Michel PERREAULT et al., Montréal, Canada |
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Le Flyer N°30, Nov. 2007 |
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Résumé | ||
Objectifs : Evaluer la capacité d’un programme montréalais à exigences peu élevées de méthadone à favoriser la rétention en traitement chez une clientèle marginalisée après une année de traitement et documenter l’évolution des conditions de vie, des comportements à risque, et de la consommation de substances psychoactives (SPA) de la clientèle en traitement. |
Chez ceux qui sont en traitement après une année, on note une tendance vers la stabilisation des conditions de vie, une diminution du nombre d’injections de SPA, et une réduction des comportements de consommation à risque. Une diminution de la fréquence de consommation d’héroïne et de cocaïne est également observée. Cependant, pour plus des deux tiers (n=42), il y a une augmentation du nombre de jours de consommation des autres SPA. |
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INTRODUCTION | ||
Les programmes de méthadone à exigences peu élevées ont été instaurés pour répondre aux besoins des personnes aux prises avec une dépendance à l’héroïne, et pour lesquelles l’abstinence ne constitue pas un objectif réaliste à court terme [1-3]. Les exigences pour y être admis sont minimales afin d’assurer l’accessibilité à une clientèle très marginalisée vivant dans les conditions précaires [4-6]. La clientèle est généralement polytoxicomane, vit dans des conditions de logement instables et est souvent sans domicile fixe [7,8]. La vulnérabilité de la clientèle se traduit également par une importante désaffiliation sociale, de nombreux comportements à risque pour la transmission du VIH et des infections transmissibles sexuellement ou par le sang (ITSS), la présence de multiples pathologies, de même que des difficultés d’accès aux ressources de santé.
Relais-Méthadone (RM) est un programme à exigences peu élevées qui a été implanté à Montréal en 1999 [4,5]. A l’instar des autres programmes de ce type, l’objectif est de faciliter l’accès au traitement de méthadone aux personnes marginalisées. Dans une philosophie de réduction des méfaits, on y vise la diminution des risques associés à la consommation de drogues dans un contexte de santé publique [9]. |
On y fait aussi la promotion de pratiques de consommation et de comportements sexuels sécuritaires en regard de la transmission du VIH et des ITSS2. La participation à des programmes à exigences peu élevées comme celui-ci, tout comme les programmes réguliers de substitution à la méthadone, induit généralement une diminution de la fréquence d’injections et d’utilisation de seringues souillées7, [10-13]. Une diminution des] comportements sexuels à risque est également enregistrée [11,14]. Dans certains programmes, on note à la fois une diminution de la consommation d’héroïne et de cocaïne [11,15,16]. L’évaluation des programmes à exigences peu élevées présente cependant de nombreuses lacunes, dont la durée des suivis qui s’étalent généralement sur de courtes périodes, variant entre trois et six mois [17-20]. Les études exhaustives sur de plus longues périodes n’ont généralement été menées que pour les programmes réguliers [11,13]. Il existe donc un besoin pour étudier la rétention en traitement et documenter l’évolution de la clientèle des programmes à exigences peu élevées sur une plus longue période. Dans ce contexte, la présente étude porte sur la rétention en traitement, l’évolution des conditions de vie et la consommation de substances psychoactives (SPA) au cours d’une année de suivi.
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MÉTHODE | ||
Milieu : Relais-Méthadone est situé au centre-ville de Montréal. On y offre des services médicaux et d’insertion sociale. On y trouve également du matériel d’injection stérile et des préservatifs. La méthadone est distribuée dans les pharmacies communautaires sur une base quotidienne. Basées sur les principes et la réduction des méfaits, les exigences pour entrer et demeurer dans le programme sont minimales.
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Aucune différence n’a été observée entre les participants et non participants quant à l’âge [t (155) = - 1,8 ; p>0,07], au lieu de résidence (X2 (2) = 1,83 ; p>0,4), à l’occupation (X2(3) = 3,8 ; p>0,29) et aux problèmes judiciaires (X2(1) = 0,51 ; p>0,48). Les personnes qui ont complété l’étude ne présentent pas de différences significatives avec celles qui n’ont pas participé à l’entrevue de recherche après un an, quant à l’âge (t (112) = - 0,92 ; p>0,36] et au genre [X2 (1) = 0,82 ; p>0,37].
Mesures : La rétention est documentée à partir des données d’opération du programme, calculée en fonction du statut du client (en traitement ou en abandon), 12 mois après la date d’admission à RM. Un abandon est défini par l’absence de prise de méthadone pendant trois jours consécutifs. Un épisode de traitement est alors défini comme une séquence où il y a début d’un traitement puis un arrêt de traitement par abandon. Une sous-échelle de l’Index de Gravité d’une Toxicomanie (IGT) [21-23] a été utilisée pour évaluer la consommation des SPA (héroïne, cocaïne, alcool et benzodiazépines) de même que la qualité des conditions de vie (logement, sources de revenus et satisfaction face aux conditions de vie). Le Questionnaire de suivi sur l’épidémiologie de l’infection au VIH24 a été utilisé pour mesurer les comportements à risque pour la transmission du VIH et des ITSS (nombre d’injections, utilisation de seringues souillées et rapports sexuels avec un UDI). Analyses : Les analyses des données ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS. Des analyses bivariées (T-test pour échantillons pairés et indépendants et les tests du khi-carré) ont été menées afin de vérifier la présence de différences ou de relations entre les données recueillies à l’admission et après 12 mois. |
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RÉSULTATS | ||
Rétention en traitement et épisodes de traitement | ||
Après un an, 73 (64 %) des 114 personnes participant à l’étude étaient encore suivies à RM (voir tableau I). Parmi celles-ci, 52 (45,6 %) en étaient à leur premier épisode de traitement et 21 (18,4 %) présentaient de deux à cinq épisodes de traitement, pour un nombre moyen de 1,3 épisodes (ET = 0,7) d’une durée moyenne de 198,3 jours (ET = 154,6) équivalant à une période d’environ 6 mois et demi.
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Parmi les clients qui n’étaient pas en traitement après une année, 19 (16,7 %) présentaient un cheminement « positif » (soit un transfert vers un programme à niveau d’exigences régulier ou un sevrage volontaire de la méthadone), et 22 (19,3 %) avaient abandonné le traitement.
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Évolution des conditions de vie et des conduites à risque | ||
Après une année en traitement, les clients qui déclarent des revenus tirés d’un travail étaient significativement plus nombreux à l’admission alors que 31,7 % des clients ont déclaré de tels revenus, comparativement à 23,3 % après 12 mois [X2 (1&) = 13,34 ; p<0,00] (voir tableau II). La proportion de clients ayant déclaré des revenus issus de sources illégales a également diminuée significativement, passant de 71,7 % à 50,0 % après 12 mois [X2 (1) = 4,02 ; p<0,05]. De plus, les clients se disaient significativement plus satisfaits de leurs conditions de vie après 12 mois (35,7 %) en traitement [admission : 23,8 % ; X2 (4) = 11,14 ; p<0,00].
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Pour ce qui est des conduites à risque, le nombre moyen d’injections a diminué significativement, passant de 84 (ET = 118,9) à moins de 22 injections (M = 21,6 ; ET = 71,9 ; t (59) = 3,75 ; p<0,00] au cours de la même période. Le nombre de jours moyen d’utilisation de seringues souillées a aussi diminué significativement, passant de 1,2 jours (ET = 3,2) à 0,08 jour (ET = 0,65 ; t (59) = - 2,5 ; p<0,02]. Aucune différence significative n’a par contre été observée pour l’utilisation de seringues souillées (x2 (1) = 0,23 ; p>0,63], les comportements sexuels à risque [X2 (1) = 1,86 ; p>0,17] ou la fréquence de rapports sexuels avec une personnes UDI [t (59) = - 0,63 ; p>0,53].
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Évolution de la consommation de SPA | ||
Pour les clients en traitement après un an, le nombre moyen de jours de consommation d’héroïne déclaré était de plus de 19 jours (M = 19,2 ; ET = 10,9)
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et a diminué significativement à moins de 2 jours après un an [M = 1,9 ; ET = 4,6 ; t (59) = 12,08 ; p<0,00].
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La proportion de personnes qui rapporte avoir consommé de la cocaïne a aussi diminué significativement, passant de 63,3 % à 36,7 % [X2 (1) = 5,11 ; p<0,02].
Toutefois, 14 (23 %) clients ont augmenté ou maintenu une consommation quotidienne de cocaïne. Pour ces clients, la fréquence de consommation a significativement augmenté de 3,9 (ET = 6,1) ) 13,8 jours (ET = 10,6) au cours de la même période [t (13) = 3,8 ; p<0,00]. |
Huit de ces 14 consommateurs s’administrent la cocaïne par voie intraveineuse, dont 5 ont rapporté s’injecter cette substance à l’admission. Aucune différence significative n’a cependant été observée pour la fréquence de consommation de l’alcool [t (59) = 1,26 ; p>0,21], et la fréquence de consommation de benzodiazépine a augmenté, passant de 1,1 jours (ET = 4,1) à 3,1 jours (ET = 8,5 ; t (59) = 2,02 ; p<0,05].
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DISCUSSION | ||
L’étude a permis de dresser un portrait de la rétention en traitement d’une cohorte de 114 personnes traitées dans un programme de substitution à la méthadone à exigences peu élevées, et de documenter l’évolution de 73 d’entre elles après une année de traitement. Un an après l’admission, le taux de rétention en traitement s’élève à 64 %. Une étude antérieure menée à RM avait révélé un taux de rétention de 72 % après 6 mois6. Il semble donc que la majorité des abandons survient dans les six premiers mois de traitement. De plus, une proportion de 16,7 % des clients présente un cheminement « positif » après un an. Ainsi, 80,7 % des 114 participants sont demeurés en traitement ou présentent une situation favorable un an après leur admission.
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Pour ce qui est des conditions de vie des clients en traitement, elles semblent se stabiliser après une année. Les conduites à risque pour la transmission du VIH et des ITSS diminuent, conformément aux résultats d’autres études sur des programmes à exigences peu élevées7 ou réguliers [10-13].Il importe de rappeler les limites inhérentes à l’étude. Premièrement, les données recueillies ne concernent que les personnes en traitement après un an et ne sont donc pas informatives de la situation des clients qui ont abandonné le programme. Deuxièmement, comme la première entrevue a eu lieu quelques jours après le début du traitement, l’ensemble des changements survenus au cours de l’année est sous-estimé.
Au plan technique, les résultats indiquent que certains clients présentent des risques d’augmenter leur consommation d’une ou plusieurs SPA. Bien que le mode d’administration de ces autres drogues présente généralement moins de risques au plan de la santé publique, il n’en demeure pas moins que trois personnes ont rapporté s’être injecté de la cocaïne au cours du dernier mois de suivi alors qu’elles n’avaient pas rapporté ce type de consommation au cours du mois précédent leur admission au programme. Le programme n’a pas atteint son objectif de réduction des méfaits de ces personnes. Dans les recherches futures, il sera pertinent d’examiner plus attentivement leur situation, de même que celles des personnes qui abandonnent le traitement sans y revenir. Il s’agissait ici de près d’une personne sur cinq. Dans le contexte d’un programme à exigences peu élevées, il importe de mieux comprendre comment les services peuvent être encore mieux adaptés aux conditions des clientèles les plus vulnérables. |
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Références | ||
1. Ogborne AC, Birchmore-Timney C. A framework for the evaluation of activities and program with harm-reduction objectives. Subst Use Misuse 1999;34(1):69-82.
2. Riley D. La réduction des méfaits lies aux drogues : politique et pratiques. Dans : Brisson P. (dir.). L’usage des drogues et la toxicomanie, vol. II. Boucherville ; Gaëtan Morin, 1994. 3. Rogers SJ, Ruefli T. Does harm reduction programming make a difference in the lives of highly marginalized, at-risk drug users? Harm Reduction J 2004;1(7). Disponible sur: http//www.harmreductionjournal.com/content/1/1:7 (Consulté le 1 mai 2006). 4. Perreault M, Rousseau M, Mercier C, Lauzon p, Gagnon C, côté p. Accessibilité aux traitement de substitution de la méthadone et réduction des méfaits : le rôle d’un programme à exigences peu élevées. Rev can santé publique 2003 ;94(3) :197-200 5. Perreault M, Tremblay I, Mercier C, Barbeau D, Ndejuru R, Lauzon P. Evaluation d’implantation dans un contexte participatif : le processus suivi à Relais-Méthadone. Drogues, Santé et Société 2003 ;2(1). Disponible sur : www.drogues-sante-societe.org. 6. Perreault M, Rousseau M, Lauzon P, Mercier C, Tremblay I, Héroux M-C. Determinants of retention in a Canadian low-threshold methadone maintenance program. J Maintenance A ddictions Sous presse 2006. 7. Ryrie IW, Dickson J, Robbins C, MacLean K, Climpson C. Evaluation of a low-threshold clinic fir opiate-dependent drug users. J Psychiatric Mental Health News 1997;4:105-10. 8. BenninghoffF, Gervasoni JP, Spencer B, Dubois-Arber F. Caractéristiques de la clientèle des structures à bas seuil d’accès pour toxicomanes mettant à disposition du matériel d’infection stérile en Suisse. Revue d’épidémiologie et de santé publique 1998 ;46 :205-17. 9. Cheung YW. Substance abuse and developments in harm reduction. CMAJ 2000;162(12):1697-700. 10. Gossop M, Marsden J, Stewart D, Kidd T. Reduction or cessation of injecting risk behaviours? Treatment outcomes at 1-year follow-up. Addict Behav 2003;38:785-93. 11. Hubbard RL, Craddock SG, Flynn PM, Anderson J, Etheridge RM. Overview of 1-year follow-up outcomes in the Drug Abuse Treatment Outcome Study (DATOS). Psychol Addict Behav 1997;27(2):225-38. 12. Maddux JF, Desmond DP. Outcomes of methadone maintenance 1-year after admission. J Drug Issues 1997;27(2):225-38 13. Simpson DD, Joe GW, Brown BS. Treatment retention and follow-up outcomes in the Drug Abuse Treatment Outcome Study (DATOS). Psychol Addict Behav 1997;11(4):294-307. 14. Gossop M, Marsden J, Stewart D, Treacy S. Reduced injection risk and sexual risk behaviours after drug misuse treatment: Results from the National Treatment Outcom Research Study. AIDS Care 2002;14(1):77-93. 15. Shaffer HJ, Lasalvia TA. Patterns of substance use among methadone maintenance patients. J Subst Abuse Treat 1992;9:143-47. 16. Gossop M, Marsden J, Stewart D, Rolfe A. Patterns of improvement after methadone treatment 1-year follow-up results from the National Treatment Outcome Research Study. Drug Alcohol Depend 2000;60:275-86. |
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Remerciements | ||
La rédaction du Flyer remercie chaleureusement le Pr Michel Perreault, professeur agrégé de l’Institut Santé Mentale Douglas de MONTREAL de nous permettre ici la reproduction de l’article ci-avant. Celui-ci a fait l’objet d’une première publication originale dans la Revue Canadienne de Santé Publique, Janvier-février 2007 ; 98,1.
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Les co-auteurs sont : Marie-Christine Héroux et Noé Djawn White (Centre de recherche de l’Hôpital Douglas, Montréal), Pierre Lauzon (CRAN de Montréal), Céline Mercier (Centre de réadaptation Lisette-Dupras, Montréal) et Michel Rousseau (Département des sciences de l’éducation, Moncton).
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