Anne BECART, Michaël COGO, Clinique de médecine légale et de médecine en milieu pénitentiaire, pôle ambulatoire (UCSA), CHRU de Lille |
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Le Flyer, N° 26, Novembre 2006. |
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L’indice CAO : dents cariées, absentes, obturées | ||
La dégradation de l'état bucco-dentaire des toxicomanes est un fait avéré comme en témoignent les études réalisées entre des groupes de toxicomanes soignés en centres de soins spécialisés d’une part et des sujets issus d’une population générale d’autre part (1). |
Elles mettent en avant la différence significative de l’indice CAO (dents cariées, absentes, obturées), qui traduit l'état de santé bucco-dentaire, entre ces deux types de populations. |
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Etat bucco-dentaire de la population toxicomane | ||
Depuis la loi de 1994, les soins médicaux et dentaires sont assurés par les services hospitaliers au sein même de la prison. Les études menées dans ce secteur montrent que l’état bucco-dentaire des sujets incarcérés est extrêmement dégradé (2,3) et une enquête réalisée à la maison d’arrêt de Loos en 1995 auprès des personnes entrants dans l’établissement a permis de constater que seuls 2% des détenus, à leur arrivée, ne nécessitaient pas de soins dentaires. Cet établissement accueille des sujets prévenus en attente de jugement. En 2005, une étude (4) menée à la maison d’arrêt de Sequedin a retrouvé la même nécessité en soins dentaires. |
L’état bucco-dentaire pouvait être qualifié de bon pour 28%, moyen pour 32%, mauvais pour 25%, très mauvais 25%. Une prescription immédiate en rapport avec un état infectieux a été nécessaire dans 16% des cas. Parmi les 8% des sujets ayant refusé les soins proposés, la plupart présentaient déjà un mauvais état bucco-dentaire. Cette étude a été réalisée dans un centre de détention qui a donc pour vocation d’accueillir des sujets jugés, ayant déjà effectué un passage en maison d’arrêt. La proportion de sujets toxicomanes était importante au sein de ce centre de détention. L’étude a montré que même si des antécédents de soins existent, les traitements n’ont pu être menés à terme durant l’incarcération préalable en maison d’arrêt tant le nombre de dents atteintes est important dans la population toxicomane. |
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Etat bucco-dentaire de la population carcérale héroïnomane / la population carcérale non toxicomane | ||
Une autre étude (6) a été menée en 1996- 1997 à la maison d’arrêt de Loos - lez -Lille qui accueillait alors 1100 détenus, dont 120 femmes. Dans ce travail mené sur 6 mois, le statut bucco-dentaire d’un groupe de 47 sujets, ayant consommé ou consommant de l’héroïne a été comparé à celui d’un groupe témoin de 46 sujets incarcérés non toxicomanes. L’indice retenu pour évaluer ce statut était l’indice CAO. Les valeurs limites d’âge s’étendaient de 16 à 35 ans, avec un âge moyen de 25 ans dans les 2 groupes. La population toxicomane est particulièrement jeune et 81% des toxicomanes avaient entre 21 et 30 ans. La répartition par sexe dans les 2 groupes est représentative de la population carcérale de Loos. La durée moyenne de consommation d’héroïne était de 52 mois ; les valeurs limites s’étendant entre 2 et 196 mois. Le mode de consommation était : par inhalation exclusive (57,5% des cas), par injection exclusive (19% des cas), par combinaison des 2 modes (23,5% des cas). Le CAO augmente parallèlement à l’âge du sujet dans les 2 groupes. La tranche d’âge 31-35 ans fait exception chez les sujets toxicomanes à l’héroïne. |
Le CAO des héroïnomanes est significativement plus élevé que celui des non toxicomanes (test t de Student pour p< 0,005). Le CAO moyen des héroïnomanes est de 12,98 alors que celui des non toxicomanes est de 9,28. Il existe une différence significative du nombre de dents cariées mais pas de différence significative pour le nombre de dents absentes ou obturées. Cette étude montre donc que l’indice CAO est plus élevé pour les héroïnomanes ou anciens héroïnomanes que pour les sujets non toxicomanes dans la population carcérale de Loos. Elle a également permis de constater la fréquence élevée de caries cervicales chez les sujets toxicomanes à l’héroïne. L’examen bucco-dentaire a permis de mettre en évidence, chez les sujets du groupe « héroïnomane », de nombreuses caries vestibulaires ou buccales, plus étendues, plus larges, plus sombres et moins sensibles que les caries cervicales habituelles. Ces caries entraînent une dégradation très rapide de la dent atteinte. La carie débute par une coloration blanchâtre au collet et se transforme rapidement en atteinte carieuse. |
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Carie de Lowenthal | ||
Ces caries cervicales, nommées caries de Lowenthal (7) seraient pathognomoniques de la consommation d’héroïne. Elles sont, au moins, évocatrices de cette consommation. La prévalence exacte de la carie de Lowenthal est difficile à évaluer en raison du caractère rapide de son évolution. La plupart des héroïnomanes incarcérés à Loos font l’objet d’incarcérations itératives. Ils ont déjà bénéficié de soins dentaires ou subi des avulsions lors d’incarcérations précédentes et il est donc extrêmement difficile d’évaluer dans une telle population, la prévalence de caries de Lowenthal. Ceci ne serait réalisable que chez des sujets en première incarcération et n’ayant pas reçu de soins dentaires récents. |
Les données recueillies ont souligné que les sujets témoins recrutés en population non carcérale sont soucieux de leur état bucco-dentaire, alors qu’en population carcérale les sujets témoins et les toxicomanes présentent le même état de négligence bucco-dentaire, le même manque de couverture sociale et le même manque d’éducation sanitaire. Néanmoins, dans cette population carcérale, le CAO des héroïnomanes reste significativement plus élevé que celui des non toxicomanes. |
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Etat bucco-dentaire, toxicomanie et traitements de substitution | ||
Les populations concernées par les études précédemment citées ont pu potentiellement bénéficier d’un traitement de substitution par la méthadone. La méthadone sous forme de sirop peut favoriser le développement de caries en raison de sa haute teneur en saccharose (8). L’incorporation d’un polyol substitué au saccharose permettrait de supprimer ce facteur potentiellement aggravant d’une maladie carieuse pré-existante. Une autre solution pourrait être la recherche d’une forme galénique plus adaptée, comprimé ou gélule, afin de limiter encore le risque carieux. Dans l’attente de ces solutions, le bénéfice attendu du traitement de substitution n’est en rien comparable à un potentiel effet cariogène. |
Les études antérieures au développement des traitements de substitution illustrent bien le caractère généralisé des pathologies carieuses chez les sujets toxicomanes. L’importance quantitative des pathologies dentaires cariées chez les toxicomanes non traités par traitement de substitution est bien avérée. Le fait que le traitement par la méthadone ait potentiellement pour effet secondaire de favoriser l’apparition de nouvelles caries ou d’aggraver les caries existantes ne saurait donc être un argument susceptible de remettre en cause l’instauration ou le maintien de ce traitement. |
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Pluralités de facteurs | ||
La pathologie carieuse se développe au sein d’un ensemble de facteurs prédisposants dont la prédisposition familiale, un régime alimentaire non équilibré et l’absence d’hygiène font également partie. Les sujets toxicomanes cumulent ces divers facteurs de risque en y ajoutant une dégradation des tissus durs de la dent par un processus physio-pathologique mal connu mais dont les conséquences délétères sont indéniables. En détention, les toxicomanes subissent un stress lié à l’incarcération, très souvent de nature à nécessiter un traitement par médicaments psychotropes. Ces traitements ont notamment pour effet secondaire de provoquer une asialie ou une diminution du flux salivaire venant s’ajouter aux conditions favorisant l’apparition de la carie par une diminution du pH salivaire. |
La balance bénéfice-risque ne peut donc être étudiée en fonction d’un éventuel effet secondaire, non déterminé quantitativement mais qui serait dans tous les cas négligeable face aux nombreux autres facteurs de risque carieux induits à la fois par la toxicomanie et par l’incarcération. Si ces patients traités par la méthadone sont attentifs à l’obtention d’une dentition saine par une compliance aux soins dentaires, par la recherche d’une hygiène bucco-dentaire correcte et un brossage des dents régulier, par l’observation d’un régime alimentaire équilibré et la limitation d’aliments ou de boissons sucrés, le risque de dégradation de l’état bucco-dentaire induit par l’excipient sucré de la méthadone devient acceptable. |
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Accès aux soins | ||
La meilleure stratégie à envisager est de favoriser l’accès aux soins dentaires pour l’ensemble des patients incarcérés en autorisant une adéquation entre les effectifs de praticiens dentistes et les populations réelles des établissements pénitentiaires ; ces effectifs étant trop souvent encore corrélés à une capacité d’accueil théorique bien éloignée des réalités de la sur-population. |
L’optimisation des effectifs de chirurgie dentaire permettrait aux praticiens de remplir leur mission de prévention et d’éducation à la santé, trop souvent écartée, faute de temps pour accomplir les soins. L’amélioration de la santé bucco-dentaire des personnes incarcérées passe obligatoirement par ce renfort en praticiens. |
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Bibliographie | ||
1- Bernardini A.M., Camus J.P. Etat bucco-dentaire chez le toxicomane. Revue d'Odonto-Stomatologie, 1983, XII, 3 : 169-173 |
5- A. Bécart-Robert, M. Cogo, G.Tournel, G. Moutel,V. Hédouin, D. Gosset.Activité dentaire à l’UCSA de Loos. Bilan de 9 années d’exercice. Communication orale 4ème congrès des UCSA de l’Est. Nancy, octobre 2000 |
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