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Représentations du VIH - SIDA et comportements à risques chez des adolescents scolarisés dans la banlieue parisienne

REPRÉSENTATIONS DU VIH-SIDA ET COMPORTEMENTS À RISQUES CHEZ DES ADOLESCENTS SCOLARISÉS
DANS LA BANLIEUE PARISIENNE
par Marta Antunes Maia, Docteur en anthropologie sociale

Correspondances, Automne 2006
 
Présentation de l'enquête

Cet article est issu d'une recherche sur la sexualité des adolescents (Maia, 2004). L'objectif premier de notre recherche était d'éva- luer le poids de l'appartenance socioculturelle dans les représentations et le vécu de la sexualité d'individus de 13 à 20 ans scolarisés dans la banlieue Est de Paris. Le second objectif s'est centré sur l'analyse des représentations du VIH-sida et des compor- tements à risque des populations collégiennes et lycéennes contactées à cet effet.


L'enquête s'est déroulée à Montreuil, ville peu- plée majoritairement par les classes moyennes et défavorisées, et à Vincennes, dont la population est économiquement plus aisée.
Nous avons pu constater que le profil social des personnes dicte leurs comportements et leurs représentations sociales jusqu'aux sphè- res les plus intimes de leur vie, telle la sexualité. Celle-ci revêt, dans les compor- tements comme dans les représentations, des formes multiples, que nous avons trouvées dans des populations voisines mais séparées par la condition sociale et par le contexte scolaire dans lequel s'insère chacune d'entre elles, à savoir, des établissements publics à Montreuil et des établissements privés à Vincennes.

 
Ces populations se distinguent par les connaissances, les croyances, les attitudes et les pratiques en ce qui concerne les maladies sexuellement transmissibles.
Une enquête de terrain a été réalisée dans quatre établissements scolaires : un collège public, le collège Fabien, et un lycée public, le lycée Jean Jaurès, à Montreuil, et deux établissements catholiques privés, l'institution Notre-Dame de la Providence et le lycée Gregor Mendel, à Vincennes. Les établis- sements publics sont fréquentés surtout par des adolescents des classes moyennes et défavorisées, et la diversité culturelle est assez importante : seul 18% des élèves ont des parents français. Les établissement privés sont fréquentés surtout par des adolescents des classes aisées, et la diversité culturelle est moindre : 77% des élèves ont des parents français (Antunes-Maia, 2002).
Des entretiens ont été menés avec une cinquantaine d'élèves des établissements cités, ainsi qu'une enquête par questionnaires auprès de plus de 200 élèves du collège Fabien, âgés de 13 à 19 ans, et plus de 200 élèves de l'Institution Notre-Dame de la Providence (ou la Providence, comme elle est couramment nommée), sensiblement du même âge.
Contexte socioculturel et éducationnel
Il s'agit d'individus qui sont socialisés dans des milieux différents et qui ont des manières de parler, de s'habiller, de gesticuler, des aspi- rations, des projets de vie, des représentations et des comportements amoureux différents. Les représentations de la sexualité et les comportements amoureux sont façonnés par le contexte social et il en est de même en ce qui concerne les représentations du VIH-sida et les comportements à risque, aspect que nous développerons ici.
Les élèves de la Providence ont de meilleures connaissances sur le VIH-sida que leurs cama- rades des autres établissements, car ils bénéficient de campagnes de prévention à l'école, chaque année.

 

Mais les comportements à risque n'y sont pas complètement absents, car la théorie n'est pas toujours appliquée à la pratique.


Le contexte socioculturel et éducationnel de l'adolescent détermine ses intérêts, son comportement et ses capacités d'assimilation.
Les informations relatives au VIH sont mieux assimilées par les adolescents des milieux aisés que par ceux des milieux défavorisés, et sont parfois comprises de façon différente selon leurs origines culturelles. Les "fausses croyances" sur le sida ainsi que les comportements à risque sont plus fréquents parmi les adolescents des classes populaires.

Prises de risques
Les prises de risque d'infection par le VIH persistent car, d'une part, le préservatif est pour les adolescents synonyme de méfiance, de crainte, de désengagement (sentiments qui sont aux antipodes de l'amour, alors qu'ils sont en quête d'amour et de liberté), d'autre part, ils ne semblent pas toujours envisager le risque de contamination par le VIH et ne se sentent toujours pas concernés. Il y a donc un écart entre les discours et les pratiques, le préservatif étant plus revendiqué qu'utilisé.
Les adolescents des classes populaires en général et ceux d'origine étrangère en par- ticulier sont doublement exposés au risque d'infection par le VIH car ils sont sexuellement plus précoces, fréquentent parfois des toxico- manes et côtoient la violence.
 
Par ailleurs, les adolescents d'origine étrangère, nombreux parmi la population scolarisée à Montreuil, reçoivent deux sortes d'informations et d'influences en ce qui con- cerne la sexualité et le sida : les repré- sentations véhiculées par leur famille et les informations biomédicales sur la sexualité et le sida transmises par les médias, les pairs et l'école. Les connaissances au sujet du sida semblent aujourd'hui acquises, mais les rapports sexuels ont lieu, quelquefois encore, sans protection, filles comme garçons ne semblant pas systématiquement envisager le risque de transmission des MST et parfois celui de la grossesse également.
Nous avons ainsi décelé quelques obstacles à l'utilisation du préservatif.
La sexualité comme plaisir

Pour les adolescents, le sexe doit rester un plaisir et non un problème ou une préoccupation. Or le sida est devenu, selon eux, trop lié à la sexualité, il est venu l'empiéter et l'enlaidir.


Les adolescents adoptent une attitude de défense devant le problème des MST (maladies sexuellement transmissibles), qui se traduit le plus souvent par la dénégation du risque et par une représentation de la sexualité en tant que plaisir à part entière délié de tout souci. Cette dénégation du risque sera d'autant plus importante si la relation sexuelle a lieu sous les effets de la drogue ou de l'alcool.


Les adolescents sont en quête d'amour et on les met en garde contre l'amour.

 
D'une part, la menace du sida alerte les jeunes sur les risques liés à la sexualité, d'autre part, les parents maintiennent avec leurs enfants (leurs filles plus que leur fils) des discours de mise en garde. Certains adolescents réagissent alors par des comportements d'in- souciance en réponse à ce qu'ils perçoivent comme une intrusion des parents dans leur vie amoureuse. Aussi, le geste de mettre un préservatif au moment du rapport sexuel est souvent perçu comme préjudiciable au plaisir et à la spontanéité de l'échange amoureux. L'une des causes à l'origine de ce rejet du préservatif est sa perception comme un " désamorceur " du plaisir et de la spontanéité de la relation amoureuse. En effet, le garçon éprouve la pose du préservatif comme un acte solitaire qui interrompt la relation sexuelle.
La sexualité comme péché
Même si la première fois est devenue un acte autonome, intime et individuel, la virginité reste associée à des notions telles que l'innocence, la pureté et la naïveté. Mais la virginité ne représente pas le même enjeu pour l'un et l'autre sexe. La femme est tenue de préserver sa virginité, considérée comme un bien précieux. L'idéal de chasteté féminine et l'idée selon laquelle le dépucelage tardif signifie pour les hommes un manque de maturité et de virilité datent du Moyen Age (Le Goff, 1999) et ne semble pas avoir complètement disparu.
La religion, dont les valeurs sont véhiculées et remaniées par la famille, laisse aussi son empreinte sur les représentations et les com- portements sexuels. Les individus attachés à la religion ont tendance à concevoir la sexualité (c'est-à-dire les rapports sexuels, l'érotisme, le flirt...) et plus encore ce qui est considéré comme des déviances sexuelles (telles l'homosexualité, la sodomie, la pornographie, la masturbation...) comme un tabou, un péché. Cela conduit les adolescents à envisager la sexualité avec une certaine dose d'anxiété et à la percevoir par rapport aux préceptes religieux et aux valeurs culturelles et familiales.
Dans l'imaginaire social, le préservatif reste lié au sida, à son tour assimilé aux com- portements déviants(toxicomanie, multipar- tenariat, rapports hors mariage...). Il y aurait une sorte de polarisation entre le sexe pour le sexe, conduite à risque où le préservatif est nécessaire, et le sexe comme pratique amoureuse, où le préservatif devient incom- patible avec la confiance et la fusion amoureuse.
 

Cette façon de se représenter la sexualité est particulièrement prégnante parmi les adolescents d'origine arabe et portugaise pour qui l'importance de la valeur " réputation " pour la fille est plus grande.
Celle-ci cherche à échapper à l'étiquette de " fille facile " (c'est-à-dire ayant eu de nombreux partenaires sexuels) et à correspondre au modèle de la " fille sérieuse " qui attend pour passer à l'acte, est amoureuse, " ne couche pas avec n'importe qui ", cherche une relation à long terme et n'a donc pas besoin de recourir au préservatif. Cette logique devient elle-même une stratégie de fausse protection contre le sida.


Une fille n'oserait pas proposer un préservatif car cela signifierait, d'une part, qu'elle doute de son partenaire et donc qu'elle n'est pas amoureuse, d'autre part, qu'elle doute d'elle-même et donc qu'elle a eu de nombreuses expériences sexuelles (ce qui est pour elle stigmatisant).


Pour le garçon, proposer un préservatif reviendrait plus ou moins à traiter sa partenaire de " fille légère " et avouer qu'il ne s'agit pas d'un engagement dans une relation à long terme, sérieuse, ce qui diminuerait ses chances de séduction et la probabilité d'avoir des rapports sexuels avec elle. Aussi, associe-t-il l'image de la fille sérieuse, qui a peu d'expérience sexuelle, à la pureté. La pureté éthique correspondrait ainsi à une pureté du sang.

Les difficultés de dialogue garçon/fille
La libéralisation de la contraception ne produit pas toujours d'effet au niveau des mentalités. Selon les résultats de cette enquête, à peine la moitié des filles et des garçons sexuellement actifs abordent le sujet de la contraception avec leurs partenaires.
Cette attitude dénonce un sentiment de gêne relatif au dialogue autour de la contraception. Les adolescents ont alors recours à des langages codés, des sous-entendus, qui sont un moyen de minimiser la parole à ce sujet.
 
Leur représentation de la sexualité comme quelque chose de très intime et le tabou qui pèse sur la communication entre adultes et jeunes, d'un côté, entre garçons et filles, d'un autre côté, peut constituer un frein à l'écoute des messages préventifs, énoncés le plus souvent par des adultes et pour des jeunes, ainsi qu'au dialogue sur la contraception dans le couple même. Le dialogue sur la sexualité a parfois du mal à franchir la barrière des générations et celle des genres.
La normalité protectrice
Sous prétexte de normalité sociale, les adolescents se sentent hors de danger de contamination. Ce sentiment est lié à l'idée, dépassée mais qui subsiste chez les personnes peu informées au sujet du sida, que seuls les " marginaux " (toxicomanes, homosexuels, prostituées…) risquent d'être atteints par le virus.
Ainsi, les adolescents adoptent une pluralité de logiques préventives dans le sens de se mettre dans la norme pour ainsi se mettre hors de danger, et qui vont de la stratégie d'évi- tement de partenaires " potentiellement dan- gereux " à celle d'une " sélection " des con- quêtes amoureuses basée sur un jugement esthétique ou éthique de l'autre.
En effet, une opposition apparaît dans les représentations entre une altérité néfaste, un risque venant de l'autre différent, et une intimité protectrice.
 

Une relation amoureuse avec quelqu'un de beaucoup plus âgé ou d'un milieu social différent ou encore d'une autre origine culturelle, sera considérée plus dangereuse qu'une relation entre personnes proches.


Un deuxième degré de sentiment de proximité préservatrice tient à l'ancienneté de la relation amoureuse, qui assure la connaissance mutuelle des partenaires amoureux, même si celle-ci n'implique pas forcément la connaissance du statut sérologique de l'un et de l'autre. Un temps d'attente avant de passer à l'acte serait perçu comme nécessaire pour établir cette " bonne connaissance " dans le couple et représenterait un gage de sûreté.
Dans cette logique, les tests de dépistage et l'utilisation de préservatifs sont jugés inutiles..

La confiance protectrice
L'adhésion au préservatif est souvent mesurée par son utilisation au premier rapport, mais ce n'est pas toujours celui-ci qui représente un risque. Le premier rapport ne constitue pas forcément un baromètre de l'utilisation du préservatif, car celui-ci est parfois sacrifié justement après le rituel du premier rapport (souvent protégé, surtout s'il n'est pas précoce), qui symbolise la porte d'entrée pour une relation de confiance.
Dans l'imaginaire adolescent, l'amoureux est pur, il ne peut constituer un danger. Ce déni du risque va de pair avec la croyance en la fidélité et la confiance mutuelles.
A l'exception de quelques garçons, particulièrement dans les milieux défavorisés, qui ont des rapports sans être amoureux de leur partenaire, la sexualité est conçue comme une expression de l'affectivité, un échange mutuel, un don de soi, un engagement et une preuve de confiance.
 
Le préservatif est alors interprété par les adolescents comme un geste pour " se préserver de l'autre " et une réaction de méfiance, démarche qui est contraire à leur représentation de l'amour. Ainsi, leurs connaissances sur les MST ne se traduisent pas toujours en pratique rationnelle d'évitement du risque. Le savoir reste parfois coupé de la pratique. Il n'est alors pas rare que les multipartenaires, qui ne font pas toujours le lien entre sentiments amoureux et pratiques sexuelles, soient ceux qui se protègent le plus. Bien connaître son partenaire amoureux et se faire confiance deviennent des " protections imaginaires " contre le sida.
Le préservatif devient synonyme de méfiance, de doute, de crainte, sentiments qui sont aux antipodes de l'amour, et par conséquent, nécessaire uniquement le temps que l'" inconnu " devienne " connu " et que la confiance s'installe (Mendes-Leite, 1993).
L’abandon du préservatif comme preuve de confiance
Bien que le préservatif soit le moyen le plus fréquemment cité lorsque l'on parle de protection, c'est la fidélité qui paraît l'emporter comme pratique prévalente de prévention contre le sida. La fidélité est, en effet, une valeur cotée et répandue chez les adolescents, alors que l'usage du préservatif est perçu comme une contrainte, un mal nécessaire et quelque chose de provisoire. L'abandon du préservatif (sans tests de dépistage préalables) est alors conçu comme une preuve de confiance et d'engagement (qu'un test de dépistage viendrait contredire).
 

La peur vis-à-vis de la transmission du VIH n'est pas liée aux véritables risques mais est parfois dictée par une logique particulière, celle de la confiance / défiance.


L'adolescent déposera une confiance aveugle en la personne dont il est amoureux, même s'il ne connaît ni son passé ni son statut sérologique, mais se méfiera d'une personne séropositive, qu'il se représente généralement comme une personne qui n'est " pas très fréquentable " et face à laquelle il ressent une peur démesurée.

La virilité protectrice et l'hygiène protectrice
Un rejet du préservatif persiste surtout chez les adolescents des classes défavorisées, parce qu'insuffisamment informés à propos du sida et plus attachés à la valeur virilité, ce qui les amène à ne pas vouloir montrer des sentiments de peur face aux MST, d'une part, et à ne pas vouloir utiliser quelque chose qui, dans leur imaginaire, reste lié à l'homosexualité.
Ces garçons ont un fort sentiment de " puissance masculine ", puisque la virilité est pour eux une valeur capitale qui doit être exacerbée, et donc un sentiment de capacité à " contrôler la situation " et d'improbabilité d'être victimes du VIH. L'honneur et la virilité seraient mis en cause par le préservatif.
A cela s'ajoute le goût du risque, carac- téristique des adolescents et particulièrement de ceux des banlieues déshéritées, et l'idée que le risque est inhérent à la vie, une fatalité (Le Breton, 1995).
 
Il apparaît également une association entre le sain et le propre, et entre le malsain et le sale. Le danger viendrait de la souillure (Douglas, 1971). A leurs yeux, une personne sale serait " dangereuse ", alors que la propreté assurerait une protection contre les maladies. Ainsi, certains adolescents (18% des enquêtés du collège Fabien et 11% des enquêtés de la Providence), particulièrement les musulmans (mais pas uniquement puisque la population interrogée à la Providence n'en compte presque pas), croient que se laver après les rapports sexuels est un moyen de se protéger contre le sida.
Peut-être parce que dans l'islam l'hygiène est un acte de purification recommandé après les rapports sexuels. La pureté des sentiments, la force naturelle de l'organisme et les habitudes d'hygiène participent aux logiques de fausse protection.
La classe sociale protectrice

Le rejet du préservatif n'est pas exclusif des classes populaires, il existe aussi parmi les sujets des milieux aisés, mais a d'autres motivations.


En effet, il n'est pas rare que ces adolescents abandonnent le préservatif au cours de la relation amoureuse sans avoir fait de test de dépistage. I

 
ls se sentent protégés par leur environnement social " supérieur " (puisqu'ils recrutent leurs partenaires dans leur propre milieu et estiment qu'ils sont des gens " bien ", qui n'ont pas " une tête à avoir le sida "), par l'amour (puisque leurs relations sexuelles sont le plus souvent cimentées par des sentiments amoureux et qu'il n'y a alors pas de place pour la défiance et le malheur).
Protection et partage des taches garçon/fille

Le préservatif est, en règle générale, une affaire masculine. Ce sont les garçons qui se procurent les préservatifs, qui les ont sur eux et qui les utilisent le moment venu. Les filles se sentent très peu concernées par le maniement du préservatif (de l'achat jusqu'à l'usage), tout comme les garçons s'impliquent peu dans les grossesses non désirées. Cela est lié à l'idée, plus ou moins répandue, selon laquelle le sexe doit être interdit aux filles et n'est pas chez elles aussi naturel et nécessaire que chez eux.
Alors que les parents offrent des préservatifs à leurs fils, les filles évitent d'en avoir sur elles de peur que les parents s'en aperçoivent. Au mieux, ces derniers l'emmènent chez le gynécologue pour une prescription de pilule contraceptive. Or, voilà un partage des tâches qui peut poser problème. La fille est associée à la pilule / le garçon au préservatif), ce qui rappelle, d'ailleurs, une différenciation de genre (où la sexualité féminine serait associée aux sentiments d'amour et de don / et la sexualité masculine plutôt à la recherche du plaisir).
En effet, il arrive que le garçon ne soit pas approvisionné en préservatifs et la relation sexuelle a lieu sans protection.

De nombreuses filles concentrent leurs inquiétudes autour de la grossesse et se sentent hors de danger lorsqu'elles utilisent une contraception orale.

 
D'autres ne s'estiment pas concernées par le chapitre de la prophylaxie et, le moment venu, la laissent aux mains de leurs partenaires.
De leur côté, les garçons sont plutôt soucieux de leurs performances sexuelles, ils déclarent ne plus se poser de questions sur la sexualité, car ils estiment qu'à partir d'un certain âge ils sont censés tout savoir sur le sexe et tentent de montrer de l'assurance, dans un souci d'affirmer leur virilité et leur accès au statut d'adulte.
Le premier rapport représente pour eux l'accès au statut d'homme et à partir de là, dans un souci d'honorer ce statut, ils croient tout savoir et pouvoir tout contrôler au sujet de la sexualité, ils surdimensionnent leurs sentiments d'auto-confiance. La question du sida est alors reléguée au deuxième plan.
Par ailleurs, la contraception est associée à la pilule contraceptive, alors que le préservatif est considéré par la majorité des adolescents uniquement pour ses qualités prophylactiques contre les maladies.
Par conséquent, l'abandon du préservatif au profit de la contraception orale, souvent déjà présente, se fait d'autant plus rapidement (Lagrange et Lhomond, 1997).
La prévention pourrait donc bénéficier d'une plus grande implication des filles dans la gestion prophylactique, ainsi que d'une érotisation du préservatif.
La séropositivité honteuse
La cause de la maladie est parfois imputée aux comportements sexuels et sociaux, consi- dérés comme déviants, comme une forme de non-respect d'un interdit moral ou social.
La prévalence du VIH-sida parmi des groupes déjà cibles de préjugés (tels les homosexuels, les toxicomanes et les prostituées) produit un renforcement de la discrimination envers ces populations et, simultanément, une accusation de déviance des normes sociales et une imputation de caractères négatifs aux personnes atteintes. La croyance que le VIH-sida ne concerne que les groupes " stigmatisables ", par leur déviance des normes sociales, crée alors un sentiment d'invul- nérabilité chez les personnes qui s'estiment dans la " normalité ". Par conséquent, les personnes séropositives seront jugées responsables de leur sort, coupables et condamnables de la contamination d'autres personnes. Dans cette logique, un enfant infecté par le biais d'une transfusion sanguine est considéré plus innocent, moins coupable qu'un individu contaminé par voie sexuelle.
 
Un toxicomane est considéré doublement coupable puisqu'il a bravé une norme morale et un interdit légal. De même, une femme séropositive est jugée plus responsable de son état qu'un homme (Handman, 1997), car elle n'avait pas à " coucher avec n'importe qui ", alors que c'est dans la " nature " masculine de " courir après les jupons ". Une hiérarchisation des responsabilités s'installe alors dans les croyances, du malade innocent au malade coupable. La perception de courir un risque personnel est souvent liée au fait de connaître des personnes séropositives, ce qui rend la réalité de la maladie plus proche et concrète, ainsi qu'à l'expression de tolérance à l'égard des personnes atteintes, car lorsqu'ils pensent que cela peut leur arriver, d'une part, les individus se protègent davantage et d'autre part, ils développent plus facilement des sentiments de sympathie envers les malades, alors que ceux qui s'estiment a priori hors de danger auront tendance à manifester une attitude de discrimination envers l'autre différent et dangereux
Attitudes face à la séropositivité
Ainsi, parce qu'ils ne se sentent pas concernés par le problème du sida, s'estimant hors de danger grâce aux manœuvres de (fausse) protection ; parce qu'ils acceptent le risque comme une propriété inhérente à la vie ; parce qu'ils n'oseraient pas demander un " papier " à leur partenaire amoureux pour contrôler, à l'image d'un agent de police, son état de santé ; ou simplement par peur d'un mauvais résultat, les adolescents maintiennent des conduites à risque et parfois considèrent le test de dépistage comme superflu. Se pose aussi la question de la discrimination des personnes séropositives. La peur de se savoir séropositif correspond à une autre peur, celle d'être stigmatisé. D'où la peur de faire le test de dépistage. Dans une société où la santé est une valeur suprême, " ne pas être en bonne santé peut devenir une faute " (Herzlich, 1984).
 
Le malade est mis en accusation, parce que " l'événement malheureux qu'est la maladie menace l'équilibre collectif " (Herzlich, 1986), et l'est d'autant plus qu'il est un étranger et qu'il a un bas statut social, car le statut du malade (âge, sexe, ethnie, classe, etc.) influe sur le comportement qu'on a vis-à-vis de lui (Fassin, 1990).
Même si la tolérance augmente avec le niveau des connaissances, un sentiment de honte et de culpabilité reste inhérent à cette maladie. L'idée que la contamination est l'effet d'un comportement hors norme persiste malgré l'amélioration des connaissances et la banalisation du sujet. Avoir le virus du sida serait honteux et stigmatisant, parce que la contamination est liée à des comportements hors norme (sauf pour les cas de transmission du virus par transfusion sanguine).)
Le sang, élément dangereux par excellence
Ce serait également un motif suffisant pour perdre le droit à une vie amoureuse, vu que la majorité de mes interlocuteurs affirment qu'ils quitteraient leur copain/copine en apprenant sa séropositivité et ne sortiraient pas avec une personne dont la séropositivité serait connue. Le sentiment de répulsion ou de peur des séropositifs persiste. Ainsi, les adolescents interrogés n'envisageraient jamais d'avoir des rapports protégés avec une personne contaminée par le VIH, bien qu'ils aient des rapports non protégés avec des personnes dont ils ignorent le statut sérologique.
On rencontre également l'idée que le sang est l'élément dangereux par excellence, voire le seul qui représente un danger.
Alors que d'autres liquides corporels, comme le lait maternel ou le sperme, sont, dans
 

l'imaginaire symbolique des individus, classés sous la catégorie " noble " et considérés comme non ou moins dangereux.

Sur le plan symbolique, le sang est chargé négativement, donc plus facilement assimilable à un vecteur de contamination, alors que le sperme et les muqueuses vaginales sont des liquides corporels impliqués dans les relations sexuelles, acte qui " unit " et " donne la vie ", ce qui est aussi le cas de la grossesse et de l'allaitement.
Seule la présence de sang devient alors dangereuse, quelle que soit la situation. Ainsi, " faire un don de sang " est une situation considérée comme dangereuse par un certain nombre d'adolescents interrogés (13% des sujets interrogés à la Providence et 35% de ceux interrogés au collège Fabien).

La prévention
Les modèles de contagion d'autres maladies semblent leur servir de référence pour penser le VIH-sida. La salive (2,7% pour les élèves de la Providence et 9,5% pour ceux du collège Fabien) et les piqûres de moustiques (10,8% pour les élèves de la Providence et 17,2% pour ceux du collège Fabien) sont alors classés parmi les vecteurs de transmission du virus. Ces " fausses croyances ", qui vont le plus souvent dans le sens d'estimer le VIH-sida comme " une maladie très contagieuse ", n'empêchent pas pour autant les adolescents d'avoir des rapports sexuels non protégés. Des comportements à risque peuvent donc côtoyer des peurs irrationnelles. Les campagnes de prévention sont primordiales dans les milieux défavorisés, là où les jeunes sont sexuellement plus précoces et plus actifs et ont plus de comportements à risque en général. Mais ces campagnes doivent être réalisées en dehors des cours en salle de classe, au risque que les informations ne soient pas retenues ou ne sortent pas du cadre de la théorie.
 
Dans les établissements scolaires où s'est déroulé notre enquête, la prévention, quand elle a lieu, se fait au sein des cours et en salle de classe, ce qui a pour effet d'insinuer le sentiment d'avoir été " matraqués " d'informations au sujet du sida, puisque l'information sous cette forme est perçue comme une intrusion de l'école - lieu de déplaisir - dans leur vie intime - lieu de plaisir - et une manière trop techniciste d'aborder la sexualité. Les connaissances acquises dans le cadre scolaire à travers la situation de cours et par les professeurs, représentants de l'autorité, apparaissent difficilement transposables à la réalité extérieure à l'école, intime et affective.
Les seules connaissances ne garantissent donc pas forcément des conduites prophylactiques, mais un lien manifeste apparaît entre de meilleures connaissances, une condition sociale confortable et une plus grande vigilance face aux MST dans les comportements sexuels.
Notes
ANTUNES MAIA (M.), 2002, Les représentations et le vécu de la sexualité chez des adolescents scolarisés de la banlieue parisienne, Thèse en Anthropologie Sociale et Ethnologie, sous la direction de M.-E. Handman, Paris, EHESS.
DOUGLAS (M.), 1971, De la souillure : Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, François Maspero.
FASSIN (D.), 1990, " Maladie et médecines ", in : D. Fassin et Y. Jaffré, Sociétés, développement et santé, Marketing / Ellipses, Paris, pp. 38-49.
HANDMAN (M.-E.), 1997, " La stigmatisation des femmes à travers les représentations du sida véhiculées par les médias ", Transcriptase, nº 52, janvier-février, pp. 12-13.
HERZLICH (C.), 1984, " Médecine moderne et quête de sens : La maladie signifiant social ", in : M. Augé et C. Herzlich, Le sens du mal. Anthropologie, histoire, sociologie de la maladie, Paris, Editions des Archives Contemporaines.
 
HERZLICH (C.), 1986, " Représentations sociales de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social ", in : W. Doise et A. Palmonari, L'étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé (Textes de base en sciences sociales).
LAGRANGE (H.) et LHOMOND (B.), 1997, L'entrée dans la sexualité. Le comportement des jeunes dans le contexte du sida, Paris, La Découverte et Syros
LE BRETON (D.), 1995, La sociologie du risque, PUF (Que sais-je ?)
LE GOFF (J.), 1999, " Le refus du plaisir ", Les Collections de l'Histoire, Hors-série n° 5, juin, L'Amour et la Sexualité, pp. 36-41.
MAIA (M.), 2004, Sexualités adolescentes, Paris, Pepper (Sexualité et société).
MENDES-LEITE (R.), 1993, " Des "révolutions sexuelles" à l'ère du sida : Bascule et reconstruction(s) des sexualités ", Sociétés, nº 39, Gauthier-Villars, pp. 21-27.