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Emmanuel Meunier, éducateur diplômé en anthropologie
et Thibaut Pannetier, psychologue (2012)
(mise à jour : novembre 2013)
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Sommaire |
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Introduction - La notion de « risque » 1. Approche anthropologique : typologie et dynamique des conduites à risque -La métaphore du jeu 2. Approche sociologique : la lutte pour une place et la déviance - La conduite à risque comme processus d’apprentissage et de reconnaissance d’une place par les pairs |
[Dans la 2nd partie de l'article]
3. Approche psychologique : angoisses inconscientes, défenses psychiques et adaptation - Des métaphores pour explorer les conduites à risque Pour ne pas conclure : la conduite à risque comme « insolence » sociale ? Bibliographie
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INTRODUCTION | ||||||||||
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La notion de « risque » | ||||||||||
Le risque n’est pas le danger en tant que tel, ni le préjudice lui-même. Ces notions sont proches mais à nuancer : le danger est une source potentielle de dommage, le risque est une probabilité, celle de l’occurrence d’un fait indésirable, d’un préjudice, d’un effet nocif, en cas d’exposition au danger. Le préjudice est le dommage. Nous pouvons considérer que la prise de risque réitérée est autrement préjudiciable que l’absence totale de prise de risque dans l’existence. L’équilibre entre prendre trop ou trop peu de risques - au regard de leur « normalité » - pose la question de leur acceptabilité en fonction des différences générationnelles, sociétales et culturelles. L’expression populaire « qui ne risque rien, n’a rien » rappelle l’utilité de la prise de risque et renvoie au lien entre prise de risque et gains, qu’il s’agisse d’un profit matériel, d’un gain d’expérience, d’assurance, de réputation, ou encore de la sauvegarde de sa propre intégrité, de sa vie ou de celle d’autrui. À ne prendre aucun risque, on n’obtient rien, pas même l’assurance de sa sécurité. Le risque implique la possibilité du dépassement, d’un horizon d’attente d’où surgira l’inconnu, la nouveauté. Sans prise de risque, on demeure dans le registre du connu. D’où un lien entre prise de risque et modernité. À ne prendre aucun risque, on stagne. |
Les notions de plaisir, de stimulation ou d’intensité gravitent souvent autour du risque, alors même que l’on craint des conséquences indésirables. En amont du risque l’excitation, la tension ou la peur, et en aval, le soulagement, la satisfaction ou… le dommage. À ne prendre aucun risque, on ne s’éprouve pas.
Le risque sollicite une intelligence ingénieuse, car le risque s’identifie, s’évalue, se réduit, s’évite. Sur un plan temporel, l’identification d’un risque imminent n’est pas du même ordre que celle d’un risque sur le long terme, celui-ci pouvant être plus insidieux, diffus, banalisé. Les risques des uns ne sont pas ceux des autres et l’écart évaluatif entre l’individuel et le collectif est facilement observable. La mesure du risque est aussi dépendante de l’histoire et de l’évolution culturelle. L’évaluation du risque est hautement subjective et demeure toujours, en dernière instance, celle de l’individu au moment de sa prise de risque. Les évaluations externes (d’autrui, du groupe ou d’une institution) sont perçues par l’individu et intégrées à son évaluation interne, pétrie de son histoire et de son expérience. En résulte une alchimie dynamique opaque. Enfin, il apparaît un décalage entre l’énoncé d’un risque, la perception d’un risque, et le « réalisme » d’un risque. |
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La notion de conduite à risque : un ensemble de comportements et une expérience singulière du sujet | ||||||||||
David Le Breton [2008] propose des conduites à risque, cette définition très générale : les conduites à risques « englobent une série de comportements disparates mettant symboliquement ou réellement l’existence en danger. Leur trait commun consiste dans l’exposition délibérée du jeune au risque de se blesser ou de mourir, d’altérer son avenir personnel, ou de mettre sa santé en péril. » Cette définition très générale donne le sentiment que la notion de « conduites à risque » est une notion « fourre-tout », qui rassemble pêle-mêle des conduites aussi diverses que des alcoolisations massives, des prises de toxique, des actes de violences, des prises de risques avec des véhicules, des relations sexuelles dans des contextes problématiques, des anorexies, des boulimies, des fugues, etc. Nous montrerons plus loin que cette notion à sa cohérence interne, en mettant en évidence qu’il existe plusieurs « types » de risque et que les conduites à risque se rattachent à l’un ou l’autre de ces « types ». Mais, par delà l’ensemble de comportements que recouvre la notion de « conduites à risque », il faut aussi considérer les conduites à risque comme des « expériences » vécues par des sujets. |
Toute prise de risques est une expérience structurante pour le sujet parce qu’elle induit des apprentissages (développement d’aptitudes à anticiper et à gérer risques...), parce qu’elle « potentialise » des aspects de la personnalité (prise de conscience de goûts particuliers, découverte de qualités personnelles, comme par exemple le courage, l’endurance...). « L’expérience participe à la construction de soi, écrivent A. Morel et J.P. Couteron. Une expérience se constitue à la fois du ressentie et de l’expérimentation : l’acte permet à l’individu de rencontrer une situation et une émotion, d’où il reçoit information et formation. Faire une expérience, c’est ainsi essayer et éprouver, tant du coté du plaisir et de la découverte que de celui de la limite et de la douleur. C’est aussi poser un acte, une conduite, qui va déterminer une transformation de soi et du monde. En ce sens, l’acte déclenche une expérience et permet à l’individu d’exercer le pouvoir d’interférer sur son vécu et de « construire » une identité, une façon d’être » [MOREL, COUTERON : 2008, p. 12] La conduite à risque, comme nous aurons l’occasion de le voir au long de l’article, oscille entre deux polarités : celle de l’abandon de soi au danger et celle de la maîtrise du risque. |
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La métaphore de l’initiation | ||||||||||
Idéalement, la prise de risque fonctionne comme un parcours « initiatique » qui permet au sujet de découvrir, non seulement, ses propres limites, mais aussi le sens même de la limite, qui n’est pas réductible à une règle énoncée. Le sujet doit inévitablement se poser des règles - s’il veut gérer sa prise de risque - et prendre conscience de sa propre vulnérabilité. Loïc Wacquant, dans « Corps et âme » [WACQUANT : 2002], montre comment les boxeurs d’un club d’un ghetto noir de Chicago, pourtant en quête d’un statut viril, veillent sur eux-mêmes : pour monter sur un ring, il faut avoir préalablement « bichonné » son corps, l’avoir massé, étiré, chauffé et il faut avoir travaillé sur soi pour espérer conserver dans l’épreuve du combat son équilibre psychique et toutes ses potentialités physiques. Autrement dit « la prise de conscience de limites prend également sa vérité dans l’expérience et non dans la seule énonciation de l’interdit » [MOREL, COUTERON : 2008, p. 16]. |
La prise de risque, en tant qu’elle implique une évaluation et une gestion des risques, confronte le sujet à des règles qu’il se pose – ou non – à lui-même, en fonction d’une estime de soi suffisante – ou non – pour poser l’interdit de sa propre autodestruction.
Dans la plupart des cas, les prises de risques ont une issue « heureuse » : on « touche le fond », puis on « remonte », et qui est, renforcé d’avoir découvert en soi un élan de vitalité. C’est bien pourquoi les prises de risques sont fréquentes et produisent finalement peu de dommages. Reste que certains s’enkystent dans les prises de risque et restent « au fond ». Le problème n’est plus, alors, de déterminer pourquoi il y a prise de risque, mais pourquoi, pour un certain nombre d’individu, le processus « initiatique » n’opère pas. |
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Pour une approche transdisciplinaire | ||||||||||
Le triptyque « Drug, Set and Setting » (le produit, l’équation personnelle et le contexte social) d’Alfred R. Lindesmith (1947) et Norman E. Zinberg (1986), popularisé en France par Claude Olievenstein qui a définit la toxicomanie comme la « rencontre d’un produit, d’une personnalité et d’un moment socioculturel », est transposable au champ des conduites à risque : celles-ci peuvent être analysées comme une « rencontre d’une pratique à risque, d’une personnalité et d’un moment socioculturel ». Un tel triptyque permet une approche « transdisciplinaire » (anthropologique, psychologique, sociologique). Approche qui requiert l’intégration d’un « paradigme systémique » qui doit nous rendre attentifs aux interactions entre le type de risque pris, la personnalité du « preneur de risque » et son environnement ; tout en conservant à l’esprit que « le tout dépasse la somme des parties » et que « le sujet, sa conscience, sa capacité à agir et son mode d’être dépassent son fonctionnement physiologique, psychologique et social » [MOREL, COUTERON : 2008, p. 31].
Toutefois, la notion de conduite à risque n’est ni une catégorie de l’anthropologie et de la sociologie et encore moins une catégorie de la clinique. Aussi, pour approcher cette notion dans une perspective transdisciplinaire, nous avons du accepter les limites de « métaphores ». |
De même que la conduite à risque oscille entre celle de l’abandon de soi au danger et maîtrise du risque, la perspective anthropologique nous a suggérés la métaphore du « jeu », pratique qui oscille entre abandon de soi à l’incertitude du sort et maîtrise du jeu. La perspective sociologique nous a suggérés la métaphore de la lutte pour une place qui oscille entre abandon de soi au jugement social et maîtrise de son devenir social. La perspective psychologique nous a suggérés la métaphore de « la défense psychique » face à l’angoisse et qui oscille entre abandon de soi en tant que je suis agit par ma dimension inconsciente et maîtrise consciente. La conduite à risque n’est ni un jeu, ni une lutte, ni une défense, mais chacune de ces notions apportent un éclairage sur les processus à l’œuvre dans les conduites à risque. Le recours aux métaphores surprendra peut-être. Nous nous revendiquons, ici, de Paul Ricœur pour qui la métaphore n’est pas tant une manière de « nommer » autrement une réalité – soit l’usage d’une « dénomination déviante » –, qu’une « prédication impertinente », voire « bizarre », une manière par un nouvel énoncé de « redécrire » la réalité. La fonction heuristique (art d'inventer, de faire des découvertes) de la métaphore est de « porter au langage une expérience, une manière d’habiter et d’être au monde qui le précède et demande à être dite » [REVAULT D’ALLONNES : 174-175]. Telle est sans doute la conduite à risque, manière d’être au monde qui se dérobe toujours à l’effort de conceptualisation. |
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1. Approche anthropologique : typologie et dynamique des conduites à risque | ||||||||||
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La métaphore du jeu | ||||||||||
Jeu et conduite à risque entretiennent un lien de parenté. Ils partagent des fonctions communes pour l’individu : stimulation, catharsis, quête de prestige, d’autonomie par l’affirmation de soi, de protection via le groupe et l’équipe... Les conduites à risques, comme les jeux, sont diverses. Néanmoins, la théorie du jeu de Roger Caillois, formulée dans « Les Jeux et les Hommes », nous suggère un modèle qui peut nous aider à catégoriser les conduites à risque, en distinguant quatre grandes figures du risque. R. Caillois distingue quatre formes élémentaires du jeu : les jeux qui procurent une impression d’un « vertige » (Ilinx), ceux qui sollicitent le « hasard » (Alea), ceux qui créent une situation de « compétition » (Agôn) et ceux qui recourent au « simulacre » (Mimicry). Ces quatre figures élémentaires du jeu peuvent être mises en « écho » avec quatre grandes figures du risque : - L’Ilinx (vertige) a une parenté avec les prises de risque qui confrontent à une situation d’« excès », qui mobilise, chez le sujet, des compétences qui vont lui permettre de résister, de contenir, de supporter, et approcher, sans y faillir, un point de rupture (« tenir l’alcool » jusqu’à l’excès, supporter la faim et les vertiges chez l’anorexique). Un trop plein ou un trop peu, telle une valeur absolue de l’excès. |
- L’Alea (hasard) renvoie à une forme de risque liée à « l’imprévisible » et qui mobilise, chez le sujet, son habileté à anticiper et à parer le danger qui surgit sans crier gare. A l’arrière plan s’exprime une « volonté de chance » (Georges Bataille), le désir de rencontrer ce moment où « on l’a échappé belle », et qui renvoie à ces conduites que David Le Breton qualifie « d’ordaliques », sorte de « jeux avec la mort » où « j’offre ma vie au risque de la mort, mais j’attends aussi, si je m’en sors, qu’elle me donne en échange ce sentiment de toute-puissance, d’exaltation qui manque à mon existence » [2007 : 109] - L’Agôn (combat) renvoie à une forme de risque liée au « combat », à la montée en tension du duel où il faut répliquer toujours à l’adversaire jusqu’à rencontrer le point extrême du combat, dont l’issue est toujours incertaine, et qui mobilise, chez le sujet, son agressivité et ses compétences de combattant et de stratège.
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Les formes de la prise de risque | ||||||||||
De même que R. Caillois distingue quatre grand type d’expériences ludiques qui déterminent des jeux réels (l’Ilinx produit la balançoire et le saut à l’élastique, l’Aléa, le jeu de dé et la roulette, l’Agôn le jeu d’échec et le rugby, la Mimicry, le carnaval et le théâtre), nous pouvons distinguer quatre expériences du risque (l’excès, l’imprévisible, le combat et l’inconnu/l’autre) qui produisent différentes prises de risque susceptibles de se muer en conduite à risque. La parenté du jeu et de la prise de risque est d’ailleurs perçue par R. Caillois qui - s’il n’emploie pas le terme de « conduites à risque » -, parle de « corruption » du jeu, c’est-à-dire, de « leur libre expansion sans garde-fou ni convention ». |
L’Agôn, observe-t-il, peut dériver vers la violence, l’Aléa vers les pratiques irrationnelles et superstitieuses, le Mimicry vers l’aliénation dans une identité fictive et l’Ilynx vers l’ivresse alcoolique et la toxicomanie [119 ; 122].
Sur la base de ces quatre figures du risque nous pouvons tenter une catégorisation des conduites à risque. |
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Aucune conduite à risque ne se laisse complètement enfermée dans une seule catégorie de prise de « risque » (R. Caillois observe, de même, que les jeux « réels » combinent souvent plusieurs types de jeux élémentaires). Les conduites à risque de « séductions » n’excluent pas l’usage de substances psychoactives, qui seront recherchées pour leurs effets empathogènes (alcool, ecstasy, méphédrone...). Les conduites à risque avec des véhicules rapides n’excluront pas non plus l’usage de substances psychoactives, qui seront recherchées, soit pour leurs effets stimulants (cocaïne, amphétamine), soit pour leurs effets enivrants (afin d’accroître la difficulté de l’épreuve et/ou la sensation d’exaltation par la vitesse, la sensation de « puissance cinétique », le vertige du défilement visuel…) |
Les conduites à risque de compétition n’excluent pas non plus l’usage de substances, qui seront soit recherchées pour leurs effets stimulants ou pour leurs vertus anxiolytiques, pour mieux gérer le stress et faire « redescendre » l’excitation et l’agressivité. Certaines « combinaisons » sont plus ou moins « naturelles » : les jeux hasardeux n’excluent pas la possibilité de défier un adversaire... Mais, comme l’observe Caillois la combinaison Alea-Agôn est assez malheureuse et, de même, les conduites à risque avec véhicules rapides (Alea-imprévisible) accompagnée de courses-poursuites avec la police (Agôn-combat) finissent souvent très mal. Reste que chaque type de risque suscite des expériences et des sensations distinctes et implique des savoir-faire différents, en termes de gestion des risques. |
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La pratique à risque, entre maîtrise et abandon de soi | ||||||||||
Le psychanalyste D. Winnicott, fait une distinction – innomée par la langue française – entre, d’une part, le « game » – le jeu avec des règles – et, d’autre part, le « play » – le fait de vivre l’expérience de jouer. Le « play », qui est du côté de l’expérience, engage le corps et l’esprit du sujet, qui peut s’y abandonner tout entier ; par contre, le « game » est du côté du contrôle (règles, savoir-faire) et de la vie social (instance arbitrale). L’expérience du jeu (play) est du côté de l’abandon et du lâcher-prise tandis que le jeu réglé (game) est du côté de la maîtrise, notamment parce que les règles qui en « scripte » le déroulement réduisent la part d’imprévu et d’inconnu. Bien-sûr, il y a toujours un espace de playing dans le game, sinon il ne s'agirait plus de jeu. La pratique à risque a, comme le jeu, cette double dimension : elle mobilise des compétences de maîtrise du risque, mais induit une tendance à l’abandon et au « lâcher prise » pour permettre au sujet d’approcher des états de vertige désirables, pour laisser libre court aux impulsions, pour laisser monter en puissance l’excitation, la montée d’une affirmation de soi démesurée ou inappropriée, l’influence aliénante du groupe, l’abandon de la décision à l’emprise du hasard, etc. Bref, il n’y a pas de conduite à risque sans un consentement relatif à un abandon et sans un relâchement du contrôle exercé sur la prise de risque, d’où viendra justement le danger. On peut d’ailleurs apercevoir, ici, un lien entre jeu, conduite à risque et érotisme, qui ne nous étonnera nullement vue la très grande place que tiennent les conduites sexuelles à risque parmi les conduites à risque. Donald Winnicott observe que « le jeu est toujours à même de se muer en quelque chose d’effrayant » et qu’« il y a un degré d’angoisse insupportable qui détruit le jeu » [2000, p. 71, 74]. La dynamique interne d’une prise de risque est de porter le sujet à la limite de ce qu’il peut en contrôler. Comme évoqué précédemment, ce point « effrayant » est celui qui généralement laisse le sujet sur le sentiment qu’il a « touché le fond », et qu’il doit « remonter » pour se protéger. |
Mais, la notion de limite est, elle-même, dynamique, car celle-ci peut être repoussée au fur et à mesure que le sujet s’approprie des savoir-faire qui lui confèrent une maîtrise accrue du danger. Et, de même que le jeu réglé (game) contient le potentiel angoissant de l’expérience ludique (play), l’acquisition des savoir-faire en termes de gestion des risques permet de repousser la survenue de ce moment « effrayant » qui commande de rompre avec la pratique à risque pour décider de vivre. Si la conduite à risque peut être regardée comme une « fuite vers la vie », l’excitation inhérente à la prise de risque et le sentiment de confiance et de puissance qui naissent de la maîtrise de risque, diffèrent – parfois fatalement – ce moment où le sujet devrait « choisir » de fuir le danger. La maîtrise relative de la prise de risque, permet de faire durer la prise de risque, comme « moment » où l’on s’autorise un relatif abandon de soi. Une part de l’énigme des conduites à risque tient dans le fait que pour certains, il y a un besoin de situations à risque pour s’autoriser à vivre des expériences fortes : c’est parce que c’est un inconnu que l’acte sexuel devient possible, c’est parce que c’est un ennemi – que je peux m’y confronter – que la relation est possible, c’est parce que le résultat est hasardeux que je peux entreprendre quelque chose, c’est parce que c’est vertigineux que je peux mobiliser mes forces... Il y a donc une dynamique interne qui amène de la prise de risque à la conduite à risque, en tant que conduite répétée, dans laquelle le sujet peut s’enkyster et multiplier les risques de conséquences dommageables. Mais cette dynamique interne ne saurait suffire à expliciter comment et pourquoi des sujets s’inscrivent durablement dans des conduites à risque. D’où la nécessité d’aborder la question sous d’autres angles, en particulier social et psychologique. |
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2. Approche sociologique : la lutte pour une place et la déviance | ||||||||||
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La conduite à risque comme processus d’apprentissage et de reconnaissance d’une place par les pairs |
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L’entrée dans une conduite à risque ne va pas sans un effort du sujet : il lui faut rompre avec des normes sociales qui lui ont été plus ou moins rigoureusement inculquées jusqu’alors, et qui lui prescrivait de s’abstenir de tels usages. En termes social, il lui faut entrer dans une conduite socialement perçue comme « déviante ». Comme l’a montré Howard Becker (« Outsiders ») les savoir-faire « déviants » qui permettent d’acquérir une maîtrise suffisante des prises de risque, ne tombent pas du ciel : l’individu les acquiert au travers d’un processus social que Becker (qui applique, ici, les catégories de la sociologie du travail au monde « déviant ») nomme – non sans ironie – une « carrière ». L’entrée dans une conduite à risque est toujours initiée par la rencontre d’adeptes de cette conduite, plus expérimentés. Elle se poursuit par l’entrée dans un processus d’apprentissage, le plus souvent par observation et par imitation, puis, par l’établissement, avec ceux qui sont des « aînés » dans la conduite à risque, de liens de confiance suffisant pour qu’ils dispensent leurs conseils avisés. Ce qui implique d’établir avec ceux-ci des liens de loyauté et d’accepter des mises à l’épreuve qui permettent d’obtenir la reconnaissance des ainés, d’obtenir une place dans le groupe et de se faire respecter par les « pairs ». L’apprentissage porte sur des savoirs techniques (savoir confectionner un joint, doser une prise de drogues, tester la qualité des produits, accéder aux « bons » dealers, être informé de la date et du lieu des « raves », savoir comment on débride un moteur, comment maîtriser les subtilités de logiciels, savoir « pirater », etc.) et technico-relationnels (astuces pour amorcer des rencontres numériques, soigner la mise en scène de soi, sa présentation ou son avatar sur les réseaux sociaux ou sites de rencontres). Mais aussi sur des « savoirs-être » (loyauté, courage, savoir déjouer l’attention des forces de l’ordre, savoir instaurer un rapport de force favorable avec des groupes rivaux...) ; ou bien encore, s’approprier des savoirs culturels (sub-culturel) spécifiques, comme celui du milieu techno, celui des geeks, celui des petits dealers de rue (appropriation d’un argot, de termes servant à désigner tout ce qui est nécessaire pour mener à bien l’activité, ainsi que les effets ressentis, etc.). |
Il y a également des savoirs « idéologiques », en particulier des systèmes de justification de la pratique à risque (« je vend de la drogue, mais le premier dealer, c’est l’Etat », « si je me tue, je ne fais de mal à personne »...) ou de relativisation par des effets de « distinction » [BOURDIEU : 1979] (« moi, je gère ma conso, je ne suis pas un junkie, comme les crackers ou les héroïnomanes »). En d’autres termes, la conduite à risque, pour qui s’y « engage » et y fait « carrière », devient un élément structurant du lien social, au point qu’avec le temps, pour l’adepte, l’essentiel de son cercle relation pourra se réduire à un groupe de comparses avec lesquels il entretiendra des liens exclusifs. Ce groupe d’adeptes a, à la fois, une fonction protectrice et aliénante, comme l’est n’importe quelle communauté. Des rapports de loyauté et de dépendance économique peuvent s’instaurer vis-à-vis des pairs et générer des relations d’emprise. Les conduites à risques peuvent devenir un élément structurant d’un « mode de vie » (appartenance milieu dit « festif », intégration à des réseaux de deal…), pourvoyeurs de ressources de survie et dont il sera de plus en plus difficile de se déprendre. Le sujet pourra aussi adopter des conduites à risque qui lui permettront d’éviter une rupture trop franche avec d’autres groupes d’appartenances (par exemple, l’usage intensif de la Chicha pourra être perçu comme un « compromis » permettant de concilier l’appartenance à un groupe « déviant » et une appartenance à un groupe originaire d’un pays d’ « Orient »). De véritables « habitus » peuvent se former, qui seront d’autant plus prégnants que le sujet ne percevra pas la possibilité de modes de vie alternatifs. La précarité sociale, les discriminations, la stigmatisation, le marquage pénal, les dettes matérielles et symboliques accumulées auprès des pairs, les liens d’appartenance au groupe, réduisent les alternatives. |
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La précarité dans le processus d’enkystement dans les conduites à risque | ||||||||||
La précarité n’est pas, par elle-même, une cause d’entrée dans les conduites à risque, puisque nombre de précaires évitent ces conduites qui ne peuvent qu’accroître leurs difficultés. Mais force est de constater que la précarité va jouer un rôle éminent dans l’enkystement dans ce type de pratique. La conduite à risque est partiellement régulée par la capacité du sujet à se projeter dans l’avenir (les risques doivent être anticipés si l’on veut les contrôler) et par sa capacité à se percevoir comme vulnérable. Mais il lui faut encore avoir une estime de soi suffisante pour se sentir digne de « remonter » à la surface après avoir « touché le fond ». L’insécurité sociale altère la capacité du sujet à se projeter dans l’avenir et génère un enfermement dans le présent : Georges Orwell, qui a connu la « dèche » à Paris, raconte comment l’idée même d’avenir, devenue source d’angoisse, finit par s’effacer de la conscience : « Si la misère dure, explique-t-il, vous faites cette « découverte capitale » : savoir que la misère a la vertu de rejeter le futur dans le néant. On peut même soutenir, jusqu'à un certain point, que moins on a d'argent, moins on se tracasse pour cela. Quand il vous reste cent francs en poche, vous imaginez les pires ennuis. Si vous avez trois francs, cela ne vous fait ni chaud ni froid. Car avec trois francs vous avez de quoi manger jusqu'au lendemain : vous ne voyez pas plus loin. Vous êtes ennuyé, mais vous n'avez aucune peur. Vous vous dites vaguement : "Dans un jour ou deux je n'aurai plus rien à me mettre sous la dent - embêtant ça". Puis vous pensez à autre chose. Le régime du pain sec et de la margarine secrète est, en un sens, son propre analgésique » [2003 : p. 28]. |
Avoir cent francs pour tenir le mois, c’est se confronter à un avenir anxiogène, difficile, presque impossible à gérer et à maîtriser ; avoir trois francs, c’est vivre l’instant, tout en se persuadant qu’un « miracle » surgira bien du coin de la rue pour résoudre les problèmes d’un lendemain encore bien lointain. La précarité induit une perception anxiogène de l’avenir, d’où une tendance à ne pas se projeter dans l’avenir qui réduit la capacité à percevoir les risques – nécessairement à venir – liés à une conduite. Prendre en compte sa propre vulnérabilité et consentir à prendre soin de soi, exige des efforts intenables dans des contextes de précarité : préserver et présenter à autrui une « bonne image », trouver des raisons d’être fiers de soi, devient particulièrement ardu quand le sentiment de dignité sociale est altéré, du fait d’une exclusion précoce du système scolaire ou du fait du chômage, ou encore lorsque le sentiment d’estime social est altéré du fait d’une appartenance à des groupes sociaux et/ou ethniques stigmatisés et discriminés. Les « identités déviantes » apparaissent comme un moyen paradoxal de s’affirmer, de tenter de se faire « respecter » en « retournant » et en revendiquant le stigmate. La conduite à risque peut donc s’inscrire, paradoxalement, dans une lutte pour la reconnaissance d’une forme de dignité : la dignité du rebelle, préférable aux stigmates du précaire. Ces pertes du sentiment de l’avenir et du sentiment de sa propre dignité, combinée au fait que nombre de conduite à risque sont articulées à des modes de vie déviants pouvant donner accès à des revenus illicites et/ou de survie, crée un terrain particulièrement favorable à l’enkystement dans les conduites à risque. |
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Ambivalence du discours social sur les conduites à risque | ||||||||||
Les conduites à risque, comme comportement social, appartiennent à une « zone grise » : conduites déviantes, elles peuvent être tantôt criminalisées, tantôt banalisées. Elles peuvent être assimilées à des conduites délinquantes, mais aussi – en accord avec l’idéologie libérale du « capital santé », qui affirme le devoir, pour chacun, de veiller sur sa santé physique et psychique, pour soi-même et pour les comptes sociaux – elles peuvent être « pathologisées ». Certaines conduites à risque sont aussi plus fortement stigmatisée, en particulier lorsqu’elles sont le fait des classes populaires : ainsi, les jeux avec les véhicules rapides (rodéo, démonstration de prouesses sur des deux roues…), qui eurent leurs heures de gloire avec les « trente glorieuses », au cours desquelles la voiture et la moto incarnèrent la modernité triomphante, sont devenues, à l’époque de la « post-modernité », des pratiques « populaires » (banlieues, campagnes) qui sont beaucoup moins bien tolérée que par le passé. Les nouvelles conduites à risque qui se développent aujourd’hui sous la forme d’usages problématiques des technologies de l’information et de la communication ou sous la forme de raves qui envahissent les friches industrielles et où l’on consomme des drogues « synthétiques » achetées sur des « boutiques en ligne », plus bourgeoises et « postmodernes » sont, elles, sinon mieux acceptées, en tout cas moins criminalisées. |
Ces conduites à risque « bourgeoises », en accord avec la « société du spectacle et de la communication », recherche la « spectacularisation » : les blogs, les pages facebook, les films réalisés grâce aux téléphones portables sont autant de vecteurs d’une spectacularisation de ces conduites... qui attirent l’attention des marchands de biens culturels (musique, film, ligne de vêtement) qui lorgnent sur le « pouvoir d’achat » des jeunes... ainsi que l’intérêt de faiseurs d’articles de journaux et de reportages télés pour parents inquiets. La société porte un regard ambivalent qui oscille entre banalisation (« il faut bien que jeunesse se passe »), pathologisation (« ces jeunes sont en souffrance, il faut mieux les aimer et les soigner ») et stigmatisation (« les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas comme les jeunes d’hier, aussi faut-il les réprimer avec la dernière sévérité »). Ce qui confère un statut particulier aux conduites à risque parmi les conduites « déviantes ». |
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La conduite à risque comme « régulateur social » et comme « conformisme déviant » |
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L’historien R. Muchembled signale, dans son « histoire de la violence », une ambivalence analogue de la société traditionnelle vis-à-vis des violences des bandes de garçons. La société traditionnelle regardait la violence des bandes comme un exutoire précieux qui préservait l’autorité des « vieux » et contenait le désir des jeunes de prendre une place qui ne pouvait leur échoir qu’au décès du père. Les jeunes, au lieu de contester l’ordre social patriarcal, étaient plus ou moins implicitement invités à retourner leur violence contre les jeunes de villages voisins. Les jeunes, au lieu d’exiger une place qui leur permettrait de fonder une famille, étaient aussi invités à jouer le rôle de « police des mœurs », étaient autorisés à surveiller les habitants et, le cas échéant, à admonester les époux infidèles et à violer les filles « faciles ». La tolérance relative vis-à-vis de la violence des jeunes avait une fonction sociale régulatrice. Les conduites à risques semblent de même un commode exutoire dans une société qui n’offre pas d’avenir à sa jeunesse et qui ne l’autorise pas à prendre sa place. Les discours « culturalistes » permettent une stigmatisation particulière des jeunes issus des migrations extra-européennes et d’occulter que, de tous les jeunes, ce sont eux qui payent le plus lourd tribu au chômage. Tous ces discours – et les pratiques répressives et les attitudes de mépris social qui les accompagnent – ne peuvent que radicaliser l’engagement de certains dans leurs conduites à risques. Les conduites à risque font d’autant plus l’objet d’une relative tolérance que la valorisation du risque est au cœur de l’idéologie libérale. En effet, le modèle d’autorité dans la société libérale est celui du « Maître » pour reprendre la terminologie d’Alexandre Kojève [2004]. Le philosophe distingue, en effet, plusieurs « modèles » d’autorité : le Père (celui qui transmet les valeurs et assure la pérennité des institutions), le Chef (celui qui définit et manage les projets collectifs), le Juge (celui qui rétablit le consensus sur les règles de vie) et le Maître. |
Ce dernier est celui qui sait à la fois prendre des risques et protéger les autres. La société libérale valorise et récompense le risque : ce qui justifie, par exemple, les rétributions exorbitantes des actionnaires, des traders et du « top-management » des transnationales, c’est qu’ils savent prendre des « risques » et, par leur « expertise », en limiter les dommages. Leur légitimité à s’enrichir viendrait aussi du fait que leur enrichissement bénéficierait à tous (« théorie du « ruissèlement ») et que se serait donc pour le bien de tous qu’ils ne songeraient qu’à leur intérêt le plus égoïste. Si l’évidence est que les traders ont surtout pris des risques avec l’argent des autres (puisque le contribuable est assureur en dernier ressort du système financier) et que les mécanismes assurantiels, au lieu de protéger, génèrent des crises (comme l’atteste la crise des « subprimes »), il n’en reste pas moins que la valorisation de la prise de risque reste au cœur de la doctrine des Etats « libéraux ». Les jeunes inscrits dans les conduites à risques deviennent paradoxalement les porte-étendards d’un système de valeur fondé sur le « risque » et l’individualisme, au point que la conduite à risque peut parfois perdre toute valeur subversive et se muer en une forme de « conformisme déviant ». Les discours défensifs, mentionnés plus haut, qui opposent les « forts », les « preneurs de risque qui gèrent les risques » aux « faibles », qui sont incapables de les « gérer », peuvent s’accorder avec une doxa libérale qui fait du pauvre le seul responsable de son infortune. Dans sa mise en œuvre, la conduite à risque peut aussi prétendre à la « performance » et, comme on l’a vu, à une « spectacularité » en accord avec les normes sociales. Aussi, peut-on se demander dans quelle mesure le discours libéral contribue à l’exacerbation des conduites à risque. |
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La conduite à risque comme « réponse » à une société anxiogène qui n’offre pas de place à sa jeunesse. |
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La société libérale se mue en « société du risque » où le « développement » économique induit la multiplication des risques globaux : risques nucléaires, risques liés au climat, risques liés à une économie financiarisée et dérégulée, risques liés à l’émergence d’une économie maffieuse à l’ombre de l’économie dérégulée, risques de pénurie alimentaire et de ressources énergétiques, risques de troubles sociaux liés à l’accroissement de inégalités, risques géostratégiques dans un contexte de multiplication des armes de destructions massives et conventionnelles… Dans ce monde, les risques « globalisés » se dérobent à la perception et à la possibilité d’évaluation rationnelle ; ils génèrent une situation de menace diffuse ; les risques génèrent des besoins d’assurance qui les rendent paradoxalement « profitables » ; le lien social repose moins sur une solidarité positive que sur le fait que l’on est « solidairement » exposés aux risques globaux ; le politique tend à se redéfinir sur le modèle de « l’état d’exception », la « crise » devient permanente et la menace « universelle » [Beck : 2003, pp. 41-43]. Le chômage de masse, qui frappe en premier lieu la jeunesse, n’est pas qu’une menace qui pèse sur celle-ci : de manière diffuse, cette menace se mue en menace sur un modèle social qui ne peut plus se reproduire, sur la pérennité de la société même. Il convient de se demander alors dans quelle mesure une société qui a adopté des modes de fonctionnement aussi délibérément anxiogènes, qui semble ne pas se préoccuper de la place qu’elle devrait accorder à la jeunesse, ne contribue pas à l’exacerbation des conduites à risque. Les conduites à risque marquent bien souvent un écart par rapport à la « place » auquel le sujet est assigné. C’est évident quand le comportement est déviant par rapport aux normes légales de la société ou aux normes de son groupe social. Mais la conduite à risque a pour premier marqueur la « précocité », c’est-à-dire le fait pour un très jeune d’adopter une pratique à risque qui serait tenue sinon pour bénigne, en tout cas pour plus ou moins acceptable de la part d’un adulte ou d’un adolescent (par exemple, l’enfant ou le préadolescent qui s’alcoolise, fume du tabac ou du cannabis, l’élève de primaire qui fait l’école buissonnière, ou encore l’ « hypersexualisation » de préadolescentes…). |
La conduite à risque se signe aussi par l’« inversions » des pratiques à risque selon ce qui est attendu de chacun des genres (ainsi les filles qui s’approprient les conduites viriles et font partie d’une bande violente ou qui s’alcoolisent massivement ; ainsi le garçon s’approprie des conduites réputées féminines, comme d’exprimer le mal-être par le corps, par exemple en se scarifiant ou en adoptant une conduite anorexique ou des conduites de séduction). Les conduites à risques sont, finalement, pour des jeunes, plus vulnérables que d’autres, le moyen qui leur reste pour signaler l’absence de place désirable laissées à leur portée dans une société individualiste où la « lutte des places » [MARCHAL, STEBE : 2009] programme implacablement l’exclusion des « sans-places ». L’idéologie néolibérale et postmoderne – c’est-à-dire l’idéologie radicalement individualiste qui affirme qu’il n’y a de réponse qu’individuelle aux problèmes sociaux – écarte en effet toute possibilité de révolte, par nature collective. Seule la mise en jeu radicale de soi permet une « réponse » à la mesure d’une société où les individus sont atomisés par la concurrence et sont animés par des stratégies individuelles. Il y a dans la conduite à risque quelque chose qui cherche à se dire, mais qui ne peut se verbaliser. L’approche psychologique permet d’explorer cette contradiction qui habite un sujet qui mobilise tant d’énergie pour maîtriser un risque auquel il se confronte, sans pouvoir rien dire du pourquoi de cette exposition.
Accéder à la seconde partie de l'article : Regards pluriels sur les conduites à risque - Seconde Partie : 3. Approche psychologique : angoisses inconscientes, défenses psychiques et adaptation |