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Pluridisciplinarité, interdisciplinarité, transdisciplinarité : clarification des notions

PLURIDISCIPLINARITÉ, INTERDISCIPLINARITÉ, TRANSDISCIPLINARITÉ :
CLARIFICATION DES NOTIONS
*
Inspiré du travail de mémoire : "Expérience de pluridisciplinarité au sein d'un espace d'accueil
et d'écoute pour adolescent", DESU "Prévention des conduites à risques"

Thibaut PANNETIER, Psychologue


Il semble parfois que la mise en commun de plusieurs disciplines aille de soi, comptant sur le bon sens et un fonctionnement tacite.

Mais suffit-il que des professionnels de différentes formations et statuts travaillent au sein d’une même équipe pour couvrir toutes les dimensions d’un projet institutionnel et répondre à ses objectifs ?

Comment les points de vue professionnels se croisent-ils ?


Quel peut être l’écart entre une conception idéale d’un collectif hétérogène et la réalité du terrain et du quotidien ?

Le terme de pluridisciplinarité est un mot composé qui recouvre un nombre important de notions et d’applications en fonction de la portée de son usage. Ce terme est souvent utilisé de façon générique et efface des nuances quant au type de rapport entre les disciplines. Tentons de clarifier cela.

Métaphore : la discipline du Sage

Débutons en flânant au gré d’un léger détour par l’imaginaire asiatique. Prenons appui sur l’image idéalisée du Sage qui, empruntant une voie méditative de l’existence, perçoit davantage la synthèse que l’analyse. Sa vision est transcendante et « fait fi » des distinctions, des séparations et des dialectiques. Tandis que nous cherchons à comprendre, à discriminer et à enrichir nos connaissances, le Sage recherche sa nature profonde et déconstruit ses représentations du monde. Certaines approches de la psychologie y verront peut-être une régression au stade utérin, mais il s’agit surtout pour le Sage d’opérer un changement complet de perception, de rapport au monde, et, sous cet angle, on pourra parler d’un retour à la « terre-mère », de sentiment « océanique », ouvert sur l’univers. 


Mais cette « régression » - pour autant qu’elle en soit une -, est choisie, et elle est l’œuvre d’une vie disciplinée. Elle n’a de cohérence et de continuité que dans le cadre d’une démarche de pensée, d’une pratique répétée et toujours renouvelée, d’une sensibilité au monde et à ce qui nous unit à lui, par un travail sur soi et ses propres limites, et finalement, par une spiritualité. Cette dernière est à la fois encadrée et libre, et la tradition culturelle en offre l’assise.

Se pose alors, dans le cadre de la tradition scientifique, la question de la nature de la « discipline », qui est tout autant connaissance que travail sur soi.

Retour sur le mot

Que signifie « discipline » ? Ce mot vient du latin disciplina, dérivé de discipulus qui veut dire « disciple », lui-même dérivé de discere signifiant « apprendre ». Le mot renvoie à l’ensemble des règles, des obligations qui régissent certains corps ou collectivités ; mais aussi aux manières de se conduire, en suivant les règles d’une profession, ou les règles imposées aux membres d’un ordre ou d’une corporation.

Dans le cadre de la pluridisciplinarité, le sens le plus important est relatif à une branche de la connaissance, une matière d’enseignement, et par extension, à une doctrine et à une science. La science, en tant que «  connaissance relative à des phénomènes obéissant à des lois et vérifiés par des méthodes expérimentales » implique un système de référence donnant pertinence et sens aux activités qui en découlent.

Selon Edgard Morin, le concept de discipline scientifique renvoie à « une catégorie organisationnelle au sein de la connaissance scientifique ; elle y institue la division et la spécialisation du travail et elle répond à la diversité des domaines que recouvrent les sciences. Bien qu'englobée dans un ensemble scientifique plus vaste, une discipline tend naturellement à l'autonomie, par la délimitation de ses frontières, le langage qu'elle se constitue, les techniques qu'elle est amenée à élaborer ou à utiliser, et éventuellement par les théories qui lui sont propres. » (1)

L’organisation de la diversité et démarche pluridisciplinaire

Ces définitions posent d’emblée un rapport à la règle, une séparation entre les corps disciplinaires et une organisation de la diversité. « Pluri » signifie plusieurs et n’implique pas un mélange des disciplines, mais simplement la mise en commun de plusieurs disciplines.

Notons qu’une discipline délimite des frontières, mais n’a de sens et de pertinence que par rapport à un ensemble qui l’enveloppe, à un système de référence - conceptuel ou paradigmatique. (*)

En association à la « disciplinarité », d’autres préfixes sont utilisés, notamment « Trans » (à travers, de l’autre coté), « inter » (entre, parmi), « co » (avec), « intra » (intérieur à)  et « multi / poly » (nombreux, divers) produisant des mots dont le sens reste assez proche de celui de « pluridisciplinarité ». Toutefois, ces mots introduisent des nuances utiles. Selon Jacques Ladsous, dans le cadre professionnel et des équipes pluridisciplinaires, multi, inter et trans, pourront servir à distinguer différents niveaux de réalité du travail pluridisciplinaire :  


« le premier constate, le deuxième met en relation, le troisième tisse entre les personnes quelque chose de nouveau » . (2)

Le travail sur la disciplinarité suppose une démarche de travail collective (et/ou une visée collective). La pluridisciplinarité, c’est, dans le contexte de la recherche, la rencontre entre des chercheurs, entre des membres de disciplines distinctes autour d'un thème commun. Dans la démarche pluridisciplinaire, chaque pratiquant d’une discipline conserve la spécificité de ses concepts et méthodes. C’est donc « une approche parallèle tendant à un but commun par addition des contributions spécifiques » (3) . Dans cette approche, plusieurs disciplines s'associent pour étudier un objet commun dont aucune ne peut observer tous les aspects avec les seules techniques dont elle dispose. (4) On peut considérer que ces disciplines abordent la compréhension d’un problème, ou d’une situation, de façon analytique. Elles ont entre elles un rapport de « juxtaposition en parallèle. »

(*) Modèle cohérant ou vision du monde

Science, interdisciplinarité et transdisciplinarité

L’interdisciplinarité consiste à faire travailler ensemble des personnes issues de diverses disciplines scientifiques. La démarche suppose un but commun qui, pour être atteint, suppose la confrontation des différentes approches d'un même problème. Cette approche suppose le dialogue et l'échange des connaissances, des analyses, des méthodes employées par deux ou plusieurs disciplines. Elle implique de fortes interactions et l’enrichissement mutuel entre plusieurs spécialistes, et donc une coopération active.

L’interdisciplinarité suppose d’ouvrir l’échange, d’abattre certaines cloisons et de s’appuyer ce qui forme le socle commun des sciences.


E. Morin observe d’ailleurs un paradoxe du fait justement que c’est le puissant socle commun des sciences qui implique qu’elles se muent en « discipline », fermées sur elles-mêmes et soucieuses de se distinguer les unes des autres :

« les disciplines se referment et ne communiquent pas les unes avec les autres, c’est, paradoxalement, parce qu’elles ont en commun des postulats implicites, comme le postulat de l’objectivité, l’élimination du problème du sujet, l’utilisation des mathématiques comme un langage et un mode d’explication communs, la recherche de la formalisation, etc. La science n’aurait jamais été la science si elle n’avait été transdisciplinaire.» (5)

La transdisciplinarité

Elle désigne un savoir qui parcourt diverses sciences en passant outre les frontières de chaque discipline. Le terme de transdisciplinarité trouve sa première référence dans un texte rédigé par Jean Piaget en 1970 à l'occasion d'un colloque sur l'interdisciplinarité :

« Enfin, à l'étape des relations interdisciplinaires, on peut espérer voir succéder une étape supérieure qui serait " transdisciplinaire ", qui ne se contenterait pas d'atteindre des interactions ou réciprocités entre recherches spécialisées, mais situerait ces liaisons à l'intérieur d'un système total sans frontières stables entre les disciplines. » (6)


E. Morin observe cet autre paradoxe (presque en réciproque du précédent), qui est que ce sont les éléments « transdisciplinaires » des sciences qui ont le mieux œuvré au cloisonnement des disciplines :

« Les principes transdisciplinaires fondamentaux de la science, la mathématisation, la formalisation, sont précisément ceux qui ont permis de développer le cloisonnement disciplinaire. Autrement dit, l’unité a toujours été hyper-abstraite, hyperformalisée, et elle ne peut faire communiquer les diverses dimensions du réel qu’en abolissant ces dimensions, c’est-à-dire en unidimensionnalisant le réel.  » (7)

Hybridation des disciplines

Les partisans d’une approche exclusivement transdisciplinaire risquent de subir la tentation absolutiste qu’elle provoque. En effet, les pièges épistémologiques sont nombreux et le doute est de mise quant à la possibilité de dégager une organisation globale, « universalisante » censée suffire à appréhender toute la complexité du réel. Les tenants du relativisme(*) approuveraient ce doute, quoi qu’il en soit la visée transdisciplinaire ne prend pas parti.

Une première forme éclairante et non absolutiste que peut prendre le rapprochement de deux disciplines, est la constitution d’une troisième qualifiée d’hybride.

Par exemple, l’ethnopsychopathologie (et l’ethnopsychiatrie) s’intéresse « aux désordres psychologiques en rapport à leur contexte culturel d'une part, aux systèmes culturels d'interprétation et de traitement du mal, du malheur et de la maladie d'autre part.  » (8)


Elle a donc créée et adaptée des dispositifs de prise en charge pour des populations migrantes en mettant en lien la dialectique normal / pathologique de la psychiatrie (ou des troubles psychopathologiques) et la particularité du contexte culturel étudié par l’ethnologie. Nous y reviendrons brièvement par la suite.

Cette hybridation n’est pas concevable avec n’importe quelles disciplines. Certaines font partie d’un même ensemble ou de deux sous ensembles différents intégrées à un ensemble commun. L’hybridation doit préserver un cadre de référence cohérant.

(*) attestant, entre autres, que la connaissance est le produit d'une construction (ou d’un filtre) et qu'elle ne saurait pour cette raison être considérée comme objective, et « qu’il n’y a pas de réalité absolue »

Porosité des disciplines et risque de confusion

D’autres disciplines se chevauchent, tout comme leur démarche théorique, mais ne se superposent pas. Aucune ne détient une vérité absolue. Elles peuvent posséder des points similaires et avoir des conceptions différentes d’un même objet ou d’un même phénomène. Ce dernier pouvant être étudié sous différents abords : descriptif, structurel, dynamique, ontologique, développemental…

Chaque angle d’approche produit ses propres frontières, plus ou moins poreuses. Les disciplines aux paradigmes monistes(*), matérialistes ou scientistes(**) seront a priori susceptibles d’avoir recours à des approches « pluri », voire « inter », mais résisterons à une approche « trans », car leur fondement même est auto-référentiel et considéré comme la seule voie valable d’exploration du réel.

La pluri et l’interdisciplinarité, si elles ne reposent pas sur une critique préalable des postulats et des méthodes des disciplines que l’on veut lier, n’aboutit qu’à multiplier le désordre au lieu de créer un ordre nouveau. (9) Roger Bastide ajoute que « la recherche pluridisciplinaire postule une logique préalable – nous serions même tenté de dire une éthique, dans la mesure où les règles de la logique sont aussi, pour le savant, les normes de son honnêteté intellectuelle. » (10)


Nous dirions que la démarche intégrative (proche de l’interdisciplinarité), pratiquée notamment dans certains cursus universitaires, est la moins risquée du point de vue de la rigueur scientifique et « la plus performante » en termes exploratoire et empirique. En effet, par son potentiel heuristique(***) et parfois herméneutique(~) , elle n’empêche pas « une démarche transdisciplinaire encadrée » car le cadre scientifique permet une cohérence générale, une pertinence et le maintien de balises épistémologiques. Elle laisse le choix d’approfondir une approche particulièrement sans pour autant ignorer les autres. Cela laisse plus de chance à l’ouverture et à l’écoute des autres disciplines dans le cadre professionnel.

Nous restons convaincus que l’approche transdisciplinaire est la plus progressiste; elle fera suite à la démarche interdisciplinaire, sans l’annuler pour autant. Il s’agit d’être patient et de ne pas bruler les étapes des découvertes scientifiques, des changements de paradigme, des courants de pensée et de l’évolution de l’éthique scientifique.

(*) Tout ce qui existe est Un, un tout unique
(**) La science est le seul mode de connaissance valable et elle est supérieure à toutes les autres formes d'interprétation du monde
(***) « l'art d'inventer, de faire des découvertes »
(~) Qualifie ce qui a trait à l'interprétation de textes philosophiques ou bibliques

La Globalisation

La mise en lien de plusieurs disciplines n’est pas que théorique ou conceptuelle. Elle prend également sa source dans la pratique et l’expérimentation. Les allers-retours continuels entre l’empirique et le théorique favorisent l’émergence d’un souci du pluri, de l’inter et du transdisciplinaire. La clinique, qui se veut au chevet du patient pris dans sa globalité, a un potentiel inter et transdisciplinaire très élevé.

E. Morin écrit à propos de la globalisation : « le mode de pensée ou de connaissance parcellaire, compartimenté, monodisciplinaire, quantificateur nous conduit à une intelligence aveugle, dans la mesure même où l'aptitude humaine normale à relier les connaissances s'y trouve sacrifiée au profit de l'aptitude non moins normale à séparer. Car connaître, c'est, dans une boucle ininterrompue, séparer pour analyser, et relier pour synthétiser ou complexifier. La prévalence disciplinaire, séparatrice, nous fait perdre l'aptitude à relier, l'aptitude à contextualiser, c'est-à-dire à situer une information ou un savoir dans son contexte naturel.


Nous perdons l'aptitude à globaliser, c'est-à-dire à introduire les connaissances dans un ensemble plus ou moins organisé. Or les conditions de toute connaissance pertinente sont justement la contextualisation, la globalisation.  » (11)

La transdisciplinarité tendrait à une forme d’holisme . Le holisme (du grec holos : tout, entier, global) est un système de pensée pour lequel les caractéristiques d'un être ou d'ensemble ne peuvent être connues que lorsqu'on le considère et l'appréhende dans son ensemble, dans sa totalité, et non pas par l’étude de chacune de ses parties séparément. (12)

E. Morin affirme qu’« un savoir n’est pertinent que s’il est capable de se situer dans un contexte et que la connaissance la plus sophistiquée, si elle est totalement isolée, cesse d’être pertinente(13)

Deux exemples de pluri-inter-trans

> Prenons brièvement en exemple l’interdisciplinarité de l’approche systémique contemporaine. Cette pensée s'est élaborée sur la base d'apport de différents champs disciplinaires de la connaissance scientifique (biologie, mathématiques, physique, logique, cybernétique...). Les avancées scientifiques dans ces domaines ont réinterrogé la façon d'appréhender  l'individu dans les sciences humaines. Elles ont également fourni des outils conceptuels pour modéliser des situations cliniques complexes de façon opératoire.

Cette pensée peut être considérée comme une méthode scientifique à visée holistique. Elle est définie comme « une façon de voir les phénomènes et les corrélations complexes dans leur intégralité selon une approche interdisciplinaire. L'objectif de l'approche systémique est la modélisation, c'est-à-dire la figuration d'une réalité complexe sous la forme d'un modèle simplifié, plus facilement compréhensible.  » (14)

> Dans l’ethnopsychiatrie, déjà évoquée, l’« additionnalité » est possible, parce que la névrose et la psychose dénaturent les items de la culture et que ceux-ci ne peuvent être appréhendé qu’à être replacés dans leurs cadres culturels. (15)
Dans une véritable épistémologie de la pluridisciplinarité, Georges Devereux a fait le choix, entre autre, d’une méthode complémentariste qui présuppose la coexistence de plusieurs explications, dont chacune est presque exhaustive à l’intérieur de son propre cadre de référence, mais partielle, du point de vue des autres cadres de référence :

« ce qui importe, c’est la définition des rapports entre ces multiples explications – totales/partielles – définition que seul le complémentarisme est capable à la fois de formuler et d’exploiter scientifiquement. Inversement, l’optique complémentariste évite l’évolution de la théorie en vase clos, qui, en faisant dériver la pensée, l’amène à une involution (« entropique ») » (16)

La recherche de complémentarité, précise t-il, implique de s’approprier pleinement les deux disciplines : « chaque science a son concept clef – ou son couple de concepts clefs – dont la définition fournit l’essentiel de sa problématique et dont l’analyse constitue la meilleure introduction au champ de recherche qui est le sien. […] En tant que sciences interdisciplinaire, l’ethnopsychiatrie se doit de considérer conjointement les concepts clefs et les problèmes de base de l’ethnologie et de la psychiatrie. Elle ne saurait se contenter d’emprunter les techniques d’exploration et d’explication de l’une et l’autre de ces sciences. »

Et il ajoute qu’ « il y a une différence méthodologique fondamentale entre l’emprunt pur et simple des techniques et la fécondation réciproque des concepts. Les sciences véritablement interdisciplinaires sont les produits d’une fécondation réciproque des concepts clefs qui sous-tendent chacune des sciences constitutives. » (17)

Retour sur la métaphore du Sage et de l’omniscience

Revenons à l’image idéalisée du Sage évoquée précédemment. Nous laisserons de coté le fait qu’un Sage, dans la tradition orientale, « sent » plus les choses qu’il ne les pense. On peut considérer cette figure culturelle idéalisée comme le reflet d’un fantasme d’omniscience. Dans sa dimension « impersonnelle », l’Homme cherchant à rendre intelligible le monde extérieur (et son monde intérieur) est en quête de savoirs et de connaissances. Il veut comprendre, c'est-à-dire étymologiquement « saisir ensemble », « embrasser par la pensée. »

S’offre à lui deux possibilités (et bien évidemment tout le spectre de possibilités intermédiaires entre celles-ci). Soit il voudra tout expliquer à partir d’une seule approche (courant de pensée, théorie, grille de lecture, monodiscipline). Soit il optera pour un éclectisme disciplinaire, recherchant les invariants, les analogies et les corrélations, avec le risque de survoler chaque approche et de créer une sorte de « fourre tout » à vocation explicative. La validité de l’approche éclectique va dépendre d’un certain nombre de précautions d’ordres éthique et épistémologique. C’est ce cadre, à la fois éthique et épistémologique, qui permettra ou non de trouver un équilibre entre nos limites, notre souplesse et notre dynamisme intellectuel.


Le Sage tend à appréhender le monde dans sa globalité, par une démarche holistique. Mais il sait se contenter de sa nature, de ses limites et accepte d’être ignorant, car il n’est pas omniscient. Nous autres qui ne sommes pas des Sages, qui ne pouvons nous contenter de nos ignorances, nous ne pouvons que faire le deuil de la possibilité d’appréhender le réel dans sa globalité. Il y a un travail fondamental d’acceptation à faire, pour que nous consentions au fait que, de par nos limites, nous ne disposons que d’un angle de vue et qu’il n’y a que des angles de vue.  « L’énergie curieuse avide de savoir » doit alors se focaliser sur l’étude des liens entre tous ces angles de vue, tout en renonçant à la toute-puissance.

Selon Bion, l'acquisition d'un savoir - au sens de possession d'un savoir -, s'oppose à la maturation de la personnalité, à la croissance psychique et à la capacité d’apprentissage. Il met en garde les chercheurs vis-à-vis de cette dérive toujours possible : « Si le chercheur ne tolère pas la frustration inhérente à tout apprentissage, il se complaira dans des fantasmes d'omniscience et dans la croyance en un état où toute chose serait connue. » (18) Le sujet croit alors connaître quelque chose, se pense en possession d’une connaissance et en réalité ne ferra qu’éviter l'expérience parfois éprouvante de l'apprentissage. (19)

L’équipe pluri, inter, transdisciplinaire

Selon Renald Legendre, l’approche interdisciplinaire dans le domaine de l'intervention consiste « à favoriser l'intégration en préconisant l'inter-relation systémique entre les intervenants de différentes disciplines. » Ceci est pensé dans l’idée d’améliorer la compréhension des motifs et des modes d'intervention. Il s’agit également d’atteindre une plus grande efficacité dans « des tâches et des fonctions souvent trop spécifiques pour être comprises et intégrées par les sujets concernés. » (20)


Au sein d’une équipe, la personne formée et maitrisant plusieurs disciplines tient du fantasme. Elle serait la personne idéale pour construire les ponts entre les disciplines et peut être, même, créer une discipline hybride, à vocation holistique. De telles personnes n’existent pas, ou presque. La qualité des relations interpersonnelles et de la communication sont donc essentielles pour mobiliser les multiples expériences et formations, pour que chacun apporte son éclairage et pour que l’enrichissement mutuel favorise une compréhension plus globale. 

Références

(1) MORIN, E. (1994). « Sur l'interdisciplinarité », Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études transdisciplinaires, n° 2 - juin
(2) LADSOUS, J. (2005/2). « Multi, inter, trans », VST - Vie sociale et traitements, N°86, p. 7-9. Paris. Ceméa. Ed. Érès
(3) ETEVE, C. & CHAMPY, P. (ss dir). (1994). Dictionnaire encyclopédique de l'enseignement et de la formation. Paris, Nathan
(4) BOURGUIGNON, A. (1997). « De la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité », Congrès de Locarno, 30 avril - 2 mai, Annexes au document de synthèse CIRET-UNESCO
(5) MORIN, E. (1990). « L’ancienne et la nouvelle transdisciplinarité », extrait de Science sans conscience, Paris, Le Seuil, collection « Points » (première édition : 1982)
(6) PIAJET, J. (1967). Le système et la classification des sciences, in BOURGUIGNON, A. De la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité, Congrès de Locarno, 30 avril - 2 mai 1997, Annexes au document de synthèse CIRET-UNESCO
(7) Idem (1)
(8) http://fr.wikipedia.org/wiki/Ethnopsychiatrie


(9) BASTIDE, R. Préface de : Essais d’ethnopsychiatrie générale, Georges Devereux (1970). Gallimard. Ed. 1977
(10) Idem (9)
(11) MORIN, E. (1997). Communication au Congrès International "Quelle Université pour demain ? Vers une évolution transdisciplinaire de l'Université " ; texte publié dans Motivation, N° 24, 1997
(12) http://fr.wikipedia.org/wiki/Holisme
(13) Idem (11)
(14) http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A9mique
(15) BASTIDE, R. Préface de : Essais d’ethnopsychiatrie générale, Georges Devereux (1970). Gallimard. Ed. 1977
(16) DEVEREUX, G. (1970). Essais d’ethnopsychiatrie générale. Gallimard. Ed. 1977
(17) Idem (16)
(18) BION, W.R. In BEILLEROT, J. (ss dir). (1939-2004). Pour une clinique du rapport au savoir. Savoir et formation
(19) BEILLEROT, J. (ss dir). (1939-2004). Pour une clinique du rapport au savoir. Savoir et formation
(20) LEGENDRE, R. (1993). Le dictionnaire actuel de l'éducation. Montréal, Qc : Guérin