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Réduction des risques

Analyse bibliographique : Comportements à risques et séroprévalence en France auprès d’usagers de drogues en demande de traitement sur une période de 11 ans et politiques de réduction des dommages

ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE : COMPORTEMENTS A RISQUES ET SEROPREVALENCE EN FRANCE AUPRES D’USAGERS DE DROGUES EN DEMANDE DE TRAITEMENT SUR UNE PERIODE DE 11 ANS ET POLITIQUES DE REDUCTION DES DOMMAGES
Risk-Taking Behavior and Seroprevalence Among Opiate Users Seeking Treatment Over an
11-year Period and Harm Reduction Policy
Fatseas M. et al. Change in HIV-HCV. AIDS Behav, oct 2011
Laboratoire de Psychiatrie/CNRS USR 3413 (Sanpsy), Université Bordeaux Segalen,
121 rue de la Béchade, 33076, Bordeaux, France

Le Flyer N° 47, Mai 2012


Evaluer les changements de comportement des UDIs

Les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDIs) présentent un risque accru de transmissions des virus du VIH, du VHC et du VHB. L’objectif de cette étude réalisée en France par l’équipe bordelaise du Pr Marc Auriacombe a été d’évaluer les modifications des niveaux de prévalence du VIH, du VHC et les comportements à risques chez une population d’UDIs en parallèle de changements intervenus dans la politique française de réduction des risques entre 1995 et 2004.

En effet, est survenue en 1995 une modification de la politique de santé publique, renforçant notamment par l’intermédiaire du kit Stéribox®, l’accès à du matériel d’injection stérile et à des préservatifs en pharmacie d’officine.

Cette initiative a été accompagnée par la mise à disposition en 1996 de la trithérapie antirétrovirale hautement active (HAART = Highly Active AntiRetroviral Therapy) et par l’amélioration de l’accès aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) au travers de la méthadone et de la buprénorphine.

Diverses études semblent montrer que, durant cette même période, il y a eu une réduction des pratiques de partage de seringues et de la prévalence du VIH mais pas de celle du VHC qui est restée élevée. Néanmoins, pour évaluer plus précisément ces changements, il est nécessaire de collecter les données sur une période suffisante, suite aux modifications intervenues dans la politique gouvernementale française.

Méthodologie

Cette étude a été menée entre 1994 et 2004 auprès d’usagers pharmacodépendants aux opiacées au moment où ces derniers entraient en traitement au sein de structures ambulatoires.

Les données ont été recueillies par l’intermédiaire d’entretiens semi-directifs d’environ une heure. Les évaluations étaient menées à partir du Risk Assessment Battery (RAB), de l’Addiction Severity Index (ASI) et des résultats biologiques pour le VIH et le VHC.

Pour être éligibles, les patients devaient être âgés de plus de 18 ans et répondre aux critères de définition de l’addiction du DSM-IV. Parmi les 727 patients auxquels l’étude a été proposée, 85% (n = 648) ont accepté de participer. Trois périodes d’analyse ont ensuite été considérées :

• Avant 1995, période précédent la modification de la politique de santé publique ;

• Entre 1996 et 1999 au moment où le kit Stéribox® a été mis à disposition ;

• Entre 2000 et 2004 consécutivement à l’ajout au kit Stéribox 2® de stéricup® stériles et de cotons à usage unique.

Pour mesurer les différences survenant entre ces trois périodes, des modèles de régression logistique ont été appliqués de manière à évaluer l’influence potentielle de différentes variables (Age, sexe, années d’éducation, conditions de vie, statut VIH, statut VHC, score ASI, années d’usage d’héroïne, principales voies d’administration et nombre de traitements précédents). Au moment de l’inclusion, l’échantillon comprenait 648 participants (75% d’hommes, âge moyen 31,2 ans ; DS = 5,7).

Résultats : modifications des pratiques d’injection

Durant les trois périodes d’analyse, la prévalence de l’usage de la voie injectable comme voie principale est restée stable. Concernant la prévalence du VIH, celle-ci a diminué de manière significative à partir de 1996 que ce soit pour l’échantillon total (p < 0,0001) ou pour la sous-population de patients injecteurs (p < 0,0001). Ce résultat pourrait être le reflet d’une diminution plus globale de l’incidence du VIH observée simultanément à l’introduction des HAART qui ont permis de réduire la mortalité aussi bien chez les UDIs que chez les usagers non-injecteurs.

La prévalence du VHC a également diminuée de manière significative dès 1996 et par la suite pour l’échantillon total (p = 0,01). Cependant, la baisse observée pour la sous-population des UDIs ne l’a pas été de manière significative (p = 0,1). Cette absence de baisse pourrait être liée à l’infectivité plus grande du VHC lors de pratiques d’injection à risque.

De plus, le VHC possède une forte capacité à évoluer vers la chronicité et génère ainsi un réservoir important de sujets infectés avec un potentiel plus élevé de transmission au travers de la consommation de substances par voie nasale ou parentérale. Il faut donc peut-être plus de temps pour avoir un impact dans ce sous-groupe des UDIs.

Des modifications des pratiques d’injections ont également été constatées.

En effet, la prévalence du partage d’aiguille s’est vue réduite de manière significative de 46,8% en 1994- 1995 à 24,1% en 1996-1999 et 16,3% en 2000-2004 (p < 0,0001).

Pour ce qui est de la réduction du partage du petit matériel, elle a été significative aussi bien pour l’eau de dilution (p = 0,0001) que pour les cuillères (p < 0,0001) et le coton (p < 0,0001) et décalée dans le temps en lien avec la mise à disposition plus tardive de ce petit matériel.

Après ajustement sur les différentes covariables, les participants recrutés après 1995 étaient moins enclins à partager aiguilles/seringues et autres matériels que ceux recrutés avant 1995.

Cela renforce le lien temporel entre le changement de réglementation, changement de comportement et changement de séroprévalence.

Conclusions

En conclusion, l’étude relève des modifications importantes dans le comportement des UDIs durant la période incluant les changements dans la politique de santé publique. Une diminution du partage de matériel d’injection a été observée en parallèle d’une réduction de la prévalence du VIH chez les usagers injecteurs, tandis que la prévalence des pratiques sexuelles à risques est restée stable. Il a également été observé une diminution de la prévalence du VHC mais non significative chez les UDIs. D’après les auteurs, des études complémentaires doivent être menée pour évaluer l’efficacité des mesures de réduction des risques et des programmes d’éducation concernant la réduction de la transmission du VHC et la réduction des pratiques de consommation à risques.

Ils évoquent également dans la discussion le fait que l’étude a concerné des patients qui, au moment de l’admission, n’avaient pas bénéficié d’un TSO, limitant ainsi la possibilité d’évaluer l’impact qu’ils auraient pu avoir pour les patients à un niveau individuel.

Note de la rédaction : cette étude, dont nous faisons ici un résumé, est le fruit d’un travail d’une équipe bordelaise dirigée par le Pr Marc Auriacombe et à laquelle a participé également le Dr Jean-Pierre Daulouède. Nous sommes heureux de faire connaître ici un travail réalisé par une équipe française publiée dans une revue internationale, ce qui confirme la place qu’occupe cette équipe. En effet, peu d’études réalisées en France font l’objet de telles publications dans le domaine de la réduction des risques. Les contributeurs sont : Melina Fatseas, Cécile Denis, Fuschia Serre, Jacques Dubernet et Jean-Pierre Daulouède et Marc Auriacombe, déjà cités plus haut. Cette étude inscrite dans la durée (11 ans) a été financée par plusieurs sources successives de crédits de recherche : MESR, PHRC, MILDT, INSERM,et CNRS