SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

Mise en place d’une structure d’accès facilité à la méthadone

MISE EN PLACE D’UNE STRUCTURE
D’ACCES FACILITE A LA METHADONE
Dr Philippe LE FERRAND, Rennes

Le Flyer N° 28, Mai 2007
 
Une unité de « réduction des risques par délivrance facilitée de méthadone »
En 2004, le CSST de Rennes a mis en place une unité de « réduction des risques par délivrance facilitée de méthadone » appelée communément « bas seuil » à côté du Centre méthadone proprement dit.
Cette innovation s’est faite après réflexion de l’ensemble de l’équipe du CSST sur les limites thérapeutiques du Centre méthadone qui fonctionnait depuis dix ans selon des critères définis par les différentes circulaires organisant la mise en oeuvre des traitements de substitution.
Le débat a porté sur la manière de concilier d’une part les impératifs de santé publique de limitation des dommages, l’intérêt du soin rapide de la dépendance physique avec d’autre part la notion de cadre thérapeutique propre à toute prise en charge médico-psychologique.
 
En effet, depuis plusieurs années, le Centre méthadone était confronté à des difficultés contradictoires :
- une augmentation des demandes de traitement par méthadone et de prise en charge médico-psycho-sociale ;
- des demandes pressantes et ambivalentes de méthadone chez des personnes qui n’envisageaient pas vraiment d’arrêter l’usage d’héroïne mais qui avaient découvert la méthadone de rue qu’elles utilisaient déjà en gestion du manque
- un usage régulier d’héroïne et de morphine chez certains patients suivis dans le centre
- des délais d’attente de plus en plus longs pour intégrer le centre
- les conséquences des problèmes précédents : des relais en médecine de ville prématurés pour des patients non stabilisés.
Complémentarité du « bas seuil » et du « haut seuil »
La création d’un centre méthadone « seuil bas » en lien étroit avec le « seuil haut » du premier centre devait avoir pour objectif de concilier deux impératifs parfois opposés : la réduction des dommages par un accès rapide à la méthadone afin de réduire le syndrome de manque tout en proposant une prise en charge visant à l’arrêt de l’usage d’héroïne.
La complémentarité thérapeutique des deux unités de soins a permis une approche pragmatique de la dépendance aux opiacés en fonction d’objectifs différents.
 
Le Centre méthadone dit « haut seuil » s’adresse plus particulièrement à des personnes qui souhaitent arrêter l’usage d’héroïne et font une demande dans ce sens. Après des rencontres avec l’ensemble de l’équipe, une prise en charge médico-psycho-sociale dans un cadre thérapeutique protocolisé est proposée. Dès que le patient est stabilisé et ne fait plus usage d’héroïne de façon régulière, il a la possibilité de ne passer qu’une fois par semaine et donc d’emporter sa méthadone pour la semaine.
Un cadre thérapeutique souple
Le Centre méthadone dit « bas seuil » lui, ne vise pas l’abstinence mais la réduction des dommages et la diminution de l’usage d’héroïne et de morphine.

Le cadre thérapeutique est plus souple. L’accès à un traitement par méthadone est possible dans les 24 h après consultation médicale et une analyse urinaire. Le résultat des analyses urinaires couplé à la situation du demandeur détermine la mise en place du traitement.
La délivrance est quotidienne, sans rendez-vous, entre 9 h 30 et 18 h 30 sauf le dimanche (dose donnée le samedi pour le dimanche).
La posologie de méthadone nécessaire est évaluée avec la personne, toujours inférieure à 80 mg/jour en cas de passage quotidien et inférieure à 40 mg/jour en cas de passages irréguliers.

 
Il n’y a, en aucun cas, la possibilité d’emporter la méthadone pour plusieurs jours.
La délivrance peut toutefois être refusée ou diminuée en cas d’intoxication morphinique manifeste.
Il n’y a pas de possibilité de relais en médecine de ville. Le seul relais possible est le « seuil haut » de Rennes ou éventuellement un autre Centre méthadone en cas de changement de lieu de résidence.
Il n’y a pas de consultations régulières obligatoires avec le médecin prescripteur. Les seules rencontres obligatoires sont les demandes de modification de posologie et le passage au « seuil haut ». En revanche, la délivrance quotidienne est l’occasion de rencontres privilégiées avec les infirmiers du Centre qui accomplissent tout un travail d’étayage d’accompagnement et d’orientation.
Des bilans médicaux et la rencontre avec l’assistante sociale sont proposés.
Deux ans d’existences, premiers constats
Après deux ans d’existence du « bas seuil » un premier bilan peut être posé :
- 218 personnes ont bénéficié d’un accès rapide à un traitement par méthadone. Parmi celles-ci, trois types de population apparaissent :
- une première catégorie est constituée de patients qui relèvent du « seuil haut » mais qui ont bénéficié d’une délivrance rapide en attendant d’être admis dans le protocole du centre méthadone. Ce sont des personnes qui se sont présentées spontanément parce qu’elles ont appris qu’il était possible de bénéficier immédiatement d’un traitement par méthadone, ou alors adressés par l’équipe du « seuil haut » en attendant le début effectif de la prise en charge. Dans ce cas, la prescription de méthadone n’est que de quelques semaines et constitue une réponse technique au problème de liste d’attente et du temps d’attente et du temps d’évaluation médico-psychosociale par l’équipe du « haut seuil ».
- Une deuxième catégorie est constituée de personnes ayant une très grande ambivalence vis-à-vis de l’héroïne et qui utilisent la substitution en gestion du manque plus que dans une démarche d’abstinence.
 
L’accompagnement proposé permet de tenir compte du rythme de chacun et du temps nécessaire au changement d’attitude vis-à-vis de l’héroïne. La souplesse du cadre, la prise en compte sans jugement d’un usage plus ou moins régulier d’héroïne ou de morphine permet une alliance thérapeutique et une confiance qui amènent à proposer au bout de quelques mois un passage au « seuil haut ».
- Une troisième catégorie est constituée de personnes très marginalisées, SDF le plus souvent présentant en général une polytoxicomanie associant morphiniques, tranquillisants et alcool. Une co-morbidité psychiatrique et une désocialisation majeure sont très souvent associées. Les passages dans le Centre sont irréguliers avec des périodes de perte de contact de plusieurs jours ou semaines en fonction de l’offre de stupéfiants et des aléas de leur existence. Le travail de réduction des dommages se fait sur le long terme. L’accueil proposé permet une ébauche de resocialisation, une prise en compte des problèmes de santé physique et mentale avec possibilité de délivrance contrôlée de médicaments psychotropes.
Articulation haut seuil/bas seuil : liberté du patient et motivation pour un projet de soin
Le « seuil bas » trouve sa pertinence dans son articulation avec le « seuil haut » en laissant une liberté de choix au patient, ce qui permet en même temps à l’équipe de sortir du double lien fréquemment posé par la délivrance de méthadone lorsque l’usage régulier d’héroïne, le non respect du cadre thérapeutique posent le problème éthique du refus de traitement en raison de la persistance de la toxicomanie.
L’étayage proposé au « bas seuil » garde toujours comme perspective le passage au « haut seuil ».

 

 
Cet objectif devient en même temps une motivation et parvient à éviter de chroniciser l’usage de la méthadone en gestion du manque. Inversement, lorsque l’usage régulier d’héroïne conduit à une impasse dans le cadre du « haut seuil », le changement de mode de prise en charge présenté comme un renforcement de l’accompagnement dans un cadre plus souple est l’occasion de redéfinir un projet thérapeutique plus adapté car vécu comme moins persécuteur et plus compréhensif que le cadre thérapeutique du « haut seuil ». La permanence de l’aide est assurée tout en tenant compte de la réalité de la relation.
Conclusion
La création d’un deuxième centre méthadone avec un projet thérapeutique de réduction des dommages et d’accès aux soins a permis à la fois une amélioration de la qualité des soins et a été en même temps, l’occasion de toucher des populations qui jusqu’à présent ne bénéficiaient pas des possibilités de soins offertes.
C’est, cependant, dans l’articulation des deux projets complémentaires du bas et haut seuil que le « bas seuil » a montré son véritable intérêt thérapeutique au-delà d’une simple réduction des dommages.

 

 

Des publications récentes, dont notamment celle de SCHWARTZ et al.*, ont démontré que cette prise en charge à visée transitoire, avec délivrance immédiate de méthadone et dans une logique de bas seuil (d’exigence), avait des conséquences extrêmement positives en matière de réduction de la consommation d’opiacés et de diminution de l’activité délictueuse. Par rapport à des usagers mis en situation d’attente d’un traitement de substitution, cette prise en charge multiplie par un facteur de 3,6 les chances d’adhérer par la suite à un traitement plus encadré.

* : A Randomized Controlled Trial of Interim Methadone Maintenance. Robert P SCHWARTZ et al. Baltimore, USA, Arch Gen Psychiatry/Vol 63, janvier 2006