SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Infections virales (VIH, VHC, VHB)

Un cas de perturbation du bilan hépatique chez un consommateur d'ecstasy

UN CAS DE PERTURBATION DU BILAN HÉPATIQUE
CHEZ UN CONSOMMATEUR D'ECSTASY
Dr Xavier AKNINE, CSST Gainville, Aulnay-sous-Bois

Le Flyer n°15, janvier 2004
 
Introduction
L'usage d'ecstasy (3,4 méthylene-dioxy-méthamphétamine) s'est développé chez les jeunes adultes depuis les années 80 pour ses effets stimulants, désinhibiteurs et faiblement hallucinogènes, principalement lors de soirées dansantes (rave-parties).
Des effets indésirables sévères dus à l'ecstasy (convulsions, hyperthermie maligne, insuffisance rénale aiguë, coagulation intra-vasculaire disséminée et rhabdomyolyse) ont été décrits et ont entraîné plusieurs décès (1,2).
 

L'hépato-toxicité de l'ecstasy est moins connue et son mécanisme physiopathologique reste à élucider. Toutefois, elle peut être d'une extrême gravité puisque des cas d'hépatite fulminante ont été publiés (3).

L'observation rapportée est celle d'un jeune homme de 21 ans, amené par sa mère en consultation de médecine générale en février 2003.

Observations

Le motif de consultation était lié à son bilan hépatique qui comportait plusieurs anomalies. Celui-ci avait été prescrit il y a 1 mois en raison d'une asthénie persistante. Ce bilan montrait une cytolyse avec ALAT à 5N et ASAT à 6N. Les gamma GT étaient normales. L'échographie hépato-biliaire ne révélait aucune anomalie.

La mère était persuadée que son fils avait une hépatite virale.
Elle craignait aussi le SIDA et me disait que son fils était très fatigué.
Le jeune homme était peu bavard en présence de sa mère. Il ne présentait pas d'ictère et était apyrétique. La palpation du foie ne retrouvait pas d'hépatomégalie et il ne présentait pas de signe d'insuffisance hépato-cellulaire. Un nouveau bilan hépatique fut donc prescrit ainsi que des sérologies VHA , VHB, VHC et VIH.
La mère fut prévenue qu'il ne s'agissait peut-être pas d'une hépatite virale et il fut demandé à son fils de revenir seul avec les résultats du bilan.

 
Lors de cette seconde consultation, le patient évoqua ses consommations d'ecstasy le week-end lors de soirées dansantes, à raison de 1 à 2 comprimés par soirée. Il avait commencé à en prendre il y a 1 an et demi et reconnut que ces derniers mois, la consommation d'ecstasy s'était accrue à 3 prises par semaine. Il travaillait et évoquait une fatigue inhabituelle depuis quelques mois.
Il fumait aussi 5 joints par jour de cannabis et ne consommait pas d'alcool ni d'autres produits psycho-actifs. Il signalait des trous de mémoire mais ne présentait pas de trouble psychiatrique et disait avoir bien supporté les " descentes " d'ecstasy.

Les sérologies VHA, VHB, VHC et VIH se sont révélées négatives. Les transaminases se sont normalisées . Durant 1 mois , le patient n'avait pas pris d'ecstasy en raison de son état de fatigue et avait l'intention d'arrêter sa consommation à l'avenir .
Le patient se sentait en meilleure forme physique.
Discussion

L'imputabilité de ce cas d'hépatite aiguë à l'ecstasy est hautement probable puisque le patient n'avait consommé aucun autre produit hépatotoxique durant la même période (alcool, médicament,...) et le bilan hépatique s'était normalisé un mois après l'arrêt de l'ecstasy. Une observation similaire a été rapportée par P. Perney et al.(3) en 1998 chez un jeune homme qui avait présenté un ictère avec altération de l'état général et des perturbations encore plus importantes du bilan hépatique (ALAT = 60N, TP = 43 %) à la suite d'une consommation majorée d'ecstasy. Dans ce cas , le bilan hépatique s'était normalisé en 2 mois après l'arrêt de la drogue de synthèse.


Le mécanisme physiopathologique de l'hépatotoxicité de l'ecstasy est mal connu. Certains auteurs (4) évoquent l'hypothèse d'un lien entre l'hyperthermie provoquée par l'ecstasy et son hépatotoxicité. Mais ce point est controversé, car des cas d'hépatite aiguë ont été rapportés (3) sans hyperthermie associée. Selon d'autres auteurs (5), le déficit en vitamine E aggraverait la neurotoxicité et les lésions de nécrose hépatique.

 

V.Andreu et al. (6) ont rapporté 62 cas d'hépatite aiguë à l'ecstasy et évoquent un mécanisme d'hypersensibilité car des polynucléaires éosinophiles étaient retrouvés en grand nombre au niveau de l'espace porte dans leur étude.


Montiel-Duarte C. et al. ont mis en évidence chez le rat, un phénomène d'apoptose au niveau des hépatocytes induit par l'ingestion d'ecstasy et suggèrent ainsi une explication physiopathologique à l'hépatotoxicité de l'ecstasy chez l'homme.


Nunez et al. (7) insistent sur la variabilité des tableaux cliniques liés à l'hépatotoxicité de l'ecstasy qui vont de l'hépatite aiguë à l'hépatite fulminante pouvant entraîner le décès. La toxicité hépatique de l'ecstasy ne semble pas liée à la dose, ni à la durée de l'intoxication (3).


Enfin, l'usage clandestin de l'ecstasy rend très difficile le contrôle de la qualité et de la composition des comprimés d'ecstasy en circulation (rôle des excipients, additif).

Conclusions
Cette observation s'ajoute donc aux cas d'hépatite aiguë liée à l'ecstasy déjà décrits dans la littérature. Elle confirme la nécessité de rechercher une consommation d'ecstasy à l'interrogatoire devant tout tableau de cytolyse et/ou de cholestase inexpliquée.
Dans l'observation rapportée, la cytolyse est apparue après une phase de consommation répétée d'ecstasy durant plusieurs mois .
L'asthénie importante du patient et l'élévation significative des transaminases à 5N pour les ALAT confirment le caractère non anodin d'une consommation d'ecstasy.

Les campagnes de prévention menées auprès des jeunes sur les produits psycho-actifs devraient donc intégrer le risque d'hépatotoxicité sévère liée à la consommation d'ecstasy, pouvant conduire au décès.
 

Dans le cas présenté, il faut être très vigilant sur la prévention d'une rechute de consommation d'ecstasy qui pourrait être responsable d'une hépatite fulminante du fait des mécanismes d'hypersensibilité évoqués dans la littérature.


Les troubles mnésiques décrits par le patient sont probablement liés à la consommation quotidienne de cannabis.

L'association d'une consommation non négligeable de cannabis et d'ecstasy est fréquente. Elle ne doit pas être banalisée compte-tenu des risques d'accident de la circulation, de troubles du comportement et de l'humeur liés à cette association de produits.

Bibliographie
1. Becker J., Neis P., Rohrich J. Zorntlein S.. A fatal para-methoxymethamphetamine intoxication. Leg Med (Tokyo ) 2003 Mar ;5 Suppl : S138-41.

2. Carrion J-A., Escorsell A., Nogue S., Mas A.. Ecstasy-induced fulminant hepatic failure and emergency liver transplantation. Med Clin (Barc) 2003 Jun21 ;12(3) :118-9.

3. Roques V., Perney P., Beaufort P. et al.. Hépatite aiguë à l'ecstasy. Presse Med. 1998 ; 27 ; 468-70.

4. Carvalho M. et al. Effect of ecstasy on body temperature and liver antioxydant status in mice : influence of ambient temperature . Archives of Toxicology. 76(3) : 166-72, 2002Apr.
 
5. Johnson et al.. d-MDMA during vitamin E deficiency : effects on dopaminergic neurotoxicity and hepatotoxicity. Brain Research . 933(2) : 150-63, 2002 Apr 19.

6. V. Andreu et al. Ecstasy : a common cause of severe acute hepatotoxicity. Journal of Hepatology 1998 ; 29 : 394-397.

7. Nunez O. et al. Variability of the clinical expression of Ecstasy -induced hepatotoxicity. Gastroenterologia y Hepatologia. 25(8) : 497-500, 2002 Oct.
Commentaires de Jean-Pierre JACQUES du comité de lecture
Malgré le net intérêt qu'il porte à cette observation, Jean-Pierre Jacques émet quelques réserves sur l'imputation de ce cas d'hépatite aiguë à l'ecstasy seul, sur la foi des déclarations du patient quant à son abstinence d'alcool. Selon les enquêtes de terrain (cf. G. Hacourt, Pilules sans ordonnances' L'Harmattan, et d'autres auteurs), la combinaison alcool et 'pilules' est très fréquente et sous-estimé.
 
En outre, vu le caractère clandestin de la fabrication et de la distribution de l'ecstasy, rien ne permet à coup sûr d'affirmer qu'il s'agissait bien de MDMA et non de molécules apparentées ou d'adultérants. Il lui semble prudent de mettre des 'guillemets' autour du terme ecstasy dans cet article, même si la littérature a déjà fait état de l'hépatotoxicité de cette substance, comme le souligne Xavier AKNINE.