par Louis-Philippe Bleau, Christophe Huỳnh, Jean-Sébastien Fallu, la conversation
Les opioïdes, y compris les plus connus – morphine, héroïne et fentanyl – ont gagné en popularité au cours des dernières décennies. Bien que officiellement interdits, ces analgésiques trouvent toujours leur chemin dans les prisons via des drones ou avec des visiteurs. Le résultat est que de plus en plus de prisonniers utilisent des opioïdes.
Les services correctionnels ont pris plusieurs mesures pour empêcher les opioïdes de se frayer un chemin dans les prisons. Mais malheureusement, la guerre contre les médicaments n’a jusqu’à présent pas empêché la production, le trafic et l’utilisation d’opioïdes.
Au contraire, il semble que la poursuite d’un monde sans drogue ait causé beaucoup plus de mal que les médicaments eux-mêmes. Les conséquences négatives de leur interdiction sont nombreuses, y compris les taux de surdose élevés et la transmission d’infections telles que le VIH et l’hépatite C.
Je suis un doctorant en psychologie à l’Université de Montréal sous la supervision de Christophe Huỳnh, chercheur à l’Institut Universitaire Sur les Dépenses (University Institute on Addictions), et Jean-Sébastien Fallu, chercheur et professeur associé à la School of Psychoeducation, Université de Montréal. Mes recherches se concentrent sur la façon dont les agents correctionnels perçoivent et interagissent avec les services de réduction des méfaits dans les prisons.
La réponse des services correctionnels
Lorsque la criminalisation de la drogue a échoué, le service correctionnel du Canada a modifié sa stratégie. Plutôt que de préconiser l’abstinence totale des drogues chez les prisonniers, il cherche désormais à réduire les dommages associés à la consommation de drogues.
La réduction des méfaits vise à limiter les effets nocifs des politiques existantes et les risques associés à la consommation de drogues. Il est nécessairement destiné à réduire ou à arrêter la consommation de médicaments. L’idée est plutôt de soutenir les gens de manière pragmatique et humaniste en s’adaptant à leurs situations et besoins.
Dans cet esprit, le gouvernement a mis en place plusieurs services qui permettent aux détenus d’accéder au traitement, à des équipements stériles (comme des seringues) et des zones de la prison où ils peuvent consommer des médicaments en toute sécurité (par exemple, des salles d’injection supervisées).
Ces initiatives visent à réduire les conséquences négatives de l’utilisation des opioïdes, y compris les surdoses et la transmission des infections. Par exemple, en échangeant une seringue d’occasion pour une nouvelle stérile stérile, un détenu évite de partager des équipements contaminés avec d’autres, ce qui réduit le risque de transmission.
Pourquoi les agents correctionnels résistent-ils?
Cependant, il existe un obstacle majeur à la mise en œuvre de ces services. Les agents correctionnels, qui jouent un rôle central dans leur mise en œuvre, sont très réticents à les utiliser.
En fait, dans les prisons, le succès des services de réduction des méfaits dépend en grande partie de l’adhésion des agents correctionnels, qui sont en première ligne de leurs programmes de mise en œuvre.
Plutôt que de simplement critiquer les officiers pour leur réticence, nous devons comprendre les origines de leurs préoccupations concernant ces initiatives souvent mal perçues. Les écouter et les impliquer activement dans le développement de protocoles et de règles de mise en œuvre a le potentiel non seulement de soulager leurs peurs, mais aussi de renforcer leur engagement.
Je cherche à mieux comprendre comment leurs attitudes et leurs pratiques peuvent influencer la réhabilitation des prisonniers et améliorer leur accès aux soins appropriés. Dans cet esprit, le premier objectif de mon projet de doctorat est de revoir la portée du sujet. Pour documenter les facteurs sous-jacents à la résistance des agents correctionnels aux services de réduction des méfaits, j’ai sélectionné un total de 48 articles scientifiques internationaux publiés entre 2005 et 2024.
Le double rôle des agents correctionnels
Imaginez que vous êtes un agent correctionnel. Votre rôle est à la fois d’interdire et de punir la consommation de drogues. Pourtant, il s’agit également de soutenir les services qui permettent aux détenus d’utiliser des médicaments. Que feriez-vous?
Dans ce contexte, une majorité des officiers interrogés ont déclaré avoir subi un paradoxe: ils croient que ces services interfèrent directement avec leurs fonctions professionnelles. Au lieu de voir ces services comme une exception au maintien de l’ordre en prison, certains les perçoivent comme en contradiction avec leur mission.
Ce double rôle alimente la résistance, en particulier en raison des craintes que ces initiatives encouragent la consommation de drogues plutôt que de la réduire. Par exemple, certains officiers estiment que fournir un espace pour l’injection supervisée encourage les détenus à consommer plus de médicaments ou même à essayer les opioïdes pour la première fois.
Tension entre la sécurité et la santé publique
En outre, les agents correctionnels sont souvent réticents à fournir des services de réduction des méfaits en raison de préoccupations concernant leur propre sécurité.
Par exemple, le programme d’échange d’aiguilles introduit au Canada en 2018 permet aux détenus d’accéder aux aiguilles stériles pour limiter la transmission des infections. Malgré ses avantages en termes de réduction des risques de transmission, ce programme a provoqué de fortes réactions des syndicats correctionnels.
Les agents sont particulièrement préoccupés par le fait que les seringues puissent être utilisées comme armes contre eux, mettant leur vie en danger pendant le travail.
En outre, d’autres officiers ont également mentionné la peur d’être exposé au fentanyl, un opioïde qui est de plus en plus présent dans les prisons.
Certains officiers estiment que le simple contact avec cette substance pourrait entraîner la mort par une surdose. Ils vont même jusqu’à exiger de l’équipement de protection à utiliser lorsqu’ils interviennent en cas de surdose, lorsque chaque seconde est cruciale pour la survie de l’individu.
Concepts mal compris
Un autre facteur augmente la réticence des agents correctionnels à fournir ces services: manque de connaissances et compréhension de la dépendance aux opioïdes. Certains officiers perçoivent la dépendance comme une faiblesse morale plutôt que comme un état médical qui nécessite un traitement.
L’idée que les prisons devraient être des lieux d’abstinence plutôt que des espaces pour la gestion de la toxicomanie sont toujours répandus. Bien que certains perçoivent des médicaments pour la dépendance aux opioïdes comme des «médicaments libres», d’autres pensent que les programmes d’échange d’aiguille encouragent l’utilisation des opioïdes.
Ces idées et mythes non fondés entravent la mise en œuvre des services de réduction des méfaits et nuisent finalement aux personnes qui utilisent ces services.
Changer les perceptions de la dépendance
Les solutions à certaines préoccupations très légitimes, telles que les risques de sécurité, sont entre les mains de services correctionnels. La formation sur les surdoses d’opioïdes et un meilleur accès à des équipements de protection, tels que des gants et des masques, permettraient aux agents de réagir plus efficacement et de se sentir plus en sécurité.
D’autres problèmes, tels que la perpétuation des mythes, des stéréotypes et des préjugés sur la dépendance, qui sont malheureusement renforcés par le contexte sociopolitique actuel, sont persistants et peu facilement résolus. Ces problèmes réduisent l’engagement des agents envers les services et nuisent aux utilisateurs.
Alors que la crise de surdose continue de faire des ravages, il est urgent de repenser la culture pénitentiaire afin de concilier la sécurité et la santé publique. Au-delà du contrôle et de la discipline, la détention doit également être un lieu de soins et de prévention. Le passé nous a clairement montré que des politiques strictement répressives causent souvent plus de problèmes qu’ils ne le résolvent.
Aujourd’hui, lorsque davantage de services adaptés aux besoins des prisonniers sont mis en place, il est important de demander comment nous pouvons faciliter et réduire la résistance du personnel correctionnel à l’approche de réduction des méfaits.