SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Alcool

Alcool : la consommation à faible risque peut-elle être un objectif thérapeutique ?

ALCOOL : LA CONSOMMATION À FAIBLE RISQUE PEUT-ELLE ÊTRE UN OBJECTIF THÉRAPEUTIQUE ?
Pr Henri-Jean AUBIN, Dr Amandine LUQUIENS,
Pr Michel REYNAUD, CERTA, Hôpital Paul Brousse, Villejuif (94)

Le Flyer N°44, Septembre 2011

Éthanol et mortalité

L’éthanol se distingue des autres substances d’abus par un effet opposé sur la santé en fonction de la dose. En effet, la consommation de doses modérées d’alcool a un effet protecteur sur le plan coronarien à des doses inférieures à 70 g/j. Cet effet est inversé au delà. C’est la fameuse courbe en J, montrant que les personnes abstinentes de l’alcool ont un risque plus élevé que les consommateurs modérés. D’un autre côté, l’alcool augmente sur le risque oncologique et hépatique dès la prise de faibles doses.

Finalement, si on prend un indicateur comme la mortalité, susceptible d’intégrer les effets relatifs de la consommation d’alcool dans l’ensemble des pathologies, on continue à percevoir une courbe en J, avec un risque réduit à 10 g/j par rapport à l’abstinence, mais qui augmente au-delà. On a donc ici une situation très différente du tabac, où toute consommation, même indirecte, est nocive.

Rémission dans l'alcoolodépendance

La rémission complète de l’alcoolodépendance est définie par la disparition de toute manifestation d’abus ou de dépendance pendant une période d’au moins un an. Les études en population générale montrent que, bien que l’abstinence soit incontestablement la modalité de rémission la plus stable, une proportion substantielle de personnes alcoolodépendantes se stabilisent dans leur rémission tout en consommant de l’alcool. Sans surprise, le taux de stabilité de la rémission diminue quand la consommation d’alcool augmente à des niveaux excessifs (dépassant 4 verres par jour chez l’homme et 3 verres par jour chez la femme dans les recommandations américaines). La stabilité de la rémission est réduite chez les personnes ayant eu recours au système de soins pour leur problème d’alcool, dont l’atteinte est en général plus sévère.

Dans notre propre centre, accueillant des patients souffrant d’alcoolodépendance sévère, nous avons également pu observer des rémissions stables hors abstinence.

Ainsi, bien que l’abstinence offre la meilleure stabilité de rémission, les données objectives montrent qu’une personne alcoolodépendante n’est pas nécessairement condamnée à l’échec si elle s’engage dans une voie alternative de réduction de la consommation. Pourtant, dans une enquête récente menée auprès des membres de la société Française d’Alcoologie, la moitié des alcoologues rejetaient l’idée qu’on puisse s’engager sur un objectif de consommation contrôlée avec un patient alcoolodépendant.

Le choix du patient quant à l'abstinence ou la consommation contrôlée

Une étude britannique récente a montré que de leur côté la moitié des patients alcooliques se présentant dans les centres de soins pour leur problème d’alcool ne souhaitent pas s’engager dans l’abstinence, mais attendent de leur thérapeute une aide pour réduire leur consommation. Quand on laisse le choix de l’objectif – abstinence ou consommation contrôlée- aux patients, on s’aperçoit qu’ils choisiront d’autant plus fréquemment l’abstinence qu’ils auront d’une part un problème sévère avec l’alcool, et qu’ils auront d’autre part la croyance en leur totale incapacité à contrôler leur consommation.

On observe également une meilleure adhésion au traitement quand le choix de l’objectif est laissé au patient.

Nous avons assisté depuis la fin des années 1990 à un glissement culturel auprès des thérapeutes alcoologues, à la faveur de la dissémination des formations à l’entretien motivationnel, qui reprend les grandes propositions de Carl Rogers sur l’empathie et le traitement centré sur la personne. Nous glissons ainsi d’une approche paternaliste – le médecin est l’expert, le prescripteur, et tâche de convaincre son patient – à une approche responsabilisatrice, favorisant l’autodétermination.

Suivi par le thérapeute et auto-monitoring

Si le thérapeute aura eu soin de renforcer le sentiment de responsabilité et de confiance du patient dans une approche empathique, il aura permis de discuter les différentes options concernant les objectifs de consommation : abstinence complète, abstinence temporaire, réduction de la consommation selon différentes modalités.

Si le patient rejette toute stratégie impliquant l’abstinence, il est bon de proposer au patient de faire un auto-monitoring de sa consommation sur la période la plus longue possible, monitoring qui pourra être une base de discussion régulière avec son thérapeute. Ce simple regard permanent sur sa propre consommation est susceptible à lui seul de modifier substantiellement la consommation. 

Le thérapeute devrait également négocier des cibles de consommation à atteindre : combien de verres, à quelle fréquence, dans quelles circonstances ? Ces cibles devraient être consignées par écrit dans le dossier médical et régulièrement évaluées. Le thérapeute peut également aider son patient à trouver des astuces simples pour gérer ou éviter les situations à plus haut risque de dérapage.

L’expérience clinique montre qu’à la suite d’une telle stratégie centrée sur la personne, certains patients vont rapidement réviser leur position sur l’objectif du traitement : s’ils observent qu’ils ont effectivement perdu la possibilité de contrôler leur consommation, ils vont demander à leur thérapeute de passer au plan B, et de les aider à obtenir l’abstinence alcoolique.

Références bibliographiques :

! Adamson SJ, Heather N, Morton V, Raistrick D. Initial preference for drinking goal in

the treatment of alcohol problems: II. Treatment outcomes. Alcohol Alcohol

2010;45(2):136-42.

! Aubin HJ. L’abstinence à tout prix ? Alcoologie et Addictologie 2000;4:279-80.

! Dawson DA, Goldstein RB, Grant BF. Rates and correlates of relapse among

individuals in remission from DSM-IV alcohol dependence: A 3-Year follow-up.

Alcoholism Clinical and Experimental Research 2007;31(12):2036-45.

! Heather N, Adamson SJ, Raistrick D, Slegg GP. Initial preference for drinking goal in

the treatment of alcohol problems: I. Baseline differences between abstinence and

non-abstinence groups. Alcohol Alcohol 2010;45(2):128-35.

! Luquiens A, Reynaud M, Aubin HJ. Is controlled drinking an acceptable goal in the

treatment of alcohol dependence? A survey of French alcohol specialists. Alcohol

Alcohol in press.

! Rehm J, Zatonksi W, Taylor B, Anderson P. Epidemiology and alcohol policy in

Europe. Addiction 2011;106 Suppl 1:11-9

! Sobell MB, Sobell LC. Controlled drinking after 25 years: how important was the

great debate? Addiction 1995;90(9):1149-53!


Ce texte a fait l’objet d’une présentation par le Professeur Henri-Jean AUBIN en séance plénière au 5èmes Journées de l’Albatros qui se sont tenues du 9 au 11 juin 2011 à Paris.