SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Substitution (MSO)

Places respectives de la méthadone, de la buprénorphine et de l’association buprénorphine-naloxone

      
PLACES RESPECTIVES DE LA METHADONE, DE LA BUPRENORPHINE ET DE L'ASSOCIAITON BUPRENORPHINE-NALOXONE POUR LA SUBSTITUTION DES DEPENDANCES AUX OPIACES EN MEDECINE DE PREMIERE LIGNE
Dr Baudouin DENIS, Dr Christian JACQUES, Dr Sophie LACROIX, Dr Dominique LAMY, Dr Claire TRABERT, Médecins généralistes en Belgique

Le Flyer N°40, Septembre 2010

Introduction

Les traitements de substitution dans l'accompagnement des héroïnomanes ont commencé à se répandre en Belgique il y a maintenant une quinzaine d'années. La méthadone fut longtemps le seul produit connu et prescrit dans ce cadre. La buprénorphine à haut dosage (Subutex®), commercialisée en Belgique depuis fin 2002, commence à être connue. La littérature médicale à son sujet s'enrichit de nouvelles contributions. En outre, l'apparition récente en juin 2008 de la buprénorphine combinée à la naloxone (Suboxone®) a remis un coup de projecteur sur cette alternative à la méthadone.

 
Cette évolution a poussé le mouvement ALTO à revoir l'usage et la place relative de ces différentes possibilités thérapeutiques. En matière de dépendances, un traitement pharmacologique bien conduit est évidemment une condition indispensable à une possible réussite du suivi. La qualité de la relation thérapeutique et de l'accompagnement, que l’on souhaite très souvent pluridisciplinaire, est essentielle et déterminante. Elle ne sera cependant pas abordée dans cet article, plutôt centré sur les différentes options pharmacologiques et leurs places respectives.
REVUE DE LITTERATURE
 
 
 
- Efficacité de la méthadone et la buprénorphine

La méthadone et la buprénorphine haut dosage (BHD : Subutex®) sont toutes deux plus efficaces que le placebo dans les traitements substitutifs au long cours (maintenance treatment), en termes de taux de rétention en traitement et de réduction de consommation d’héroïne (1).

 
Il n’a pas été montré de différence d’efficacité entre les deux produits pour ce qui est de la réduction de consommation d’héroïne. Cependant, le taux de rétention sous BHD est inférieur de 20 % à celui observé sous méthadone dans le schéma de traitement utilisé en pratique de médecine générale (doses flexibles) (1).
- Particularités de la buprénorphine
L’emploi de la buprénorphine est potentiellement moins dangereux en ce qui concerne le risque d’overdose : son effet antagoniste partiel limite la dépression du centre respiratoire par effet plafond. Ce bénéfice potentiel doit cependant être pondéré par une plus grande fréquence de mésusage (injection IV). La buprénorphine est hydrosoluble et donc facilement injectable. Le risque d’overdose est réel si le produit est injecté en cas de poly-intoxication (effet additif voire synergique avec d’autres dépresseurs du SNC comme l’alcool ou les benzodiazépines).
 
Ce mésusage plus fréquent accroît également le risque de contamination virale et bactérienne. La moindre rétention en traitement par la BHD est contrebalancée par le fait que ce produit élargit la palette des traitements et augmente donc l’attrait des filières de soins aux yeux des usagers pour lesquels l'image sociale véhiculée par la méthadone peut être ressentie comme stigmatisante. Le choix entre méthadone et BHD se fera donc au cas par cas, essentiellement en fonction de l’expérience du médecin et des attentes du patient (2).
- Situations particulières :

• en cas de grossesse la méthadone reste le traitement de choix (2, 3, 4)

• en cas de poly-toxicomanie chez un usager injecteur d’héroïne, la préférence sera donnée à la
méthadone (3)

• en cas de dépendance à la codéine l’expérience clinique suggère que la préférence pourrait être
donnée à la BHD (4)

• en cas d'insuffisance rénale sévère, la buprénorphine est contre-indiquée (2)

• en cas d'insuffisance hépatique sévère, la buprénorphine est contre-indiquée (2)

 

• en cas de QT long, la buprénorphine sera préférée à la méthadone (6, 7 ,8)

• en cas d’insuffisance respiratoire sévère, la méthadone (5) et la buprénorphine (2) sont contreindiquées

D’autres avantages potentiels de la BHD par rapport à la méthadone ont été avancés mais ne sont à ce jour pas confirmés par les études cliniques : sevrage plus aisé, administration bi- ou tri hebdomadaire possible, interactions médicamenteuses moins fréquentes et moins importantes, syndrome d’abstinence du nouveau-né moins fréquent et plus court.

- BHD associée au Naloxone

Depuis juin 2008, la BHD est proposée en association fixe avec de la naloxone (Suboxone®). Sur le plan théorique ce concept est séduisant : en usage sublingual l’effet est équivalent à celui de la BHD seule, mais en usage IV la naloxone induirait un désagréable sevrage précipité, décourageant le patient de recommencer. Toutefois, l’expérience clinique avec cette nouvelle association est actuellement encore très limitée. Plus particulièrement, le bénéfice de sécurité attendu (moindre recours à l’injection) n’a à ce jour été

 
montré que de façon limitée, dans une seule étude (9) basée sur des questionnaires et menée sur un petit nombre de patients. De plus, cette étude a été réalisée dans un contexte très éloigné des soins de santé de première ligne. Par ailleurs, aucune donnée n’est encore disponible sur l’innocuité de l’administration quotidienne de naloxone à long terme. Il est donc prématuré de se prononcer sur la place relative de cette association par rapport à la BHD seule.
CONCLUSION

Pour guider le choix des praticiens de première ligne, il nous paraît souhaitable d'articuler les enseignements que nous pouvons tirer de la littérature avec l'expérience des médecins familiarisés avec l'usage de la méthadone et de la buprénorphine. Les recommandations suivantes expriment l'avis actuel du mouvement Alto-SSMG ; devant être réévaluées au fil des publications futures et de l'expérience grandissante des différents traitements, elles sont donc provisoires, tout particulièrement en ce qui concerne l'association buprénorphine-naloxone, d'introduction la plus récente. En pratique, le choix entre méthadone et B HD se fera au cas par cas,

 
en tenant compte de l'expérience du praticien, de la préférence du patient et des données issues de la littérature énoncées précédemment.
Ainsi, par exemple, certains praticiens donneront éventuellement la préférence à la méthadone en cas de trouble psychiatrique sévère.
Si les deux produits se retrouvent à égalité dans ce colloque singulier, il est recommandé d’utiliser la méthadone en première intention (4, 10).
Il n’existe pas de données de qualité permettant de savoir à quel(s) type(s) de patient la méthadone ou la BHD conviendrait le mieux dans le cadre d’un traitement de substitution ou de sevrage (2). Des guidelines relèvent cependant quelques situations particulières.
- Situations particulières :

La méthadone devient le premier choix dans les situations particulières suivantes :
• usage IV chez un polytoxicomane
• grossesse ou risque de grossesse

 

 

 
La buprénorphine devient le premier choix dans les situations particulières suivantes :
• allongement du QT, congénital ou acquis, notamment secondairement à des
médicaments
• dépendance à la codéine
Références :

1. Mattick RP, Kimber J, Davoli M. Buprenorphine maintenance versus placebo or methadone maintenance for opioid dependence (Review). Cochrane Database of Systematic Reviews (2) :CD002207, 2008.
2. National pharmacotherapy policy for people dependent on opioids. Commonwealth of Australia, 2007.
3. Conférence de Consensus. Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des
traitements de substitution. ANAES, 2004.
4. Drug misuse and dependence. UK guidelines on clinical management. Department of Health (NHS), London,
2007.
5. Dictionnaire VIDAL
6. Wedam EF, Bigelow GE, Johnson RE., Nuzzo PA., Haigney MCP. QT-interval effects of methadone,
levomethadyl, and buprenorphine in a randomized trial. Arch Intern Med 2007; 177; 2469-75.

7. Martell BA, Arnsten JH, Krantz MJ, Gourevitch MN. Impact of methadone treatment on cardiac repolarization
and conduction in opioid users. Am J Cardiol 2005; 95 : 915-8
8. Ehret GB, Voide C, Gex-Fabry M et al. Drug-induced long QT syndrome in injection drug users
receiving methadone. Arch Intern Med 2006; 166 : 280-87
9. Alho H, Sinclair D, Vuori E, Holopainen A. Abuse liability of buprenorphine-naloxone tablets in untreated IV
drug users. Drug Alcohol Depend 2006 ;88 :75-8.
10. Methadone and Buprenorphine for the Management of Opioid Dependence. Technology appraisal 114. London :
National Institute for Health and Clinical Excellence 2007.