SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Psychothérapies

Prostitution et détresse psychologique chez des femmes recevant un traitement de substitution par la méthadone

PROSTITUTION ET DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE CHEZ DES FEMMES RECEVANT UN TRAITEMENT DE SUBSTITUTION PAR LA METHADONE
Dr Christine RIVIERRE, CSST Marseille,

Analyse bibliographique de Sex trading and psychological distress among women on methadone, N. El-Bassel and al. Psychology of Add. Behav. 2001, Vol. 15, N° 3, 177-184

Le Flyer N°15, Janv. 2004

 
Prostitution et détresse psychique

Les femmes qui ont des rapports sexuels en échange d'argent ou de drogues sont confrontées au risque de maladies sexuellement transmissibles. Essayer de limiter ces risques nécessite de comprendre la relation entre cette forme de prostitution et la détresse psychologique qui en est à l'origine ou qui en résulte. En effet, des études sur des populations de malades mentaux, toxicomanes et sans domicile fixe ont montré que ceux qui participent à ces relations sexuelles à risque ont un degré plus élevé de détresse psychologique et de troubles psychiatriques.
La relation entre prostitution et détresse psychologique parmi les consommateurs de drogue peut se surajouter aux effets déjà bien connus de la drogue elle-même sur la fonction psychologique.

De plus, environ 60 à 75 % des femmes rencontrées dans les centres de soin ont subi une violence conjugale à un moment de leur vie, soit 3 fois plus que la population générale. Ce facteur peut également compliquer l'analyse de la relation entre prostitution et détresse psychologique.

 

Des psychologues de l'université de Columbia à New-York se sont donc posés des questions quant à l'épidémiologie et l'étiologie de la détresse psychologique chez les femmes prostituées. Aucune étude n'a encore été menée chez les femmes en MMT (Methadone Maintenance Treatment), chez lesquelles la détresse psychologique peut constituer une cause d'échec du traitement. Les patients en MMT constituent une population facilement accessible du fait de leurs nombreuses visites dans les centres, et en déchiffrant la relation complexe entre prostitution et détresse psychologique il pourrait être possible d'agir en terme de réduction des risques sanitaires, notamment M.S.T.

Dans cette étude, les auteurs se sont intéressés au degré de détresse psychologique chez des femmes en MMT et ont émis l'hypothèse qu'une fois les facteurs psychologiques classiques pris en compte (abus sexuel, maltraitement, usage de la drogue), la prostitution parmi ces femmes serait un facteur associé à un niveau plus élevé de détresse psychologique.

Matériel et méthode

Parmi les critères d'inclusion, les femmes devaient avoir entre 18 à 55 ans, être dans le centre méthadone depuis 3 mois au moins, être sexuellement actives et ne devaient pas toujours avoir utilisé de préservatifs lors des 90 jours précédents.

Elles devaient avoir eu des relations à risque au cours de l'année précédente.


280 femmes ont ainsi été recrutées et deux groupes furent constitués : avec, ou sans prostitution pour obtenir drogue ou argent.

 
Un questionnaire a relevé des informations au sein de ces deux groupes concernant l'âge, le nombre d'années d'étude, l'appartenance à une ethnie, le statut marital, les revenus, et le nombre d'enfants de moins de 18 ans, des antécédents de MST, le statut de sans domicile fixe, l'incarcération, la fréquence d'utilisation de plusieurs drogues (de jamais à plus de trois fois par jour), la maltraitance pendant l'enfance, la maltraitance conjugale, et le viol conjugal.
La détresse psychologique a été mesurée à l'aide d'une échelle (BSI) validée qui relate les symptômes de détresse au cours des 7 derniers jours.
Résultats et discission

32 % des femmes en MMT ont eu une relation sexuelle en échange de drogue ou d'argent.


Les différences prostituées/ non prostituées :


- les prostituées sont moins éduquées et un nombre plus important avait été incarcéré l'année précédente,
- elles reçoivent plus d'aide de la famille, d'amis, et de l'argent issu d'activités illégales,
- la prévalence des M.S.T. au sein des prostituées est également plus importante : la détresse psychologique a une influence négative sur l'utilisation des préservatifs, et sur la capacité à reconnaître et éviter les relations à risques,
- elles ont plus souffert de maltraitance dans leur enfance, d'abus physique d'un conjoint et de viol conjugal,
- elles consomment plus d'alcool et de drogues.

 
La différence prostituées/non prostituées en ce qui concerne la détresse psychologique :

Les prostituées ont un score statistiquement plus élevé de détresse psychologique. Une analyse a été réalisée en utilisant un modèle statistique de régression multiple afin de déterminer la relation entre détresse psychologique et prostitution, en tenant compte également des autres variables entraînant du stress psychologique : elle révèle que les prostituées ont une détresse psychologique plus importante que les non prostituées.

Ce résultat est compatible avec les résultats d'études précédentes. On ne sait pas encore si la détresse psychologique est un facteur déclenchant de la prostitution ou si elle en est une conséquence. Il est possible que ce soit les deux.
Nécessité de programmes spécifiques

Des études seront nécessaires pour établir cela, et également déterminer si au sein d'une population de patients en MMT il existe une relation entre détresse psychologique, posologie de méthadone, et assiduité au traitement.

Cependant, ces résultats sont importants et révèlent la nécessité de prendre en charge ces patientes également d'un point de vue psychologique.

Il est possible que cette détresse psychologique soit un frein au succès du traitement par la méthadone.


.

 

Les limites de l'étude :

- la validité des réponses des candidats qui ont pu sous estimer leur prostitution ou leur usage de drogues,- ou au contraire ont exagéré le nombre des abus physiques ou sexuels.
- l'oubli de certains facteurs de stress.
- les définitions : pas de distinction entre prostituée pour obtenir de la drogue et prostituée pour obtenir de l'argent.

Les patientes des 'centres méthadone' sont facilement accessibles et devraient bénéficier de programmes spécifiques traitant le problème de la détresse psychologiques associée à la prostitution..