SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Hépatite C, consommation de drogues et d'alcool

HEPATITE C, CONSOMMATION DE DROGUES ET D'ALCOOL :
Quel impact, quelle prise en charge ?
Dr Pascal MÉLIN, Centre hospitalier de Saint-Dizier (52)

Le Flyer N° 20, Mai 2005

 
Les données du problème
En France, la prévalence du VHC est estimée à 1,26%, ce qui représente 780 000 personnes. La population française compterait par ailleurs 5 millions de buveurs excessifs (1) et 1 million d’alcoolo-dépendants. La prévalence de l’hépatite C chez les gens en difficulté avec l’alcool étant évaluée à 3-4%, 240 000 usagers d’alcool seraient infectés par le VHC, dont certains co-infectés VHC/VIH. Pour trouver ces 240 000 personnes, il est urgent de renforcer le recours au dépistage.
 

On recense en France 40 000 patients co-infectés VIH/VHC : 30 à 40% de ces patients sont en pré-cirrhose (F3) ou en cirrhose (F4). Selon les données récemment publiées (2), ces personnes ont un usage d’alcool plus important qu’une population standard. L’alcool accélère la progression de la fibrose et diminue l’efficacité du traitement anti-VHC. Lorsqu’on parle de co-infection, il n’est donc pas possible de mettre de côté les patients alcooliques et les questions relatives à la consommation d’alcool.

Les conférences de concensus
Que disent les conférences de consensus sur le traitement de l’hépatite C des patients alcooliques ?
- France, 1997 : pas de traitement anti-VHC chez l’alcoolique.
- France, 2002 : il est possible de traiter un patient alcoolique, mais seulement après l’obtention de la plus grande modération possible.
 
Pour avoir les meilleures chances de réponse au traitement, il est fortement conseillé d’imposer au moins 6 mois d’abstinence avant initiation du traitement ; une position qui équivaut à faire un chantage à l’abstinence pour l’accès aux soins.
- États-Unis, 2002 : on ne traite qu’après 6 mois d’abstinence, avec une grande vigilance.
Etude prospective sur 5 ans

A Saint-Dizier, nous disposons d’un service de médecine comprenant 4 lits d’alcoologie. Notre étude porte sur 713 malades hospitalisés (dont 75,2% d’hommes). 97,2% d’entre eux ont été dépistés pour le VHC : 26 hommes et 8 femmes ont présenté des tests positifs.


Le mode de contamination de ces personnes était majoritairement (75%) l’usage de drogues (21 hommes, 5 femmes) ; 3 personnes ont été contaminées par transfusion, 1 personne par rapport sexuel, 1 autre à la suite d’un tatouage. L’âge moyen au moment de la contamination était de 23 ans.


La durée de la consommation d’alcool atteignait plus de 10 ans dans 60% des cas. 14 patients buvaient plus de 200 g d’alcool par jour (3-4 litres de vin) ; 3 seulement avaient une consommation de moins de 80 g par jour (moins d’un litre).

 
Parmi ces 34 patients, 1 personne était co-infectée VIH/VHC, 1 autre VHC/VHB et 6 étaient non virémiques, soit un taux de guérison spontanée équivalent à celui indiqué dans la littérature. 18 patients présentaient un virus de génotype 1, 8 un génotype 2 ou 3 et 2 un génotype 4. Une majorité (22/28) avait une charge virale forte, supérieure à 2 millions de copies. 78% des patients avaient des hépatites moyennes ou sévères (F2 à F4) : les personnes en difficulté avec l’alcool ont donc le plus souvent une hépatite sévère.
Voyons le devenir de ces patients au terme de 6 ans de suivi : nous déplorons 4 décès dont 1 par cancer et 3 suicides (1 sous traitement). 17 patients ont été traités pour leur hépatite C. 12 ont obtenu une réponse virologique prolongée, ce qui équivaut à presque 70% de réussite, ce qu l’on observe dans une population « standard ». 1 personne n’a pas répondu au traitement, 2 ont fait des rechutes, 1 personne a abandonné le traitement.
Alliance thérapeutique avec le patient
A Saint-Dizier, nous nous efforçons de faire une alliance thérapeutique avec le patient, plutôt que de conclure un « contrat de soins ».
Exiger 6 mois de sevrage avant d’initier un traitement anti-VHC est une erreur. Le 6e mois d’abstinence, c’est la sortie de la « lune de miel », le moment où les personnes commencent à s’épuiser dans leur abstinence.
Si elles débutent un traitement par interféron (IFN) à cette période, elles risquent de décompenser. Repensons plutôt cette prise en charge : si, très tôt dans le parcours du patient, vous lui proposez une prise en charge mixte alcool-hépatites, après quelques mois, vous pourrez lui dire : « vous êtes abstinent et en plus vous êtes non virémique. Peut-on persister encore quelques mois dans l’abstinence pour continuer votre traitement contre l’hépatite C ? ».
 

Nous avons traité ainsi des patients non abstinents. Il se sont sentis encouragés dans leur traitement et ont naturellement fait des efforts pour diminuer leur consommation d’alcool.
Dans le cadre de cette prise en charge mixte, nous disposons d’au moins 1 an (la durée du traitement de l’hépatite C) pour traiter la question de l’alcool, remonter à la source du problème, mettre en place une vraie prise en charge psychiatrique, etc.


En procédant de cette façon, nous obtenons des abstinences supérieures à celles d’une population d’alcooliques standard pris en charge pour leur alcool : 3-4 ans après la fin du traitement anti-VHC, la plupart de nos patients sont toujours abstinents.

Les opiacés contre l'alcool "défonce"

Sur les 25 patients que nous avons suivis, 14 avaient été toxicomanes puis alcooliques (substitution alcoolique) ; 11 avaient été alcooliques, puis toxicomanes et étaient revenus à l’alcool. Dans le premier groupe de 14 patients, le score moyen de fibrose était de 2,7 ; dans le second, il était « seulement » de 1,5.


Comment expliquer cette différence ? Elle nous semble dûe à la « façon de boire » : initialement toxicomane, le premier groupe garde un alcool « défonce » et fait régulièrement des hépatites alcooliques aiguës. En revanche, le second groupe a une consommation d’alcool plus régulière.

 

Or, il est prouvé qu’une consommation régulière d’alcool entraîne le développement de mécanismes anti-fibrosants qui permettent au foie de mieux « encaisser » les poussées d’alcoolisme.
Parmi les patients alcooliques que nous ne parvenons pas à sevrer, certains sont des ex-toxicomanes, qui ont dérégulé un mécanisme cérébral impliquant les opiacés. La réintroduction d’opiacés chez ces patients pourrait peut-être les sortir de cette fausse substitution qu’est l’alcool. Nous sommes quelques médecins à utiliser les opiacés pour « rattraper », avec succès, certains patients en cirrhose ou en pré-cirrhose (prescription hors des indications de l’Autorisation de Mise sur le Marché).

Recommandations chez le patient co-infecté ayant un problème d’alcool
Dans un tel cas, il convient en premier lieu d’évaluer la fibrose. Si le patient a une hépatite minime (F0/F1), une consommation d’alcool modérée est possible (moins de 3 verres/jour), mais il faut probablement traiter l’hépatite C. Par ailleurs , une consommation d’alcool aussi petite soit-elle n’est pas anodine et peut induire une polynévrite, augmenter le risque de pancréatite sous traitement anti-VIH, etc.
Chez les patients ayant un score de fibrose F2, la consommation d‘alcool doit être nulle ou exceptionnelle. Il faut donc mettre en place une éducation sur la question de l’alcool et un traitement de l’hépatite C.
 

Chez les patients en F3/F4, une consommation nulle d’alcool et de drogues hépatotoxiques est à préconiser. Chez ces patients, l’utilisation d’antiviraux dosables dans le sang permet de pallier une accumulation toxique de médicaments en adaptant les posologies.


La stratégie de traitement des patient co-infectés doit bien sûr comprendre une préparation psychologique au traitement, une préparation à la gestion des effets indésirables, en plus d’une préparation à la gestion des substances psychotropes.

La co-infection et la toxicomanie

Dans près de 50% des cas, les toxicomanes co-infectés ont une hépatite minime. Les drogues seraient-elles donc hépato-protectrices ?
En fait, les patients toxicomanes sont généralement dépistés « précocement » dans leur maladie hépatique.

Cependant, après 2010, nous verrons des toxicomanes avec des cirrhoses et nous serons alors massivement confrontés au problème des transplantations.

 

Quels sont les effets sur le foie des différents produits :
- le cannabis : son action sur le foie, controversée, a une nouvelle fois été discutée à l’EASL 2004(3). Des équipes ont montré qu’in vitro, le cannabis pourrait avoir un effet anti-fibrosant :


- l’héroïne aurait probablement une action neutre sur le foie ;
- la cocaïne, l’ecstasy, les benzodiazépines et l’alcool sont clairement hépatotoxiques.

Les données présentées à l’EASL 2004
La fibrose d’un patient toxicomane évoluerait-elle plus rapidement que celle d’un patient non toxicomane ?
Une équipe bulgare a comparé l’évolution histologique (par biopsie hépatique) de 60 patients toxicomanes actifs avec celle de 60 patients ex-toxicomanes (4). Les patients tous atteints d’hépatite chronique C, avaient été appariés sur les consommations d’alcool, leurs âges, etc.
L’indice de progression de fibrose était de + 0,08%/an chez les ex-toxicomanes (ce qui est très lent), contre + 0,5/an chez les usagers actifs.
 
Selon cette étude, le toxicomane actif progresserait 8 fois plus vite vers la cirrhose que le patient ayant cessé toute consommation.

L’usage de drogues serait donc un facteur fibrosant.
Néanmoins, les chercheurs n’ont pas pris en compte de nombreux cofacteurs pouvant influer sur l’évolution hépatique : la dénutrition, les conditions de vie des toxicomanes actifs et les problèmes liés aux « produits de coupe », éventuellement hépatotoxiques.

Les données que nous avons recueillies à Saint-Dizier (non présentées à l’EASL 2004)
Nous avons suivi durant 6 ans 33 patients VHC (non co-infectés) non traités, ayant pratiqué une biopsie à 2 reprises (75% d’hommes, 45% de génotype 1, âge moyen au moment de la contamination = 22 ans).
Lors de la première biopsie hépatique, l’âge moyen de ces patients était de 30 ans. 70% des patients présentaient une hépatite minime, 30% une hépatite modérée à sévère. Leur consommation moyenne était de 135 g d’alcool par jour. 62% de ces patients étaient suivis dans notre programme de substitution.
Aujourd’hui, le problème n’est pas tant de savoir si les patients en traitement de substitution consomment occasionnellement des drogues que de régler leur problème d’alcool. La plupart des intervenants en toxicomanie ne considèrent pas suffisamment la question de l’alcool, simplement parce que l’alcool est légal. Pourtant, c’est un des produits les plus hépatotoxiques qui soient.
Lors de la seconde biopsie, pratiquée en moyenne 3 ans et demi après la première, les proportions étaient inversées : nous avions 2/3 d’hépatites modérées à sévères et 45% des patients avaient progressé d’au moins un point de fibrose entre les deux biopsies.
 

La progression moyenne entre les deux biopsies était de 0,563 point, soit un peu moins que les chiffres présentés par l’équipe bulgare de l’EASL ; mais nos patients étaient substitués et non usagers actifs de drogues.
En moyenne, les patients qui avaient une hépatite minime lors de la première biopsie ont davantage progressé en score de fibrose que les patients qui avaient une hépatite modérée ou sévère (sans traitement anti-VHC). Pourquoi une telle différence ?


Avec du recul, nous pensons que les patients ayant des hépatites minimes n’ont pas reçu d’information en rapport avec leur consommation d’alcool lors de leur première biopsie : nous les avons « laissés boire » en nous « félicitant » de l’arrêt de l’usage de drogues. Résultat : leur fibrose a progressé.
En revanche, nous avons été particulièrement vigilants sur l’éducation par rapport à l’alcool des patients en F2/F3. Résultat : leur fibrose a moins progressé.
La progression de la fibrose observée aujourd’hui chez les usagers de drogues résulte d’une mauvaise prise en charge du problème de l’alcool.

Conclusion

Les facteurs de progression de la fibrose hépatique sont l’alcool, les médicaments, les problèmes nutritionnels et la précarité. Plus une personne est en situation de précarité, plus sa fibrose risque de progresser.


Les usagers de drogues sont les cirrhotiques et les transplantés de demain. Il faut donc se poser les questions de leur prise en charge aujourd’hui.

 

Les résultats préliminaires de l’étude PONTS (5) ont montré que l’expérience, le savoir-faire du centre de soins sont déterminants pour la réussite du traitement des patients héroïnomanes substitués. En vérité, la prise en charge de l’hépatite C dans des programmes de substitution, par des équipes entraînées et multidisciplinaires, permet d’obtenir 70% d’éradication virale. Il faut aujourd’hui se débarrasser des freins qui nuisent à la prise en charge des usagers, et en particulier des usagers co-infectés.

Notes

(1) Selon les définitions de l’Organisation Mondiale de la Santé, un buveur excessif est un homme qui boit au moins 3 verres d’alcool par jour ou une femme qui boit au moins 2 verres d’alcool par jour.


(2) Cf. données de l’étude APRICOT, p. 6


(3) 39e Congrès annuel de l’EASL (European Association for the Study of the Liver), Berlin, 14-18 avril 2004

 

(4) «The impact of intravenous drug abuse on liver histology and fibrosis progression in patients with chronic hepatitis C », I. Ivanova and others, Abstract 484, 39th EASL, 14-18 avril 2004, Berlin


(5) PONTS : Premier Observatoire National du traitement de l’hépatite C chez les Toxicomanes Substitués. Présentation du 6e Colloque international toxicomanies, hépatites, sida, THS 6, 7-11 octobre 2003, Aix en Provence.