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L'actualité vue par la cyberpresse
par Emmanuel Meunier
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40ème anniversaire de la loi de 1970 : une répression de l’usage sans précédent | ||
Pour les 40 ans de la loi de 1970, l’OFDT a publié une enquête sur l’application de son volet répressif et révèle que l’application de la loi est aujourd’hui plus répressive que jamais (Tendances n° 72, OFDT, Octobre 2010). Et ceci dans un contexte, comme le note la sociologue Anne Coppel, où « l’immobilisme français sur la loi de 1970 a longtemps reposé sur la croyance qu’il y avait « une dépénalisation de fait », que l’interdit avait une fonction purement symbolique, et qu’il n’y avait pas d’usager en prison pour usage. » Or, « contrairement à ce que l'on entend souvent, observe l’OFDT, la pénalisation de l'usage de stupéfiants atteint des niveaux jamais égalés en France. Au point d'être devenu un contentieux de masse. » 137.000 personnes ont été interpellées pour usage simple de stupéfiants en 2009, dont 125.000 pour du cannabis. Ces interpellation pour usage, représente 86% du total des interpellations pour infraction à la législation des stupéfiants (ILS). Comme l’observe l’auteure de l’étude de l’OFDT, Ivana Obradovic, ce taux d’interpellation n’est pas sans lien avec la « politique du chiffre » : « Elucidées au moment même où elles sont constatées, les infractions d’usage améliorent mécaniquement le taux d’élucidation des unités de police. » Même constat du côté de la justice, où les condamnations pour usage simple (13.000 en 2008) augmente, même si les incarcérations pour usage restent stables (1.360 usagers simples en 2008). |
Pour réprimer en limitant les incarcérations dans des prisons surpeuplées, les tribunaux utilisent une palette de sanctions sans cesse élargie : avertissement, rappel à la loi, orientation vers une consultation spécialisée, stage de sensibilisation obligatoire et payant, amende, travaux d'intérêt général. Conséquence: les classements sans suite sont devenus très rares. Toutefois on ne peut s’empêcher de noter que si l’on comptabilise ensemble les incarcérations pour usage et les incarcérations pour détention-acquisition (dont un important pourcentage correspond à des usagers de drogue interpellé au moment où ils achètent leurs produits), on aboutit, en 2008, à 3.111 peines ferme pour usage illicite de stupéfiant et 5.456 peines ferme pour détention-acquisition de stupéfiants soit au total 8.567. Ces condamnations ne sont pas anodines, car elles sont inscrites sur le casier judiciaire et elles conduisent, en cas de récidive, à des peines très dure (peine-planché de 4 ans pour les multirécidivistes). On est donc très loin de « dépénalisation de fait » de l’usage. Sources :
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Critiques en France des impacts négatifs de la répression sur les usages sur la santé et l’insertion des usagers de drogues |
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La politique répressive ne semble pas avoir d’impact positif sur la consommation, les jeunes français consommant en moyenne plus de drogue que la moyenne des jeunes européens. Jean Pierre Couteron, psychologue, et Alain Morel, psychiatre, dans une tribune du Monde, mettent en garde contre la croyance illusoire dans la vertu d’un interdit posé, sans qu’il soit accompagné d’une démarche éducative. « Tout observateur un peu averti sait que la loi de 1970 est obsolète et que sa révision est indispensable. Un cadre législatif qui veut régir un comportement social doit être en phase avec la société dans laquelle ce comportement se déploie… Dans une société où la norme est la consommation de masse au nom du bien-être individuel, vouloir imposer par voie pénale l'abstinence des drogues en modèle de comportement ou ériger la modération en règle de vie pour tous est voué à l'échec. » La loi doit se borner à réguler ces conduites, car « l'expérience en matière d'éducation à la santé montre que les interdits dans ce domaine ne viennent qu'en appui à la relation éducative et qu'ils ne sont respectés que s'ils apportent au consommateur un mieux-être supérieur à celui qu'il tire de son comportement. |
La sanction pénale (amende, prison ou autre) n'a que peu d'incidence et provoque souvent des effets pervers (clandestinité, prises de risques). Ce qui n'exclut pas les mesures d'incitation voire d'obligation de soins dans certains cas précis d'usages problématiques. » Sources :
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Critiques internationales des impacts négatifs de la répression sur les usages sur la santé et l’insertion des usagers de drogues | ||
Un numéro spécial du Lancet du 20 juillet publie une étude internationale qui montre que le recours aux soins est notamment entravé par la discrimination à l’égard des usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI) et par une criminalisation excessive de l’usage de drogues. L’ANRS commente cette étude : « Une approche plus humaine et moins stigmatisante, considérant les UDVI avant tout comme des personnes nécessitant une prise en charge globale, pourrait pourtant non seulement permettre de réduire de façon importante le risque d’infection par le VIH parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse, mais également dans la population générale. » Le 26 octobre, devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, un expert, Anand Grover, a fait cinq recommandations, dont l’adoption des mesures de protection de la santé et la dépénalisation de l’usage et de la détention, validées par des collectifs d’experts internationaux. La XVIIIe Conférence internationale sur le sida (23/07/10) adopte la « Déclaration de Vienne » pointe les effets néfastes de la répression : une épidémie de VIH alimentée par la criminalisation |
des personnes qui consomment des drogues illicites ; des flambées de VIH parmi les utilisateurs de drogues incarcérés et asilaires ; l’affaiblissement des régimes de santé publique lorsque les efforts d’application de la loi poussent les utilisateurs de drogues illicites à ne pas se prévaloir des services de prévention et de soins ; une crise dans les systèmes de justice pénale, découlant de taux d’incarcération records dans plusieurs pays ; la stigmatisation des personnes qui utilisent des drogues illicites ; de graves violations des droits de la personne ; un énorme marché des drogues illicites d’une valeur annuelle estimée à 320 milliards de dollars américains ; le gaspillage de milliards de dollars des contribuables sur une « guerre contre la drogue » qui n’atteint pas ses objectifs. Sources :
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Critiques des limites de la répression face aux trafics | ||
Le magazine Books interview Moisés Naim, économiste, ancien ministre au Venezuela, membre de la Commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie. Il prône une approche économique du problème : « Il y a une première chose importante à comprendre : tous les trafics illicites sont liés, qu'il s'agisse du trafic de drogues, d'êtres humains, de contrefaçons, d'armes, etc. Nous sommes habitués à analyser les commerces illicites selon des lignes de produits. Mais les trafiquants passent d'un produit à l'autre selon les opportunités économiques. » Il estime que les succès ne sont possibles qu’à condition « de combattre clairement les acteurs des niveaux intermédiaires du circuit de distribution. Les gros profits ne se font pas aux extrémités de la chaîne. Les agriculteurs qui cultivent la coca en Colombie ou l'opium en Afghanistan ne font pas de grandes marges. Les revendeurs finaux, qui vendent au détail leurs doses au consommateur, n'en font guère plus. Les profits et les plus grosses marges se situent au milieu de cette chaîne, au niveau du commerce de gros et du transport de la marchandise : c'est là que vous prenez le plus de risques, et donc que les marges sont les plus élevées. »
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Or observe Pierre Charasse, dans Marianne, « après la Convention de 1988, on avait cru pouvoir attaquer le problème par le biais de la finance : frapper les trafiquants au portefeuille. Vingt ans après, on peut affirmer que les mécanismes anti-blanchiment inventés par le Groupe d’action financière (GAFI) ont fait long feu et n’empêchent pas l’injection massive de capitaux d’origine illicite dans l’économie légale, notamment via les paradis fiscaux. Une raison simple à cet échec : dans le contexte de la mondialisation économique, les mesures anti-blanchiment imposées par les pays occidentaux sont conçues délibérément pour ne pas freiner des mesures anti-blanchiment freinent la libre circulation des capitaux. » Sources :
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Critiques des politiques répressives en raison de leurs effets contre-productifs vis-à-vis du trafic | ||
Le Mexique, l’Equateur, l’Argentine, le Brésil et la Bolivie ont réformé récemment ou envisagent de réformer leur législation, dans la perspective d’une « décriminalisation de la possession de drogue à usage personnel. » Les niveaux de violence d’une guerre à la drogue qui a 28 000 morts au Mexique sans succès tangibles, conduisent l’ancien président mexicain Vincente Fox à souhaiter la « légalisation » des drogues pour qu’elles échappent aux maffieux. La politique « radicale » de décapitation des cartels de la drogue a eu pour effet d'augmenter la violence, puisque les différents réseaux se battent pour récupérer les zones ou routes de la drogue laissées vacantes par les actions des autorités. Stéphane Gatignon, maire Europe Ecologie de Sevran constate la capacité du trafic à se structurer en réponse à la répression : « A Sevran, il y a quatre ou cinq ans, on avait encore des grosses saisies. Ensuite, le trafic se structure : au lieu de tomber sur un appart avec la drogue, l'argent et les armes, tout est réparti en plusieurs apparts avec un système de nourrices (personnes généralement précaires et non impliquée de manière visible dans le trafic qui gardent la drogue et l’argent chez elles) ». Pour Anne Coppel, il n’est pas besoin de mesure aussi radicale que la légalisation. « Le changement de cadre proposé par les experts se limite à des mesures dont l’efficacité est prouvée en matière de protection de la santé mais, si modeste soit-il, ce changement ouvre de nouvelles perspectives. Un exemple, la lutte contre le trafic. Plutôt que de lutter contre le trafic lui-même qui conduit à un renforcement des organisations clandestines, la répression devrait privilégier les conséquences du trafic telles que la violence, le blanchiment et la corruption. » Ce changement de paradigme, où l’on lutterait contre la violence pour lutter contre le trafic (et non plus l’inverse) est appelé de ses vœux par Stéphane Troussel, responsable de l'Office public |
de l'habitat (OPH) de Seine-Saint-Denis qui constate 119 halls de HLM gérés par l’OPH93 sont occupés quotidiennement occupés par des dealers, soit 7,87 % des halls. « C’est l'égalité républicaine, l'état de droit qui est bafoué, note t-il. Quand des locataires sont obligés de baisser la tête et demander pardon pour rentrer dans leur immeuble, c'est un problème d'une autre importance, relevant de la police. » Pour améliorer la situation, on ne peut miser sur des opérations « coup de poing. » « Il faut une police de proximité. Appelez-la comme vous voulez, police de terrain, de quartier... Qu'importe. Seul un travail mené au quotidien sur le long terme par des forces de l'ordre permettra de venir à bout du problème. » Sources :
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Le débat sur la politique des drogues | ||
« 76% des Américains pensent que la politique prohibitionniste menée par la Maison Blanche, appelée « guerre antidrogues », est un échec, observe Moses Naïm. Pourtant, 73% d'entre eux sont contre la légalisation de toutes les drogues, et 60% s'opposent à la légalisation de la marijuana. Cette incohérence -« ça ne marche pas, mais, surtout, ne changez rien »- n'est pas le privilège des Américains. C'est la position de la plupart des sociétés occidentales. »
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1. Les tenants d’un maintien d’une politique de répression, mais réorientée vers la répression du blanchiment, des nuisances liées aux trafics (violences) et qui renforceraient la prévention et le soin aux usagers de drogue. Source :
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Les 10 ans de la loi de dépénalisation de l’usage au Portugal : un modèle | ||
Le Portugal a connu une vaste « épidémie » d’héroïne il y a 10 ans. Parmi les 10 millions d'habitants, on comptait ainsi jusqu'à 100 000 héroïnomanes. En 1998, le gouvernement a donc mandaté João Goulão et huit autres experts pour développer une nouvelle politique anti-drogue. Depuis la loi votée en novembre 2000, l’achat, la possession et l’usage de stupéfiants pour une consommation individuelle ont été décriminalisés. Toutes les drogues sont concernées : du haschisch à la coke en passant par l’héroïne. Celui qui est interpellé en possession de plus de dix jours de consommation (1 gramme d’héroïne, 2 grammes de cocaïne, 5 grammes de haschisch ou 2 grammes de morphine) est considéré a priori comme un dealer. Et, en-deçà, il est présumé usager de drogue et dirigé vers une commission de dissuasion. Sa mission est de dissuader la récidive des consommateurs occasionnels. S’il y a récidive, l’usage peut être sanctionné par une amende, voire un travail d’intérêt collectif. Quant au toxicomane, qui ne peut contrôler sa consommation, il est dirigé vers l’un des 63 centres de désintoxication, où il prit en charge gratuitement par des psychologues et des médecins. L’effort sanitaire induit par la réforme - unités thérapeutiques, centres de désintoxication, commissions de dissuasion, internats pour toxicos, etc. - coûte 75 millions d’euros par an. La loi fait l’objet d’un consensus entre la droite et la gauche. |
En avril 2009, un rapport du Cato Institute, un think tanks américains (de tendance libertarienne), décrit la réalité portugaise comme « un succès retentissant ». Analysant les données européennes et portugaises, il fait apparaître que le pourcentage d’adultes prenant des drogues au Portugal est l’un des plus faibles d’Europe : 11,7 % consommateurs de cannabis contre 30 % au Royaume-Uni, 1,9 % consommateurs de coke contre 8,3 % en Espagne. Les 100 000 héroïnomanes d’avant la loi ne sont plus que 40 000. Et la proportion des 15-19 ans qui se droguent est passée de 10,8 % à 8,6 %. A la fin des années 90, la drogue était la première préoccupation des Portugais, elle se situe désormais à la 13e place… Sources :
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Tentative de légalisation du cannabis en Californie | ||
Le 2 novembre, les électeurs californiens se sont prononcés par référendum d'initiative populaire pour ou contre la proposition 19 qui permettrait la légalisation du cannabis dans cet Etat. 55% des votants se sont prononcés contre la proposition 19, qui entendait autoriser les adultes de plus de 21 ans à posséder jusqu’à 30 grammes d’herbe et la cultiver sur une surface de 2,32 m2. Marché qui devait ensuite être taxé par les collectivités locales. Cette mesure de légalisation (dépénalisation de l’usage, de la production et de la vente) se limite au cannabis. Elle a été fortement soutenue par le milliardaire et philanthrope George Soros qui s’en expliqué dans le The Wall Street Journal : « Les iniquités raciales liées à la lutte contre le trafic de marijuana ne peuvent pas être ignorées. Les Africain-Américains ne consomment pas plus de cannabis que les autres Américains, mais ils ont de trois à cinq, voire 10, fois plus de chances d'être arrêtés pour possession de cette drogue selon la ville où ils se trouvent… Etre pris dans les griffes du système judiciaire fait plus de mal que l'usage de la marijuana. » Si la proposition a échouée en dépit de sondage qui la donnait gagnante, c’est notamment en raison de l’empressement qu’à eu, au dernier moment, l’ex-gouverneur Schwarzenegger de… décriminaliser l’usage de cannabis, qui n’est plus passible de prison mais d’une amende de 100 dollars. La classe politique a rejetée cette proposition, qui avait en outre des conséquences internationale, les USA ne pouvant encourager les pays latino américains à poursuivre leur guerre à la drogue et toléré que l’un de ses Etats légalise la drogue. |
En France quelques hommes politiques s’intéresse à la question de la légalisation comme moyen de lutter contre le trafic de rue. Stéphane Gatignon, maire Europe Ecologie de Sevran (93) « veux aller plus loin que la dépénalisation » : « Les Hollandais, qui ont dépénalisé, ne sont pas allés assez loin. Ils sont tous seuls dans leur coin alors qu'il faut traiter le problème de trafic au niveau européen. La Hollande n'a pas travaillé sur les lieux d'approvisionnement. Les trafiquants les tiennent toujours. » Patrice Bessac, porte parole du PCF, décrit ainsi « les avantages de l’approche de légalisation » : « D’abord, dans le cadre d’accords internationaux, cela conduit mécaniquement à la suppression ou à la réduction du rôle des mafias car l’État – ou les États – prend alors le contrôle de la production, des importations et de la distribution. La vente illégale n’étant plus compétitive, elle disparaît, et avec elle les investissements en termes de force de police qui se révèlent sur ce terrain assez inefficaces de toute façon. Deuxièmement, l’approche de légalisation permet de se concentrer avec une liberté plus grande sur la politique de réduction des risques. »
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