SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Méthadone

Méthadone gélule et méthadone sirop, quelques paradoxes dans le soin

MÉTHADONE GELULE ET MÉTHADONE SIROP, QUELQUES PARADOXES DANS LE SOIN
ENTRETIENS AVEC 10 USAGERS ET 5 SOIGNANTS
Dr Mathilde POIRSON, Marseille

Le Flyer N°43, Mai 2011
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Propos liminaire

Avec madame F, lors d’une consultation, nous faisons le point sur son traitement par méthadone gélule qu’elle prend depuis plusieurs mois : « Ah oui docteur la méthadone gélule c’est super !Tenez, pour comparer entre le sirop et la gélule…il y a internet sur ordi, eh bien la gélule c’est internet sur le portable, il n’y a pas photo ! Ah oui y’a aussi du progrès en toxicomanie ! ». Elle semble bien enthousiasmée. Ses propos se feront plus nuancés lors de l’entretien car c’est d’un air interrogatif et songeur qu’elle dira : « L’héroïne on se l’est injectée, la méthadone sirop on l’a bue, la gélule c’est encore autre chose… ».

Forme gélule et forme sirop pour un traitement par méthadone, effectivement la donne n’est peut être pas la même. Dans notre pratique clinique en CSAPA, nous avons perçu rapidement des changements notoires concernant la vie quotidienne des usagers, leur rapport à la méthadone et à la dépendance.

Dans le cadre d’un DU « Psychiatrie publique, pratique de soins et liens sociaux », j’ai entrepris un mémoire sur ce thème en réalisant des entretiens avec 10 usagers et 5 soignants. Des résultats étaient plus ou moins attendus mais d’autres furent plus surprenants, invitant à la réflexion, interrogeant les fondements du soin et, de toute façon, utiles en pratique clinique.

A présent, une comparaison est possible en France entre la forme gélule et sirop et ainsi une parole émerge. La densité et le souffle d’une parole peuvent en dire autant que des chiffres et statistiques.

Plusieurs aspects ont été soulignés. La forme sirop renvoie à l’enfance voire à une infantilisation. Pour mémoire : la méthadone est un des seuls traitements à être administré en chronique à des adultes sous une forme sirop. Pour certains, le sirop fait référence à la fiole des prisons. Pour prendre le sirop il faut se cacher, dissimuler et, d’une certaine façon, cela renvoie à un comportement addictif lié à la prise de produits illicites. Au niveau de la gestuelle, prendre du sirop ou une gélule s’avère différent. Pour des usagers, le sirop peut rappeler la toxicomanie : fractionnement aisé, récupération de ce qu’il reste au fond des flacons unidose. Sentir ou non la méthadone se révèle significatif et, selon des usagers, il y a une différence entre les 2 formes qui n’est pas négligeable en matière de soin. En termes de représentation, la gélule est davantage assimilée à un traitement, le sirop étant plus assimilé à un produit.

Les soignants expriment clairement : un soin plus confortable pour un patient l’est aussi pour un soignant. La gélule stigmatise moins et ancre moins le soin pour l’usager dans des inconforts divers.

MÉTHODOLOGIE DE L'ENQUÊTE ET LES LIMITES DE CE TRAVAIL

 

Les 10 entretiens avec les usagers du centre :

Ces entretiens ont été réalisés dans le cadre de ma consultation. Les personnes avaient pris rendez-vous. Il m’a fallu quelque peu aménager la consultation pour effectuer l’enquête. Une partie de la consultation consistait à faire le point sur le passage à la méthadone gélule puisque c’était le critère : avoir un traitement par gélule institué après un traitement par sirop depuis au moins un an. J’expliquais à chacun la particularité de cette consultation dont le contenu allait faire l’objet d’un mémoire et je n’ai pas eu de refus y compris sur l’enregistrement de la consultation. Les entretiens ont été menés auprès de 6 hommes et 4 femmes ; 8 ont la quarantaine et 2 ont 22 et 23 ans.

Sur le plan des ressources : 3 salariés, 1 vivant avec l’AAH, 3 avec le RSA, 2 sans ressource et 1 arrêt maladie. Sur le plan du logement : 6 personnes ont un logement autonome, 2 vivent chez leurs parents, 1 en appartement thérapeutique et 1 en séjour résidentiel. 8 usagers ont un traitement par gélule depuis 6 mois et 2 depuis 18 mois.

Traitement par méthadone depuis plusieurs années :

4 depuis 10 ans, 4 respectivement 8 ans , 4 ans, 3 ans et 2 ans. Pour 2 usagers : 18 mois. 2 usagers sont en traitement hépatite C au centre et 7 ont un traitement psychotrope associé.

Les questions posées : durée de votre traitement par méthadone sirop et gélule ? Indépendamment de votre traitement par méthadone, que pensez-vous d’une forme sirop pour un traitement ? Quelles comparaisons faites-vous au niveau de votre vie quotidienne entre le sirop et la gélule : transport, rangement, prise, nombre de prises, effets, effets secondaires, autre ? Le passage en forme gélule a-til changé votre rapport à la méthadone ? A votre dépendance ? Que pensez-vous d’un traitement par gélule pour les usagers de drogues en général ? Une usagère a donné des indications concernant cette grille d’entretien.

Entretiens avec 5 infirmières

J’ai choisi de faire des entretiens avec des infirmières car elles ont un contact direct avec les traitements qu’elles délivrent, qu’elles touchent, manipulent et connaissent  parfaitement quant à leur matérialité. Le temps de délivrance des traitements est un temps propice aux échanges.


4 infirmières travaillent au centre. Une infirmière est en poste sur le bus méthadone. 2 travaillent en addictologie depuis 10 ans, 1 depuis 5 ans et 2 depuis 16 mois.

Les questions posées : depuis quand travaillez-vous en addictologie ? Sur un plan personnel si vous devez prendre un traitement préférez-vous une forme gélule ou sirop ? Comment les usagers vivent la forme sirop ? Qu’est-ce qui a changé au niveau de votre travail quotidien depuis l’introduction de la forme gélule ? L’introduction de la forme gélule a-t-elle changé votre positionnement de soignante ? Voulez-vous évoquer une situation particulière qui vous a marqué ? Que pensez-vous de la forme gélule pour les usagers en général ?

Limites de l’enquête :

Il s’agit d’un faible échantillon. Il n’y a pas de représentativité des usagers du centre car, dans l’échantillon, les femmes sont surreprésentées ainsi que ceux qui ont un emploi et un logement autonome. Différents facteurs influencent l’enquête et ses résultats. L’enquêteur : ses propres réponses et préoccupations, ses propres représentations de la méthadone, son parcours biographique, la façon dont il traite l’information. L’enquêté : image que l’on veut donner de soi lors de l’entretien, entretien réalisé à un instant donné, incertitude des déclarations.

Axe commun enquêteur /enquêté : communication non verbale, geste, mimique. Je suis le médecin des usagers et pour certains depuis plusieurs années, ce qui ouvre des espaces et en ferme d’autres. Réaliser cette recherche-action sur mon lieu de travail a été porteur de liens nouveaux et inédits. Avec les infirmières j’ai eu des échanges que la vie quotidienne d’un centre, les réunions institutionnelles d’équipe ne permettent pas toujours.

RESTITUTION

 

Représentation du sirop

A la première question : « Que pensez-vous d’un traitement par gélule et par sirop pour un traitement ? » 8 usagers sur 10 préfèrent les gélules, 1 usager au seul mot de sirop n’a pas voulu répondre. 4 infirmières sur 5 préfèrent les gélules au sirop.

La forme sirop renvoie à l’enfance avec parfois de mauvais souvenirs. Le sirop est considéré comme une forme galénique qui est faite pour les enfants. La forme sirop permet de repérer, de surveiller, de marquer les usagers de drogues, de les infantiliser même. Le célèbre sirop d’huile de foie de morue a été cité deux fois !

Entretiens avec les usagers

Entretien A : « Les enfants aiment le sirop, ils sont à la banane, à la fraise, c’est un jeu de donner des sirops à mes enfants. Pour moi, pour les adultes, c’est mieux les gélules ».

Entretien B : « Le sirop c’est pour les minots. Je me rappelle des séances avec ma mère surtout lorsque je devais prendre des médicaments. Cela me rappelle carrément l’huile de foie de morue, je n’ai pas de très bons souvenirs. Le sirop c’est pour nous repérer, nous surveiller mieux, nous les toxicomanes on est mal vu c’est toujours du négatif comme si on ne voulait pas se soigner enfin quelque chose comme ça ».

Entretien E : « Je préfère les gélules c’est une question d’éducation. J’ai de très mauvais souvenirs d’enfance avec les sirops, très mauvais. J’évite les sirops. Avec la méthadone, j’ai pas pu ». 

Entretien F : « Le sirop c’est pour les enfants, je pense ça direct. Pour un adulte cela n’est pas adapté, c’est bizarre que la méthadone n’a été qu’en sirop, on nous aime pas trop les toxicomanes il faut bien dire. =>

 

Enfin c’est si bizarre, on nous prend, on nous traite comme des gosses, c’est infantilisant, c’est vrai on peut le penser ». 

Entretien G : « Je préfère la gélule qui n’a pas de goût, c’est facile à prendre…le sirop c’est bien si cela ne dure pas longtemps. Pour ma petite fille c’est bien, il y a des goûts de fruits, il faut trouver des astuces pour donner les médicaments aux enfants ».

Entretien H : « Normalement les sirops c’est pour les enfants ».

Entretien I : « Je préfère les gélules, le sirop c’est pas bon, j’ai pas de bons souvenirs avec le sirop en général quand j’étais petite, je n’aime pas le sirop ».

Entretien J : « Le goût d’un sirop en général est désagréable sauf pour les enfants car ils sont parfumés et ont de la couleur. Je préfère les gélules ».

Entretiens avec les infirmières

Entretien 1 : « J’ai précisément discuté de cela avec un patient il y a trois jours. Moi je préfère les gélules, le sirop c’est enfantin, c’est pour les gosses, les gamins, je le dis en tant que soignante et mère de famille ».

Entretien 3 : « Le sirop c’est pédiatrique, c’est pour les enfants…le sirop en médecine c’est pour les enfants, c’est évident ».

Entretien 4 : « La gélule responsabilise, le sirop infantilise ».

 

Entretien 5 : « Pour ma part un jour il y avait une petite goutte de métha qui était tombée sur le comptoir, j’en ai pris une lichette, je voulais me rendre compte par moi-même comme ils font vraiment la grimace lorsqu’ils prennent le sirop de métha. C’est un goût très amer, amer, ultra sucré, je me suis vite rincée la bouche. Ce sirop me fait penser à l’huile de foie de morue de notre enfance. Allez avale ça et c’est pour ton bien ! Je me demande comment ils font pour prendre ce sirop pendant des années ».

La méthadone sous forme sirop et la fiole des prisons

La méthadone sirop conditionnée en flacon est comparée à la « fiole » qui renvoie à la prison. Les médicaments étaient dilués dans de l’eau et mis dans une fiole changeant ainsi de forme galénique ; le droit de prescription était élargi aux gardiens et infirmiers. Cette pratique n’existe plus depuis que les services médicaux pénitentiaires sont passés sous la tutelle du Ministère de la Santé. 4 usagers font explicitement référence à la fiole pour le flacon de méthadone.

Entretien A : « La gélule c’est discret, la fiole c’est visible…et puis le flacon c’est la fiole, la prison, la fiole, ils mélangeaient des tas de trucs, on était abrutis avec. Cette fiole c’est une horreur, c’est la toxicomanie aux cachetons…c’est un mauvais souvenir la fiole ».

Entretien B : « Le flacon me rappelle la fiole en prison, c’était dégoûtant, amer, on nous donnait ça, ça assommait complètement, c’était franchement dégoûtant, à vomir, parfois les comprimés étaient mal écrasés et on en avait plein la bouche, les dents, dégoûtant vraiment ».

Entretien G : « Je me rappelle au début du centre avec les anciens, on disait la fiole. Cela faisait référence à la prison. Je n’y suis jamais allée mais mes copains du centre, eux beaucoup. Je disais la fiole aussi et j’étais mal à l’aise. Maintenant l’expression je ne l’entends plus mais il faut dire je viens moins au centre et maintenant je vois peu de monde ».

Entretien H : « La fiole se remarque et les gens posent des questions. J’appelle les flacons les fioles en relation avec la fiole des prisons. Je ne suis jamais allée en prison mais j’en ai tellement entendu parler de la prison par mon compagnon. Il me disait « Tu as pris ta fiole ? Tu as demandé ta fiole ». La fiole c’est la prison, c’est pas très flatteur et encourageant à prendre. Cela me traumatisait d’entendre cela. Moi je dis toujours la fiole pour les flacons…avec la gélule je me sens moins hors la loi car la fiole c’est plus fort que moi, c’est la prison. C’est pas bon d’avoir un traitement qui renvoie à de mauvais souvenirs, au passé ».

Discrétion des gélules

La gélule c’est discret, elle se transporte facilement ce qui n’est pas le cas pour un traitement par flacon lourd, encombrant. Une gélule peut se prendre beaucoup plus facilement n’importe où devant n’importe qui, elle ne marque pas, ne stigmatise pas, elle ressemble à une autre gélule. La gélule est apparentée à un médicament, un traitement qui ramène à une normalité : être comme tout le monde. Elle se range plus facilement avec d’autres traitements, le flacon demande de la place. La méthadone sirop qui oblige à se cacher, à dissimuler, renvoie à l’univers de la drogue.

Entretien H : « La gélule c’est petit, c’est discret alors que les flacons sont gros, visibles. Il faut un sac, surtout pas transparent, pour les transporter, les jeter. Les flacons, c’est pas discret, on a cela devant les yeux un tas énorme, ta toxicomanie tu l’as devant toi, c’est visuel. Il faut une place spéciale pour ranger 14 flacons ou plus et à l’abri des regards, il faut faire attention à tout, ça marque le flacon, c’est tox ! On ne peut pas prendre les flacons n’importe où ou devant n’importe qui car les gens posent des questions. La gélule, ce peut être n’importe quoi d’autre que de la méthadone. Et les gens ne posent pas de questions, vous pouvez la prendre à la terrasse d’un café, je l’ai fait un jour, j’ai pris la gélule et un autre comprimé, j’étais content, normal, comme tout le monde, c’était banal, c’était même comme une revanche de ne pas se cacher après ces années de flacons. Avec les flacons on se cache, on planque comme pour la toxicomanie, plus avec la gélule, c’est un grand pas. La disrétion c’est important pour les usagers ».

Entretien E : « La gélule c’est hyper simple et surtout il n’y a plus à se cacher, à dissimuler, une gélule peut être un antibiotique, une vitamine ou autre. Pour un traitement d’une semaine, j’avais 21 flacons. Je voyage pour mon travail et, à l’hôtel où je vais, je ne voulais pas laisser les flacons vides de peur que l’on sache que je prends de la méthadone. J’avais donc des sacs de pots vides et de pots pleins. Croyez-moi, la gélule allège les valises et les sacs à mains, la gélule est très pratique à transporter, les flacons se remarquent aussi avec ce gros bouchon blanc, cela attire l’oeil, suscite des questions et, pour l’ouvrir, il y a ce bruit caractéristique, pas discret aussi dans certaines situations. Au centre, avec les gélules, je laisse les boîtes d’emballage et repars avec les plaquettes dans mon sac ou une poche, rien à voir avec les flacons. J’ai un pilulier et je range mes gélules avec d’autres comprimés. Avant les flacons étaient rangés dans un tiroir lingerie où il n’y avait que moi qui avait accès. Maintenant le pilulier peut être sur la table ce n’est pas dérangeant. On ne me demande rien ; il y a bien le dosage marqué dessus mais il faut regarder, c’est en fait la discrétion absolue. Les flacons je ne les prenais jamais devant quelqu’un, j’ai pris les flacons dans les toilettes, quelle énergie pour se cacher, inventer quelque chose. Chez ma mère, je prenais mes flacons avant qu’elle ne se réveille, pas question de le dire au travail, aux amis même, silence. On ne parle pas de cela, de la méthadone. Les flacons étaient un traitement lourd, encombrant, il fallait se cacher pour le prendre, le dissimuler en permanence. Disons que les flacons me renvoyaient à ma dépendance et surtout à ma toxicomanie, mes consommations cachées, au fond c’était comme pour l’héroïne, pareil ! »

Gestuelle de la prise

Il y a une gestuelle autour de la prise de substance si ce n’est un rituel. Au niveau de la gestuelle, prendre un sirop ou une gélule de méthadone s’avère différent. Plusieurs usagers expliquent que prendre le sirop en flacon peut leur rappeler leur « toxicomanie », terme qu’ils emploient. La posologie prise en sirop est imprécise. Il reste toujours un peu de méthadone dans les flacons et cela peut être un facteur de fractionnement des doses sans compter les angoisses. Les flacons vides sont gardés avec des petits restes et sont stockés en cas de manque ou par peur de manquer, notion importante en matière d’addiction. La gélule se prêterait moins à cela.

Entretien J : « La gélule stabilise mieux que le flacon. Et puis c’est bête ce que je vais vous dire, c’est des trucs de camés mais je récupérais les fonds avant de les jeter, je voulais récupérer les dernières gouttes, la dernière petite goutte et cela faisait un flacon de plus. C’était toujours une espèce de recherche du produit, récupérer quelque chose c’est toujours en rapport avec la came et tous les gestes qui vont avec, les gestes c’est important. Alors que la gélule on la prend, c’est un traitement précis, on a plus à rechercher, à récupérer la petite goutte. La gélule cela vous sort du rituel du toxicomane. =>

La gélule est plus proche du médicament que d’un produit de défonce. J’avais un rapport avec les flacons pas très aidant au fond, il y avait ce petit truc de recherche de toxicomane, avec la gélule il n’y a plus tout ce mic-mac, on la prend et c’est bon…j’en reviens à la petite goutte et je ne suis pas le seul à l’avoir fait… ».

Entretien B : « La gélule c’est fermé, c’est scellé. Avec les flacons on ne sait pas toujours ce que l’on prend, il en reste au fond. Il faut dire avec les flacons il en restait au fond, je les gardais. Les flacons, c’est ouvert, une angoisse et si vous voulez vous pouvez en prendre un peu. Tandis que la gélule c’est précis, c’est strict, on est moins tenté d’en prendre comme cela ». 

Entretien G : « et puis vous avez un geste caractéristique, codifié, on ne prend pas une cuillère avec le flacon, il est trop petit pas comme un flacon pour la toux par exemple. Alors on lève le coude et hop comme si on buvait un petit coup, cul sec…Il en reste toujours un peu au fond des pots alors on jette pas, on a tendance à faire des réserves au cas où, on garde les pots et cela s’accumule. La gélule permet d’arrêter tout cela et c’est mieux ».

Sentir ou pas la méthadone

Après une prise de méthadone celle-ci s’installe, des effets psychiques et physiques peuvent être ressentis dans l’heure qui suit, ces effets peuvent être assez discrets mais cela va revêtir une importance particulière pour des personnes qui ont eu, qui ont une expérience d’usages de drogues. Il semble qu’il y ait une différence notable entre la forme sirop et gélule. Dans l’enquête, 6 usagers en feront état.

Entretien F : « Avec la gélule on ne sent rien dans l’heure, par contre avec le flacon ce n’est pas le flash, l’euphorie mais on sent la méthadone qui s’installe et un petit bien-être, une détente qui arrive, un petit truc bien. Avec la gélule je n’ai pas cela et je trouve cela très bien car ce petit truc que tu gardes avec le flacon. C’est normal, vous aimez si vous êtes toxicomane. Eh bien avec la gélule je n’ai plus cela et cela me convient très bien. Peut-être que si j’avais eu la gélule plus tôt, cela ne m’aurait pas convenu mais maintenant c’est ce qu’il me faut. D’une certaine façon, le flacon m’a gardé dans ma toxicomanie. J’ai fait des yoyos avec le flacon. La gélule est un traitement, il n’y apas de sensation, ce petit truc que tu aimes fatalement si tu es toxicomane. Le flacon me renvoyait même si c’était minime au un petit quelque chose, à ma toxicomanie ce que ne fait pas la gélule et cela me convient. Le flacon m’a pompé de l’énergie je le réalise maintenant, je me battais contre le flacon…attention le flacon m’a aidé quand même. J’ai retrouvé de l’énergie avec la gélule, j’ai tourné une page…la gélule m’a apporté un vide mais un vide tellement attendu, je ne pensais le connaître qu’avec l’abstinence, en étant abstinent. =>

Pour un tox, la gélule ou le flacon cela dépend où tu en es, c’est toujours l’histoire du geste, du petit truc, la petite sensation si tu as besoin ou pas ».

Entretien J : « Il y a aussi la question de l’effet. Avec les flacons je ne dirai pas qu’il y a un effet euphorisant mais il y a une détente dans le corps, les muscles et le psychologique suivent avec un mieux être. Avec la gélule l’effet est moindre, à peine perceptible. La gélule n’agit pas comme un produit, un produit de défonce, c’est un médicament. Tandis qu’avec le flacon il y a quelque chose, un effet, une détente. Avec le sirop c’est un quart d’heure après la prise, avec la gélule une bonne heure mais vraiment beaucoup moins, à peine vraiment ».Entretien H : « Je ne sais pas comment expliquer mais avec le flacon il y avait un moment cela me tombait dessus et attention il n’y avait pas surdose et j’en prenais pas plus…il y avait un petit effet, une chaleur qui monte. Au début cela me plaisait, cela me calmait car au début on ne va pas bien et on a besoin de l’effet comme toxicomane. C’est vrai qu’avec la fiole il y a un petit quelque chose qui rappelle la toxicomanie et qu’aime le toxicomane. Avec la gélule il n’y a rien, plus cette sensation que j’avais avec le flacon mais de cela je m’en foutais depuis un moment car j’ai fait mon chemin de croix avec la méthadone. La toxicomanie c’est un chemin de croix et ça les gens pas concernés ils ne comprennent pas. Quelqu’un qui n’a pas fait son chemin de croix avec la gélule cela sera difficile car avec la gélule il n’y a rien. Les débutants ils vont se croire arrivés, ils n’auront pas le recul ».

L’inconfort des soignants

Si le sirop peut être inconfortable pour les usagers il peut l’être aussi pour des soignants. Délivrer un sirop au goût amer qui implique de fortes contraintes, qui stigmatise et est pris en cachette n’est pas forcément aisé. Auparavant, il n’y avait pas le choix et, avec l’introduction de la gélule, des soignants expriment leurs interrogations, leurs réflexions sur la forme sirop. Ainsi avec la gélule le soin peut devenir plus confortable pour les soignants, la palette thérapeutique s’élargit. Les TSO restent mal vus, tabous dans le monde médical et les soins ne sont pas près des réalités, pragmatiques.

« Comme infirmière cela me fait plaisir lorsque quelqu’un passe en gélule c’est pour moi un pas vers la guérison ou un mieux en tous les cas. C’est une promotion dans le traitement, une avancée, c’est moins lourd, le regard des autres n’est plus le même car c’est une gélule. Cela me fait plaisir, ils vont mieux, ils sont libérés des contraintes, d’un regard jugeant. On est là pour cela. Quand un patient va mieux, je suis heureuse, je suis au coeur de mon métier. Et puis j’aimerais dire qu’il faut avoir du courage pour prendre la méthadone sirop, pour avaler cela. Cela a un goût amer, il faut se cacher pour le prendre. Il faut venir au centre régulièrement, plusieurs fois par semaine, tous les 7 jours ou 14 jours. Je les admire quelque part, tu es fatigué, certains travaillent et il faut venir au centre. Je tire mon chapeau. Je ne sais pas comment ils font. Et le sirop c’est une horreur à des tas de niveaux, c’est comme une punition ou quoi, je dis ce que je pense. =>

J’ai eu la réaction d’un médecin qui était horrifié que l’on passe une personne aux gélules. C’est pas gagné d’avance. La toxicomanie c’est tabou en France, le soin n’est pas réfléchi, on stigmatise les usagers à travers le soin même ».

« La gélule est une avancée. Le sirop stigmatise les usagers et comme soignante cela ne me convient pas. Le sirop a un goût amer et est difficile à ouvrir. La première fois que l’usager vient prendre, je ne suis pas toujours à l’aise avec ce sirop ; souvent je n’arrive pas à l’ouvrir car il est dur à ouvrir, je mets 3 heures à le faire, ah tu as l’air malin. Ensuite je dois expliquer les contraintes : venir au centre, vous allez avoir à faire à une structure, il y a des délais de délivrance, si vous partez plus de 15 jours il faut faire des demandes incroyables mais vraies. Et puis après je dois dire : « vous allez voir, la méthadone c’est génial, elle va vous permettre de faire des tas de choses ». Il faut faire passer la pilule si je puis dire. Avec ce sirop j’ai l’impression de tyranniser les usagers. La gélule c’est le confort, elle ne stigmatise pas. L’enjeu thérapeutique n’est pas le même. Avec le sirop on ancre l’usager dans une stigmatisation, un inconfort, des contraintes pour prendre, ranger. La gélule signifie moins de contraintes, plus de confort, le soin acquiert du confort, de la liberté. Le sirop infantilise, la gélule responsabilise. Les soignants portent les contraintes sans être toujours très à l’aise et quand on avait que le sirop on avait pas le choix, avec la gélule on peut adapter le soin car il y a plusieurs formes d’usages de drogues. »

De quelques paradoxes des soins…

La forme gélule introduit des changements notoires dans le quotidien des usagers et les soins dispensés. La représentation change quelque peu. La gélule de méthadone reste de la méthadone mais a davantage un statut de médicament, le forme sirop étant davantage assimilée à une drogue. La gélule est plus pratique pour le transport, la prise est facilitée, on peut la prendre n’importe où, devant n’importe qui comme pour tout autre médicament. Ainsi l’usager ne dissimule plus, on ne se cache plus pour prendre son traitement. Au delà du simple aspect pratique, c’est la question de la stigmatisation qui est posée. Stigmatiser : « blâmer avec dureté, publiquement ». Et un paradoxe s’introduit dans le soin. Se cacher, dissimuler, le sirop, renvoie à l’univers de la drogue, les témoignages insistent sur ces points. Ainsi, un soin peut ancrer dans un inconfort et entretenir ce qu’il est censé apaiser, soulager, combattre. La forme sirop qui permet des fractionnements, de garder un peu, de récupérer, peut aussi rappeler leur toxicomanie (terme qu’ils emploient tous dans l’enquête). La question des effets, sentir ou non la méthadone, même si ces effets sont minimes a été largement abordée, il y aurait des différences pour certains usagers entre les 2 formes.

C’est un aspect à prendre en compte en pratique clinique. La forme sirop renvoie à l’enfance voire à une infantilisation. Le flacon de méthadone est comparé à la fiole des prisons. Ainsi le soin peut avoir une connotation péjorative.

Un soin plus confortable et moins stigmatisant est plus confortable aussi pour les soignants d’autant que, la gélule élargit la palette thérapeutique. Elle n’est pas une panacée, elle se décline au pluriel, elle offre des perspectives en matière de soins aux usagers de drogues au plus près des réalités cliniques et des besoins. En 1995 c’est l’épidémie VIH qui a permis l’introduction de TSO et non une réflexion, une remise en cause des soins aux usagers. Il n’y avait pas de culture méthadone pourtant traitement de référence au niveau mondial. Les TSO en portent probablement encore les stigmates. La réduction des risques s’impose avec peine .Les traitements de substitution sont utiles et nécessaires, ils ont des résultats tangibles quant à la mortalité, morbidité et l’accès aux soins. Mais ils ont aussi des travers et des inconvénients voire des effets paradoxaux. En avoir conscience et prendre ces aspects en compte permet d’avoir une vision équilibrée de ces traitements et de leurs résultats.