CREATEUR DE LIEN SOCIAL POUR LES TOXICOMANES Nadège KHAZNADJI, éducatrice, CSST Narbonne |
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Bernard Kouchner précisait lors de la remise d’un rapport sur ‘L’accès à la Méthadone’ en France : « Je rappellerai simplement que la mise en place de la substitution s’est traduite par une multiplication des recours aux dispositifs socio-sanitaires, une diminution de 80 % des overdoses mortelles à l’héroïne entre 1994 et 2000, une diminution par trois voire quatre des contaminations par le VIH et une stabilisation des infections par le virus de l’hépatite C ». (Journal L’Indépendant du 11 avril 2002). Le Flyer N°16, avril 2004 |
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CSST de Narbonne | ||
Le centre spécialisé de soins aux toxicomanes de Narbonne, créé en 1988, a vu naître son ‘Service Méthadone’ en Janvier 2000. On a pu observer en presque 4 ans une courbe exponentielle de la fréquentation. (Le nombre de patients a été multiplié par 3). Ce constat ne m’a pas laissée sans question. Qu’est-ce qu’un traitement de substitution ?
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Quel est l’intérêt pour les toxicomanes ? Afin de trouver des réponses, il me paraissait nécessaire de mettre en place une étude en interne et surtout de permettre aux principaux acteurs (les patients) d’avoir la parole. Cet article est un condensé de cette étude qui a été effectuée en Décembre 2002, l’intégralité de la recherche est disponible au CSST.
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Problématique |
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La question centrale qui a guidé ma recherche était la suivante : En quoi le traitement de substitution par la méthadone était-il créateur de lien social pour les toxicomanes ? Après avoir déterminé quelques concepts fondamentaux tels que le lien social et la méthadone comme notion de remplacement, mon hypothèse était la suivante : Le traitement de substitution par la méthadone était créateur de lien social pour les toxicomanes parce qu’il permettait une insertion sociale. |
La parole des usagers Travaillant moi-même comme éducatrice spécialisée au service Méthadone de Narbonne, il m’a semblé pertinent d’interroger des patients du centre. J’ai effectué les entretiens le même jour avec trois patients, j’ai déjà eu l’occasion de les voir lors d’entretiens socio-éducatifs auparavant, donc nous nous connaissions. C’est aussi pour cette raison qu’il n’y a pas eu de réti- cences de leur part à participer à ma recherche. J’ai choisi deux hommes et une femme (les hommes étant les plus nombreux), à des phases différentes de soins.
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Présentation des personnes interrogées |
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(J’ai choisi d’autres prénoms pour assurer la confidentialité des personnes interrogées.) Stéphane Mathias |
Il est toxicomane depuis l’âge de 21 ans (héroïne en intra-veineuse) avec une consom- mation d’alcool importante (se définit lui-même comme ‘alcoolique’). Il a effectué plusieurs peines de prison. Il a déjà travaillé, mais de façon épisodique (travail saisonnier). Sur le plan de la santé, il a l’hépatite C depuis 1991, et est dégradé physiquement (amaigrissement important). Il en est à sa 3ème expérience avec la méthadone, en 1998 au CSST de Carcassonne, en 2000 au CSST de Narbonne. Il est dans le programme méthadone depuis trois mois.
Carine |
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L’entretien | ||
J’ai choisi l’entretien semi-directif car il permet de laisser la parole libre tout en orientant l’entretien par quelques questions qui servent de fil conducteur. J’ai présenté au préalable à chaque patient l’objet de ma recherche. L’entretien s’est construit autour du changement entre « avant la méthadone » et
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« pendant la méthadone », et du thème de l’insertion, les changements sur le plan personnel, familial, professionnel,… Les entretiens ont duré entre 20 et 40 minutes. Nous étions tranquillement installés dans mon bureau, lieu déjà connu d’eux. |
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Retranscription des entretiens | ||
J’ai essayé de retranscrire le plus fidèlement possible la parole des patients.
Stéphane Mathias |
Aujourd’hui, et après deux échecs, il veut s’en sortir. Etre dans le programme méthadone change la vie au quotidien, il ne « bataille plus pour se défoncer ». Il ne côtoie plus les dealers. Il est plus disposé à travailler. Il a d’ailleurs fait des démarches administratives, et des recherches d’emploi. Il a trouvé un travail et commence le 15 janvier. Maintenant il veut penser à lui, refaire sa vie avec une compagne. Il a repris contact avec un dentiste, et est pris en charge par l’hôpital pour soigner son hépatite C. Il trouve que son corps ressent de nouveau les choses. Etre à la méthadone, c’est se lever tôt, connaître d’autres personnes différentes des dealers, le contact journalier avec le CSST fait plaisir et permet de parler. Il se sent moins exclu, il dit être devenu quelqu’un et marcher différemment dans la rue. L’image qu’il renvoie de lui est différente. Carine |
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Vérification de l'hypothèse | ||
Au regard de ces trois entretiens, nous pou- vons observer que les patients, qui bénéficient d’un traitement de substitution par la méthadone dans un CSST, enclenchent peu à peu quelque chose de différent de leur vie de toxicomane. Le travail est progressif et permet de faire le deuil de leur vie d’avant. Ils disent qu’il est encore tôt pour vraiment ressentir les bienfaits du traitement. Il est difficile d’effacer tout un parcours dans la drogue en quelques mois. Leurs vies tournaient autour du produit, avec la recherche du produit pour éviter le manque, les délits, la prostitution pour se procurer de l’argent pour acheter la drogue, … Pour eux, la méthadone n’est pas simplement un médicament, mais tout un dispositif, un lieu avec une équipe qui est là, disponible et à l’écoute. Ce dispositif leur permet de se raccrocher au monde du réel, et devient un point d’ancrage vers l’insertion. Il vient souvent après plusieurs échecs de soins (sevrage à répétition, postcures qui ont échoué). Les patients citent plusieurs points positifs dont l’arrêt du mode de consommation par l’injection intra-veineuse. La prise unique qui « pose » et leur permet de se repérer dans le temps (se lever tous les matins pour venir au centre).
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Les effets du manque sont diminués, voire supprimés. Ils prennent conscience du soin de leur corps (soigner les infections, se faire soigner les dents, se laver, …). Ils ont plus confiance en eux pour affronter l’extérieur (les administrations, chercher du travail, entrer en relation avec d’autres personnes, …) et redécouvrent l’importance de jouer leur rôle de parent. Mais ce traitement n’est pas magique. Les patients insistent sur le fait qu’il faut vraiment vouloir s’en sortir, ils parlent de « déclic ». S’ils ne sont pas prêts, c’est voué à l’échec. Cette recherche m’a permis de me rendre compte que les patients avaient pour but premier de se sevrer de la seringue (la majorité ayant été des injecteurs de buprénorphine et autres substances). C’est seulement dans un second temps qu’ils vivent la substitution et son cadre thérapeutique comme un accès à l’insertion. Suite à cette analyse, je peux dire que le traitement de substitution par la méthadone est créateur de lien social parce qu’il permet une véritable insertion. Mais il faut prendre en compte l’importance du « temps ». |