaïne.

Ce travail détaille également l’ensemble des stratégies de prise en charge médico-psycho-sociale. Il rappelle qu’à ce jour, aucun agent pharmacologique n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France dans le traitement des symptômes et complications liés à l’usage de cocaïne. Mais que nombreux essais cliniques ont permis d’identifier des agents pharmacologiques qui peuvent être utilisés dans certaines phases de la prise en charge des consommateurs de cocaïne comme le N-acétylcystéine (traitement mucolytique et un antidote des intoxications au paracétamol) pour la gestion du syndrome de sevrage ou le Topiramate (agent glutamatergique et GABAergique, est habituellement utilisé comme anticonvulsivant et en traitement préventif de la migraine) et le Disulfirame (prescrit dans le cadre du traitement de l’alcoolodépendance) pour la prévention de la rechute. En France, un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) a été accepté pour le modafinil dans la prise en charge des consommateurs de cocaïne.

Recherches et thérapeutique

Fin 2009, est lancée l’étude CAIMAN (Cocaine Addiction Imaging Medications and Neurotransmitters), qui devrait s’achever fin 2012, a pour but d’évaluer l’intérêt du modafinil. Le modafinil, un stimulant commercialisé mondialement depuis 1994 et prescrit en cas de narcolepsie ou d'hypersomnie, a été testé aux USA pour le traitement de la cocaïne. L’étude CAIMAN a débuté en octobre 2009 et a un obtenu un double financement, à la fois issu d’un Programme Hospitalier de Recherche Clinique national et d’un appel d’offre Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et Toxicomanies (MILDT)-INSERM. Trente hommes dépendants à la cocaïne sont prévus pour cette étude qui dure trois mois pour chaque patient au cours de laquelle soit du modafinil 400mg, soit un placebo. Ils sont d’abord hospitalisés pour une cure de sevrage en cocaïne de 17 jours dans le service d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse (AP-HP) à Villejuif. Puis, dans le département de recherche médicale du Centre Hospitalier Frédéric Joliot à Orsay, où les examens d’imagerie cérébrale sont pratiqués avant la prise du traitement et à la fin du sevrage.

Ensuite, un suivi en consultation ambulatoire est planifié sur 9 mois.

Le Groupe Pompidou, lié Conseil de l'Europe, émet des réserves sur des recherches visant à fabriquer des « vaccins » contre certaines addictions. Ces molécules sont destinées à modifier temporairement la réceptivité du sujet humain à certaines substances, en particulier la cocaïne et la nicotine. Ils sont actuellement au stade de tests cliniques dans plusieurs pays. La plateforme estime que la perspective de mise sur le marché de tels « vaccins » pose des problèmes de fond notamment parce qu'ils auront une capacité à intervenir dans les préférences des individus ainsi que dans leur intégrité physique et psychique. Les développements rapides qui pourraient intervenir, amèneront la nécessité pour les politiques de prendre des décisions importantes. Un rapport sur « les questions éthiques soulevées par le « vaccin » contre la toxicomanie », accompagné d’une analyse de presse et d’un avis de la plateforme a été adoptés en juin 2010.

Prévention

L’INPES a édité en 2010 une brochure intitulée « 24 réponses sur la cocaïne. » La brochure explique simplement les effets de la cocaïne. Extraits : La cocaïne est une drogue « psychostimulante » : elle accélère le fonctionnement du cerveau et le fait « tourner en surrégime » en faisant disparaître certains signes d’alerte qui l’avertissent habituellement de la fatigue, du sommeil, de la douleur et de la faim. À cause de ce dérèglement du cerveau, le consommateur peut éprouver juste après une prise :
> la sensation d’être « à fond », plein d’énergie, très fort, infatigable ;
> la sensation d’avoir plus de capacités intellectuelles (d’être plus vif, plus réactif) ;
> la sensation d’avoir une plus grande facilité dans ses relations avec les autres (d’être à l’aise, de pouvoir parler à tout le monde, que « tout est possible »).
Ces sensations sont de courte durée (généralement moins d’une heure quand la cocaïne est sniffée, 5-10 minutes quand elle est fumée). Quand elles disparaissent, le retour à la réalité (la « descente ») est pénible, la fatigue accumulée se fait lourdement sentir…

Prendre de la cocaïne pour étudier ou travailler « jusqu’au bout de la nuit » est à double tranchant : la sensation d’absence de fatigue qu’elle procure est très provisoire et « se paye » lors de la « descente » ; des troubles de la mémoire, de la concentration et de l’attention peuvent également s’installer en cas de consommation fréquente.

La consommation fréquente de cocaïne entraîne souvent l’apparition d’un effet « parano » qui peut se manifester dès les premiers effets ou un peu plus tard lors de la « descente » Cocaïne et alcool interagissent : la cocaïne permet de boire beaucoup d’alcool sans ressentir aussi vite que d’habitude les effets de l’ivresse, l’alcool « amortit » les effets de la cocaïne et donne envie d’en consommer davantage.


Même chez des personnes jeunes n’ayant aucun antécédent, la cocaïne peut entraîner, dès la première fois, divers risques cardiaques : troubles du rythme cardiaque, douleurs à la poitrine (comme si on recevait un coup de couteau), et même – surtout chez les fumeurs ou en cas de mélange avec l’alcool, le cannabis ou d’autres produits – infarctus ou arrêt cardiaque qui peuvent être mortels.


Être dépendant à une drogue, c’est passer du plaisir au besoin, ne plus pouvoir s’en passer, sous peine de souffrance physique et/ou psychique (psychologique). La dépendance psychique peut être extrêmement forte en cas de consommation régulière de cocaïne. C’est ce qu’on appelle le « craving » : une envie obsédante et presque irrésistible de trouver et de consommer de la cocaïne qui apparaît 2 à 3 jours après la dernière prise.

Trafic : une scène de Crack à Saint-Denis

2010 a été marqué par les suites du démantèlement de la « scène de Crack » de Saint-Denis intervenu en octobre 2009. La gare RER de la ville était devenu une scène de revente à ciel ouvert qui drainait une clientèle de plusieurs centaines d’usagers de drogue, les uns insérés, ne passant que pour acheter, d’autres très précaires finissant par s’installer sur place. L’arrestation de dealer et l’installation d’un poste de police fonctionnant 7 jours sur 7 a contribué à disperser le trafic. 20minutes du 25/06 rapporte : « C'était le Bronx ici. Maintenant, c'est calme. » Du moins, « sur le carré, là », dit-il en pointant du doigt l'esplanade. « Les mecs sont partis là derrière », croit-il savoir, désignant les rues perpendiculaires au tramway et le secteur de l'autre côté de la voie ferrée.

« Avant, la police tournait la tête lorsque les dealers trafiquaient dans la rue, devant tout le monde », confirme Mustapha qui habite ici depuis 5 ans. « Maintenant, le quartier est devenu extra ! » Lui aussi dit voir quelques trafiquants « tôt le matin » plus loin, le long du canal, « mais pas plus qu'ailleurs ». En face, le patron d'un bistrot, qui exige l'anonymat comme beaucoup, est moins optimiste : « y'a un mieux, ça, c'est sûr. Mais les trafiquants ont quitté la place pour aller dans les ruelles aux alentours… Les restos y sont ouverts toute la nuit, vous trouvez ça normal ? », demande-t-il, sous-entendant que le trafic de drogue s'y déroule toujours. Mais plus discrètement, à l'abri des regards. « Et puis, de nombreuses maisons restent squattées… » Des maisons insalubres sont murées, des nouvelles interpellations ont lieux, mais sans pouvoir résoudre le problème.

Trafic international : l’Afrique déstabilisée par les Cartels

Christophe Champin dans "Afrique noire, poudre blanche, L’Afrique sous la coupe des cartels de la drogue" (2010) raconte comment depuis le début des années 2000, les cartels latino-américains de la drogue ont investi l’Afrique, en particulier la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée-Conakry et, plus récemment, le Mali. Pour approvisionner le marché européen, qui a explosé ces dix dernières années, les organisations criminelles, notamment colombiennes, cherchent de nouvelles « routes » pour amener leur marchandise à bon port afin d’échapper aux contrôles des polices européennes et américaines. Les quantités saisies en Afrique ont grimpé en flèche : de moins d‘une tonne, avant 2005, à 33 tonnes, entre 2005 et 2007. Pourquoi l'Afrique ? Parce que l'État y est faible selon Christophe Champin : « L'Afrique de l'Ouest est alors apparue comme une plate-forme idéale : elle est proche de l'Europe, les États y sont fragiles avec des structures faibles et une corruption forte. C'était donc facile de s'implanter pour en faire une plate-forme de stockage et de redistribution. […] Au cœur de ce business, il y a aussi le réseau intarissable des “mules”, les passeurs qui ingèrent de la cocaïne dans des petits sachets plastiques ou la transportent dans un double fond. »

Antonio Maria Costa de l’UNODOC soupçonne les mouvements islamistes comme l’AQMI (al Qaeda au Maghreb islamique) de toucher leur dîme sur le passage des chargements de cocaïne à travers le Sahel : « Ce sont plus que de simples preuves qui indiquent des interconnexions entre les trafiquants de drogue et les groupes terroristes islamiques. C’est désormais une réalité dangereuse pour la stabilité de la région. »

Ces évolutions sont observées par les diplomates américains dont les notes ont été révélées, fin 2010, par le site Wikileaks.  « Le trafic de narcotiques est en augmentation, et sans une volonté politique forte pour combattre ce fléau, l'Afrique occidentale sera incapable d'arrêter cette marée dangereuse », écrivait en avril 2009 l'ambassade américaine de Sierra Leone.
Après la Guinée-Bissau, qualifiée de « premier narco-Etat émergent en Afrique », le Mozambique est devenu « la deuxième place africaine la plus active pour le transit des narcotiques », écrit un diplomate. La cocaïne arrive « par avion à Maputo depuis le Brésil ».  L'ambassade américaine de Maputo s'inquiète aussi d'une nouvelle législation sur les casinos, plus laxiste, signée en janvier 2009 par le président Guebuza : « La loi abaissera effectivement les barrières pour les narcotrafiquants qui cherchent à blanchir leurs fonds. » En Guinée aussi le pouvoir est impliqué. Les notes révèlent que Lansana Kouyaté, alors Premier ministre, aurait reconnu en 2008 devant l'ambassadeur des Etats-Unis qu'Ousmane Conté, fils du président Lansana Conté était le principal trafiquant du pays. Depuis 2009, Ousmane Conté est en résidence surveillée dans l'attente de son procès pour trafic de drogue. Le titre d'un télégramme diplomatique rédigé en 2004 par l'ambassade américaine à Nairobi (Kenya), est sans ambiguïté: « Les gangs internationaux de trafiquants de drogue bénéficient de l'impunité au Kenya. » Depuis, la situation ne semble pas avoir radicalement changé. Le 16 novembre 2010, l'ambassadeur américain à Nairobi a ainsi averti publiquement que le Kenya est « un pays significatif pour le transit de la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud vers l'Europe. »