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Buprénorphine HD

Injection de buprénorphine, réduction des risques et politique globale en matière de TSO – Quelle substitution injectable ?

INJECTION DE BUPRÉNORPHINE, RÉDUCTION DES RISQUES ET POLITIQUE GLOBALE EN MATIÈRE DE TSO - QUELLE SUBSTITUTION INJECTABLE ?
Mustapha Benslimane, rédacteur en chef de la revue LE FLYER, Dr Stéphane Robinet, président de Pharm’addict, Dr Maroussia Wilquin, présidente de l’association ARUDA, Pr Christophe Lançon, PU-PH, CHU Marseille

Le Flyer N°52, Septembre 2013


Injection de Buprénorphine : princeps et génériques

Ce 25 avril 2013, l’ANSM publiait sur son site, un point d’information sur les dossiers discutés en commission des stupéfiants et psychotropes.

Parmi les sujets évoqués, il a été question de l'injection de buprénorphine, signalée comme plus dangereuse quand il s'agit de génériques que lorsque le princeps (Subutex®) est injecté.

 

Cette information nous paraît importante pour les usagers, ainsi naturellement que pour les soignants qui placent leur intervention sur le terrain de la réduction des risques.

Des travaux du CEIP de Nantes ont déjà, il y a plus d’un an, évoqué ce risque majoré avec l'injection de générique comparativement à ce que l’on observe avec le Subutex®.

 

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Dans la moitié des cas, cela se traduit par une nécrose au point d’injection, et un document PDF disponible sur le web semble montrer – photos à l’appui – la différence en termes de

 

conséquence d’une injection de buprénorphine générique par rapport à une injection de Subutex® (tapez « mésusage des génériques de la buprénorphine » sur votre moteur de recherche).

 

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Photos 1 & 2 : génériques ; photo 3 : Subutex

La taille des particules contenues dans les excipients pourrait expliquer cette différence si

 

l’on en croit certains travaux réalisés par le même CEIP de Nantes.

Questions autour de la dangerosité

Toujours est-il que cette notion de dangerosité relative est plutôt récente, en lien peut-être avec une diffusion plutôt faible, pendant les premières années, des génériques de buprénorphine. Ceci a changé avec une forte incitation à la substitution (générique à la place de Subutex®) dans certains départements où, sous l’impulsion des CPAM, le générique est devenu obligatoire en contrepartie de la dispense du tiers-payant (sauf si le médecin ajoute la mention non substituable).

Il faut se souvenir également que les laboratoires génériqueurs de la buprénorphine, à l’époque où ils en faisaient une promotion active, laissaient entendre imprudemment à demi-mot que l’injection du générique contenant moins d’excipients irait dans le sens de la réduction des risques !

Cette discussion autour de la dangerosité du générique de buprénorphine par rapport au princeps fait poser plusieurs questions, qui vont bien au-delà de simples aspects techniques et pharmaceutiques (même s’il faut aussi les aborder ici) :

 

> S'il y a un risque d'injection, faut-il vraiment contraindre les usagers de drogues à prendre un générique pour des raisons économiques sachant qu'en cas d'injection le risque de complication est plus élevé ?

> Le générique de Subutex® doit-il être réservé aux non-injecteurs (ou supposés tels), si la délivrance des génériques doit se généraliser ?

 

> Doit-on inciter les fabricants de génériques à changer leurs excipients, si ce sont eux qui sont responsables de complications ?

> Le Subutex®, est il amené à devenir la buprénorphine de l'injecteur (ou supposé tel) ?

> Si c’est le cas, doit on admettre le mésusage comme inscrit dans le marbre de la politique en matière de TSO ?

> Y aura-t-il alors une image qui collera à la peau des usagers, selon qu’ils prennent le princeps ou un générique (bon ou mauvais toxico, ce qui est parfois déjà le cas) ?

> Sachant que Suboxone® n'est pas une alternative pour tous les injecteurs, quelles sont les autres solutions ?

> L'élargissement de la primo-prescription de méthadone (réputée moins injectable) en médecine de ville doit-il être inclus dans cette réflexion ?

> Faut-il, comme le préconisent certains, mettre sur le marché une substitution injectable ?

> Dans ce cas, doit-il s'agir de buprénorphine, ou doit-on imaginer directement l'héroïne injectable médicalisée (comme l'ont fait nos voisins suisses depuis des années) ?

> Qu’en est-il du sniff de buprénorphine (sachant que cette pratique est probablement plus fréquente que l’injection, même si elle est moins étudiée) et y a-t’il là aussi une différence en termes de risques encourus par les usagers ?

Nécessité d'une réflexion globale des autorités de santé

Tous les professionnels qui prescrivent et délivrent ces traitements de substitution se sentiront concernés par ces questions qu’ils se posent souvent déjà.

Elles demandent également une réflexion globale de la part des autorités de santé. Quelle va être la position de certaines d’entre elles qui voient les mésusages et certains dommages collatéraux comme un échec relatif de la diffusion des traitements de substitution alors que nous

 

pensons qu’ils traduisent un manque de moyens et de solutions alternatives (hébergement social, salles de consommation, substitution injectable…) ? Vont-elles porter ces solutions alternatives dans un esprit de réduction des risques ? Ont-elles une marge de manoeuvre (politique) et les moyens de porter des projets innovants, même s’ils sont déjà largement expérimentés ici et ailleurs ?

Informations complémentaires, juin 2013

Ce communiqué a été rédigé suite au point d’information du 25 avril 2013, mis en ligne sur le site de l’ANSM à propos des sujets évoqués à la Commission Nationale des Stupéfiants et Psychotropes. Quelques jours plus tard, le compte-rendu complet de cette commission du 21 mars était mis à son tour en ligne.

L’APM publiait dans la foulée, le 3 mai 2013, un communiqué sous le titre suivant : « Plus d'effets secondaires graves rapportés avec les génériques de Subutex® qu'avec le princeps en cas de mésusage.

 

Les génériques de Subutex® pourraient être associés à un plus grand nombre d'effets secondaires cutanés sévères que le princeps en cas de mésusage, selon un dossier examiné lors de la première réunion de la commission des stupéfiants et des psychotropes de l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire du Médicament et des produits de santé (ANSM)».

De son côté, la presse médicale a fait très peu écho de cette information, hormis Le Quotidien du Pharmacien, dans son édition du 16 mai 2013.

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Il nous a semblé que cette information était d’une grande importance, compte-tenu des enjeux en termes de risques pour les usagers et des informations que nous avons à la rédaction du Flyer à propos des pressions qu’exercent certaines caisses pour inciter les médecins et surtout les pharmaciens à génériquer le Subutex® avec l’arme du tiers-payant contre génériques.

Nous ne commenterons pas les échanges qui sont rapportés dans le compte-rendu de la Commission, puisque celui-ci est disponible sur le site de l’ANSM en cliquant sur le lien suivant :

ANSM(PDF)

 

Par contre, nous incitons les professionnels de santé intéressés à cette question de prendre connaissance des échanges entre les participants. A l’intention de nos lecteurs, notamment pharmaciens, nous avons relevé dans les avis que rend la Commission, la formulation suivante :

« Par ailleurs, il apparaît, dans la pratique, que tous les pharmaciens d’officine n’ont pas connaissance du fait que la règle du tiers payant contre générique ne s’applique pas aux traitements de substitution aux opiacés. Aussi, la Commission préconise-t-elle de sensibiliser l’Assurance maladie sur ce point afin que des patients ne se voient pas opposer cette règle à tort. »

Cas du CEIP de Nantes

Sans que cela soit parfaitement démonstratif, il faut noter que le département de Loire-Atlantique (44 - Nantes pour préfecture) a le record absolu en termes de ‘pénétration’ du générique, avec une part de patients recevant le générique (en 2012) de 83%, alors que la moyenne nationale est de 28%. Le suivant est à 53% ! 

 

On peut donc dire qu’il y a sur ce département une surreprésentation du générique de Subutex® pouvant expliquer une origine nantaise à cette problématique. Par ailleurs, les autres départements couverts par le CEIP de Nantes sont dans le haut du tableau et notamment, sur les 6 premiers au classement de la ‘performance générique’, 3 d’entre eux sont présents (44, 72 et 49).

Précisions aux lecteurs

Nous souhaitons préciser à tous les lecteurs, suite aux commentaires que nous avons reçus après l’envoi du communiqué, qu’aucun d’entre nous (les signataires) n’a été en relation avec des représentants de la firme Reckitt-Benckiser qui commercialise Subutex® lors de la rédaction de ce communiqué. Notre propos n’a été à aucun moment de faire la promotion du princeps contre le générique, encore moins la promotion de Suboxone® par rapport au mésusage (nous ne croyons pas suffisamment à cette alternative) mais d’ouvrir le débat sur une substitution injectable telle qu’elle existe dans d’autres pays. Nous pensons que les génériques de Subutex® ont leur place, comme pour les génériques de tout autre médicament tombé dans le domaine public. Mais, obliger un usager injecteur à prendre un produit plus dangereux pour sa santé n’est pas une solution ! Nous ne cautionnons pas le mésusage, bien sûr, mais avons voulu réfléchir (à haute voix) sur les solutions pour le limiter et la mise à disposition d’une substitution injectable en est une, parmi d’autres !

Nous avons reçu un nombre très important de commentaires concernant le communiqué initial que nous avions publié fin avril 2013. Nous n’en avons donc sélectionné qu’une partie, représentative de l’ensemble. Cela montre indubitablement la prise de conscience des intervenants vis-à-vis du problème des mésusages des TSO.

 

Cette ‘histoire’ autour de l’injection de buprénorphine nous rappelle aussi que cette molécule est au départ une molécule injectable, dont l’efficacité a été unanimement reconnue dans le milieu des algologues. Il s’agissait du Temgésic® 0,3 mg (ampoule injectable), dont l’injection d’une seule dose permet de procurer une analgésie équivalente à 10 ou 20 mg de morphine. La voie sublinguale est en fait une voie ‘détournée’ de sa voie ‘royale’, pour des raisons probablement marketing, consistant à diffuser de façon plus large et sans recours à l’injection l’efficacité indéniable de la molécule, sous la forme de comprimés sublinguaux, initialement dosés à 0,2 mg. Mais au prix d’une perte très élevée en bio-disponibilité (au moins 50 à 70%) et en rapidité d’action… En s’injectant la buprénorphine, les usagers ne la détournent pas de son usage, ils en retrouvent l’usage originel et surtout le plus efficace.

Cela doit nous inciter à soutenir les projets visant à donner un statut légal à une substitution injectable, à base d’héroïne ou bien sûr de buprénorphine ou encore d’autres molécules.
En s’étant assurés au préalable que les traitements existants soient réellement accessibles à tous, et partout et prescrits dans les meilleurs conditions d’efficacité pour les usagers. Ce qui n’est pas forcément le cas. L’expérience suisse avec l’héroïne est d’autant plus probante que l’offre en méthadone était largement suffisante…