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L'actualité vue par la cyberpresse par Emmanuel Meunier |
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Prohibition : la continuité | ||
Le gouvernement Hérault poursuit la politique prohibitioniste de ses prédécesseurs [Voir "En France : le gouvernement réaffirme la ligne prohibitionniste" in Politique des drogues - Actualité 2012 - 2nd semestre]. L’opinion publique est largement indéterminée, selon un sondage YouGov* pour Le HuffPost : si 77% estime que la politique de répression de l’usage du cannabis est inefficace (41% : plutôt inefficace ; 36% : très inefficace), une majorité relative (43%) soutien la lutte contre les trafiquants. Seuls 28% se rallierait à une dépénalisation de l’usage du cannabis ou à sa légalisation. Dans les ZSP (Zone de sécurité prioritaire), le gouvernement met en œuvre un dispositif expérimenté sous Sarkozy : le recours à des amendes forfaitaires à l’encontre des personnes détentrices de substances illicites (qu’elles soient consommatrices ou trafiquantes). L'article 343 bis du code des douanes, permet à l'autorité judiciaire d'alerter les services des douanes d'une infraction ce qui permet aux douaniers des Groupes d'interventions régionaux (GIR) de proposer à l’auteur de l’infraction un "arrangement transactionnel" sous la forme d’une amende pour transport de marchandises prohibées. Le contrevenant doit alors payer tout de suite, quitte à être accompagné jusqu’à un distributeur de billets. L'amende est proportionnelle à la quantité saisie mais peut aussi tenir compte des antécédents judiciaires. Un simple fumeur détenant une petite quantité se verra infliger une amende de 200 à 300€, un récidiviste détenant une grosse quantité beaucoup plus. Le parquet conserve son droit de poursuite, aussi n'y a-t-il donc pas à proprement parlé de « contraventionnalisation » de l’infraction. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dresse le bilan du dispositif des "stages (payant) de sensibilisation" au danger de l’usage de produits stupéfiants prévus par la loi de 2007. Inspirés des stages de sécurité routière qui permettent de récupérer des points, ces sessions de deux jours placent le contrevenant devant des addictologues et des représentants du Parquet. Le dispositif vise des consommateurs non dépendant, principalement les usagers de cannabis, à l’occasion de leur première interpellation. 1800 à 1900 stages collectifs de sensibilisation ont été mis en place depuis la création du dispositif et, à raison de 10 personnes par stage en moyenne, on estime que 18.000 à 19.000 personnes en ont bénéficié. Il apparaît que le dispositif a été inégalement appliqué sur le territoire : la moitié des stages ont eu lieu dans 25 % des cours d’appel et la moitié des cours d’appel sont dépourvues d’une offre de stages accessible aux mineurs. La moitié des structures qui organisent ces stages les organisent sur deux jours, mais les stages d’une seule journée ne sont pas rares (40%). Les frais de stages sont variables d’un ressort judiciaire à l’autre, l’écart pouvant aller de un à six (de 50 à 300€). |
Aucun dispositif ne réclame le tarif maximum spécifié par les textes d’application du dispositif (450€). Mis en place pour apporter une réponse rapide, il apparait que la moitié des stagiaires ont exécuté leur stage plus de sept mois après leur interpellation. La souplesse prévue pour la mise en œuvre du dispositif présente un risque d’hétérogénéité des pratiques selon les ressorts de politique pénale, ce qui déroge au principe d’égalité entre les citoyens. Les personnes orientées sont très majoritairement des hommes (93%), majeurs (97%), célibataires (74%), d’un faible niveau d’études (70 % de non-diplômés ou titulaires d’un niveau de diplôme inférieur au bac), d’ouvriers (42% alors que ceux-ci ne représentent que 21% des personnes interpellées), de chômeurs (20%) et d’inactifs (4%). Interrogés à la fin du stage, la quasi-totalité de ces stagiaires ont apprécié le contenu pédagogique des stages, en particulier la qualité des intervenants : toutefois, seule une faible proportion d’entre eux envisage de modifier leur comportement de consommation. Etienne Apaire, président de la MILDT, avait fait des dépistages sur les lieux de travail l’un de ses chevaux de bataille [Voir "Dépister les consommations dans le monde du travail" in Politique des drogues - Actualité 2012 - 1er semestre] et ceux-ci se développent. Maître Géraldine Marion, avocate en droit du travail à Rennes, en rappelle le cadre. Les tests peuvent être pratiqués à l’embauche ou au cours de l'exécution du contrat de travail. Le principe de la mise en œuvre de ces tests doit être mentionné dans le règlement intérieur et clairement justifié par des nécessités particulières tenant à la sécurité des salariés ou des clients. Ainsi, la Cour Européenne des droits de l'homme a jugé que l'employeur pouvait légitimement imposer aux salariés, membres de l'équipage d'un Ferry, la soumission à des tests de dépistage d'alcool et de drogues. Il en a été de même pour le personnel d'une société de nettoyage d'une centrale nucléaire. Si les tests ne sont pas justifiés par de telles nécessités, la mesure sera attentatoire aux droits des personnes et aux libertés individuelles (art. L 1321-3 2 du Code du Travail). Il faut encore que le salarié soit informé en amont de la procédure, des conséquences d’un éventuel refus de sa part, et que ce test soit effectué par un tiers désigné par l'employeur (le médecin du travail par exemple), soumis au secret professionnel (les tests urinaires pourraient accessoirement détecter de nombreuses infections ou un éventuel état de grossesse). Sources : |
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Cannabis thérapeutique | ||
Les deux seules ruptures du gouvernement Hérault porte sur la réduction des risques avec l’autorisation d’une expérimentation de salle de consommation à moindre risque [Voir Réduction des risques - Actualité 2012 - 2nd Semestre] et sur une possible autorisation de prescrire du THC sous une forme médicamenteuse. L'agence du médicament (ANSM) étudie à la demande du gouvernement la possibilité d’autoriser Sativex® (laboratoires Bayer), un spray à base de THC, notamment, prescrit contre des douleurs et contractures sévères et résistantes aux autres traitements de certains patients atteints de sclérose en plaques. Actuellement, le seul médicament à base THC accessible est le Marinol®, qui ne peut être délivré que dans le cadre d’une ATU (une autorisation temporaire d'utilisation), qui ne sont délivrée qu’au compte-goutte (150 demandes satisfaites depuis 2001) et qui implique une lourde procédure administrative. De plus les bénéfices sont limités [voir "Cannabis thérapeutique : douleurs et SEP" et "Le cannabis thérapeutique en débat" in Cannabis - Actualité 2012 - 2nd semestre]. Un patient, atteint d’une myopathie particulière, appelée dermatopolymyosite, a été condamné par le tribunal correctionnel de Belfort à 300 euros d'amende avec sursis pour usage de cannabis. Le député G. Vaillant va piloter un groupe de travail de l’assemblée nationale sur l’usage thérapeutique du cannabis. |
Quand à la tentative de créer un mouvement de désobéissance civique autour de l’usage du cannabis [Voir "Des usagers « autoproducteurs » en quête d’une stratégie de « désobéissance civile »" in Politique des drogues - Actualité 2012 - 2nd semestre] elle tourne court. L’un des animateur du mouvement, Dominique Broc, qui avait déposé en préfecture d'Indre-et-Loire les statuts de la Fédération des Cannabis social clubs, a été condamné à 2.500 euros d'amendes pour usage et détention de cannabis et le refus de prélèvement d'ADN, et le Tribunal de grande instance de Tours à dissout l’association créée. Sources : |
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Développement de politiques plus tolérantes en Europe | ||
Les partisans de la prohibition, en France, s’était un peu trop vite félicité du "revirement" des Pays-Bas par rapport à sa politique de tolérance vis-à-vis du cannabis. Le "wietpas" (passeport cannabis) pour entrer dans un coffee shop, qui devait chasser du pays les "touristes de la drogue" (en particulier français), décidé par un gouvernement minoritaire et hétéroclite, composé des Chrétiens-démocrates (CDA) de Conservateurs-libéraux (VVD) et soutenu par le parti islamophobe de Geert Wilders (PVV), n’a été mis en place qu’à Maastricht ["Légalisation du cannabis en Uruguay et polémiques aux Pays-Bas" in Politique des drogues - Actualité 2012 - 2nd semestre]. Une coalition des centristes, socio-démocrates et libéraux-conservateurs, a supprimé de "wietpas", les hollandais refusant de se laisser ficher, même si des villes peuvent interdire l’accès des coffee shops aux étrangers. Le Conseil d’Etat hollandais a requis une décision de la Cour européenne de justice sur la légalité de cette mesure, clairement discriminatoire et la Cour européenne a estimée que l’interdiction frappant les étrangers devait pouvoir être justifiée à partir d’impératif d’ordre public. De plus, un tribunal de La Haye a considéré que les coffee-shop du sud du pays avaient souffert financièrement pendant plusieurs mois, parce que leurs clients ont été intimidés et que le gouvernement devra dédommager les patrons de ces bars pour les boissons non vendues sur cette période. |
Qui plus est, le débat public porte maintenant sur une régulation publique de la production et de l’approvisionnement des coffee shops. D’autre part, la Ville de Zurich vient de soumettre à l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) un projet de recherche national sur la vente contrôlée et la consommation de cannabis. République tchèque qui est l'un des pays européens les moins répressifs vis-à-vis du cannabis (les personnes qui possèdent jusqu'à 15 grammes de marijuana ou font pousser chez eux jusqu'à cinq plants ne risquent qu'une amende) vient d’autoriser le cannabis thérapeutique. Et la Norvège souhaite dépénaliser l’inhalation d’héroïne, méthode moins dangereuse que l’injection, pour réduire le nombre de morts par overdose. Sources : |
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USA et Canada : tolérance ou intolérance, rien n’arrête le business | ||
Le développement du cannabis thérapeutique dans 20 Etats des USA et la légalisation du cannabis dans les Etats du colorado et de Washnington et la neutralité affichée du gouvernement fédéral qui n’appliquera pas la législation prohibitioniste dans ces deux Etats [Voir Légalisation du cannabis dans le Colorado et l’Etat de Washington Politique des drogues - Actualité 2012 - 2nd semestre] affaiblit considérablement le parti prohibitionniste. Une enquête publiée par le Pew Research Center montre que, pour la première fois en 40 ans d’enquête, une majorité des personnes interrogées (52%) se déclarent favorables à la légalisation de la marijuana. Le consensus est d’autant mieux obtenus, que dans les Etats qui l’on légalisée, les collectivités locales peuvent de fait en interdire tout usage public. C’est là, une vieille tradition US, puisqu’après quatre-vingts ans après la fin de la Prohibition de l’alcool, il reste encore aujourd’hui des comtés où la vente d’alcool est interdite. Ce "localisme" a été dénoncé par l’OICS (organe international de contrôle des stupéfiants), qui a appelé les Etats-Unis, dans son rapport annuel, à respecter leurs obligations internationales sur "l’intégralité de leur territoire". En outre, le cannabis offre de nouvelles perspectives aux investisseurs et spéculateurs de Wall Street : sociétés spécialisées dans le cannabis médical, logiciel de gestion des stocks pour les dispensaires de cannabis ("Marijuana freeway"), compagnie d’assurances spécialisée ("Cannassure" liée à la Lloyds), site internet pour informer les consommateurs (Leafly.com est comparatif de près de 500 souches de cannabis), critiques de "testeur" publiées dans les journaux, diplôme universitaire... et unité de police spécialisée dans le contrôle de ces nouvelles activités. |
Le Canada connait lui une évolution contradictoire. D’un côté le gouvernement du très conservateur de Stephen Harper criminalise la consommation de cannabis et à durcit la répression de la production de cannabis (six mois d’emprisonnement pour qui cultiverait plus de cinq plants et allongement les peines maximales pour les gros trafics, qui passent de 7 à 14 ans). Mais d’un autre côté, le cannabis médical y est autorisé depuis un arrêt de 2000 de la Cour d'appel de l'Ontario (affaire Parker) et suite à une décision judiciaire de 2003, qui dénonçait le manque d'accès raisonnable à un approvisionnement légal en cannabis des patients, l’organisme d’Etat Santé Canada a eu recours à une entreprise des Prairies pour en faire pousser pour le gouvernement. 30.000 personnes bénéficient d’autorisation à consommer du cannabis médical. Le gouvernement entend privatiser en 2014 ce marché. Marché prometteur, car, d'ici 10 ans, le nombre de détenteurs de permis de possession pourrait être 300 000 personnes, et à un prix anticipé de 8$ le gramme, et une moyenne actuelle de 10 grammes autorisés par jour par personne, les ventes annuelles pourraient rapidement atteindre des milliards de dollars, sans parler d’éventuelle exportation vers les USA. Sources : |
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Amérique latine : la régulation des drogues pour sortir de la guerre à la drogue | ||
Influencé par les travaux de la Global Commission on Drug Policy qui réuni notamment quatre anciens présidents latino-américains, le Brésilien Fernando Henrique Cardoso, le Colombien César Gaviria et le Mexicain Ernesto Zedillo et le Chilien Ricardo Lagos [Voir Aux Amériques : le débat sur les drogues et le trafic in Politique des drogues - Actualité 2012 - 1er semestre] et par les ravages grandissants d’une "Guerre à la drogue" qui a échouée, les Etats d’Amérique latine souhaite un changement de politique. En avril 2012, une réunion des chefs d’Etats d’Amérique a chargé l’OEA de rassembler des informations pour organiser ensuite un débat sur les conséquences négatives de la guerre contre la drogue et sur les approches alternatives possibles, à la suite de quoi, en mai 2013, José Miguel Insulza, le Secrétaire Général de l’Organisation des Etats Américains (OEA) a présenté un rapport aux chefs d’Etat américains sur les scénarios possibles des politiques de drogues pour les Amériques jusqu’à 2025. Parmi les options envisagées, la mise en place de marchés régulés des drogues, en commençant par le cannabis. Des Etats se sont déjà engagés dans ce sens. Depuis 1994, la législation colombienne autorise la possession d'une dose de 20 grammes de marijuana et d'un gramme de cocaïne, et elle va prochainement dépénaliser la consommation d'une petite quantité de drogues de synthèse. Une loi votée en juillet 2012 précise que l'addiction aux drogues est une question de santé publique et que les toxicomanes doivent être considérés comme des patients et non des délinquants et un rapport officiel prône la dépénalisation totale de la consommation de drogue et la prise en charge des consommateurs par le système de santé public. L’Uruguay devrait approuver en janvier 2014 lé légalisation de l’usage et du commerce encadré du cannabis [Voir Légalisation du cannabis en Uruguay et polémiques aux Pays-Bas in Politique des drogues - Actualité 2012 - 2nd semestre]. |
La Bolivie, qui s'était retirée de la Convention sur les stupéfiants de 1961 en 2011 en signe de protestation face à l'inscription de la feuille de coca sur la liste des produits stupéfiants, a été réintégrée comme signataire de la Convention avec une réserve concernant la feuille de coca. Cette réserve obtenue concernant la feuille de coca n’était possible qu’à condition qu'un tiers ou plus des 183 Etats membres ne s'y opposent pas. Seuls 15 pays on manifesté leur hostilité, dont la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Italie, le Canada, l'Allemagne et la Russie. Quant au Paraguay, deuxième producteur mondial de cannabis, c’est plutôt un Etat défaillant, qui compte 10 à 15000 hectares de cultures de cannabis et qui bénéficie de coûts de production modique (30$ par kilo) et un rendement à l'hectare de 3 tonnes, en deux, voire trois, récoltes annuelles, tant la terre du Paraguay est fertile. Le pays vient d’élire à la présidence Horacio Cartès, une sorte de Berlusconi paraguayen, a fait fortune dans le tabac et possède une vingtaine d'entreprises, dont une banque, des bureaux de change, des marques de sodas, un élevage bovin, etc... Certains de ses adversaires le surnomment "Scarface" pour la cicatrice qu'il porte au visage... et pour les liens avec le trafic de drogue qu'ils lui prêtent. Sources : |
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Le blanchiment et la mondialisation | ||
Le trafic mondial de cocaïne génère 300 milliards de dollars, mais seul 2,6% retourne en Colombie quand le reste (97,4%) s’est s’évanoui, après blanchiment. La réinjection de ces quelque 292 milliards de dollars dans l’économie légitime est, pour leur plus grande part, l’œuvre des grandes banques occidentales. Robert Mazur, agent fédéral américain infiltré pendant 5 ans au sein des cartels pour découvrir leurs réseaux de blanchiments d'argent sale, raconte son enquête dans son livre "The Infiltrator". L’opération C-Chase mena à l’arrestation de plusieurs banquiers et déclencha la chute de la BCCI. Dans tribune publiée par le New York Times, il constate amèrement que depuis 2006, plus d’une dizaine de banques (ING, American Express, Wachovia, Union Bank of California, Lloyds, Crédit Suisse, ABN Amro, Barclays, Standard Chartered, HSBC) ont été poursuivies mais sont parvenues à des accords avec le département de la Justice. Toutes ont reconnu avoir enfreint la loi ; toutes n’ont eu qu’à payer qu'une amende. La justice américaine s’intéresse aussi aux monnaies virtuelles qui ont fait leur apparition sur le Net. La plate-forme Liberty Reserve, basée au Costa Rica, qui aurait procédé à 55 millions de transactions et accusée d'avoir blanchi quelque 6 milliards de dollars en l'espace de sept ans et a été fermée. Il suffisait, pour ouvrir un compte, de donner un nom, une adresse et une date de naissance, que la « banque virtuelle » ne cherchait pas à vérifier. "La prolifération du crime organisé est bien plus que la part d’ombre ou la face noire de la mondialisation : elle en est l’un des moteurs inavoués" observe Jean-François Gayraud, commissaire divisionnaire de la police nationale. "Il n’existe pas deux mondes, l’un constituant la face cachée et inversée de l’autre, mais un seul et même monde dont les composantes sont intrinsèquement enchevêtrées et solidaires" prévient Fabrizio Maccaglia, maître de conférences à l’université de Tours. "La progression du crime organisé renvoie toujours à un vide d’État" constate encore J-F Gayraud, et ce vide s’accroît avec les politiques de dérégulation. |
Ed Vulliamy, reporter pour The Guardian et auteur d'Amexica, fait le lien entre le développement des Cartels au Mexique et la signature en 1994 de l'Alena (l'Accord de libre-échange nord-américain) qui, en supprimant les droits de douane et le contrôle des marchandises, se révéla "une couverture parfaite, un vrai cadeau, pour les cartels. Leur trafic se démultiplia du jour au lendemain, même si tout avait en fait déjà commencé trente ans plus tôt avec les maquiladoras (entreprises frontalières US)." Pour les petits réseaux, on constate aussi une sophistication croissante des procédés. Pour éviter la saisie de leurs biens, les dealers cherchent des couvertures. Des sociétés de leasing de voitures de luxe ont été créées. "En y ayant recours, explique un enquêteur de la PJ, les voyous cherchent surtout à éviter une saisie, car officiellement c'est le loueur qui est propriétaire". Un officier de police ajoute: "Bien entendu, le loueur dira qu'il n'a pas vocation à enquêter sur l'argent de sa clientèle". Le client, quant à lui, devra se débrouiller pour ne pas enfreindre la règle des 3000€ maximum par versement en liquide. Le dealer peut également passer contrat avec la société de leasing par l'intermédiaire d'une personne morale, un magasin de taxiphone ou une fantomatique société d'import-export, qu'il contrôle via des prête-noms. Sources : |
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Aviation, trafics et corruption | ||
A Punta Cana (République dominicaine), un Falcon 50 qui appartient à la SA Alain Afflelou, géré par une petite société de transport aérien, SN Trans Hélicoptère services, royalement dôté d’un capital social de 3000€, est intercepté plus ou moins par hasard par la DEA (Drug enforcement administration) qui suspectait l’existence d’un gang de passeurs au sein du personnel de l’aéroport dominicain. Les enquêteurs de la DEA y découvrent 682 kg de cocaïne répartie dans 28 valises. Le jet privé faisait régulièrement escale au petit aéroport La Môle-Saint-Tropez et s’apprêtait à décolé pour l’aéroport d’affaires de Toussus-le-Noble. La société d’Afflelon n’est pas mise en cause, mais le gestionnaire qui louait l’avion est dans le colimateurs de la justice. Deux "passagers" et les deux pilotes sont incarcérés en république dominicaine. Avec 1800 aérodromes secondaires et plates-formes pour ULM, la France dénombre annuellement 3 millions de mouvements aériens. La seule plate-forme du Bourget, la première d'Europe, devant Londres, compte en moyenne 50.000 mouvements par an, très peu contrôlés. Jet, avions privés, ULM (et même drones aux USA), deviennent des instruments du trafic de drogues (mais aussi d’autres trafics, notamment le transport de liquidités dans le cadre de l’évasion fiscale). Nacer Lalam qui a mené, avec David Weinberger, une enquête pour l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), explique que "plusieurs avantages incitent les trafiquants à utiliser les avions privés : premièrement, la possibilité de relier directement les zones de production aux zones de consommation permet d’éviter de rémunérer de nombreux intermédiaires. De plus, les contrôles douaniers et policiers de l’aviation privée sont bien moins fréquents que ceux opérés vers les vecteurs de transport terrestre et maritime. |
Enfin, la voie aérienne n’est pas soumise aux contraintes géographiques de la voie terrestre (passages obligés comme les massifs montagneux, par exemple) et bien plus difficile à intercepter que les moyens maritimes." Cette relative impunité n’exclus pas des complicités car voyager à deux avec 28 valises peut éveiller l’attention : un douanier a d’ailleurs été placé en garde à vue dans le cadre de l’affaire du Falcon d’Afflelou. Concernant la corruption, les quinze policiers de la BAC de Marseille, mis en examen début octobre 2012 sont sous contrôle judiciaire – les sept ayant été placés en détention provisoire ont été libérés fin décembre. Fin janvier, ces fonctionnaires ont été autorisés à reprendre leur travail, mais en uniforme et en dehors des Bouches-du-Rhône. L’enquête se porte sur l’encadrement qui avait été alerté dès 2009 mais qui n’a pas pris de mesures conséquentes et certains policiers sont soupçonnés d'avoir tiré sur des dealers qu'ils auraient rackettés, sur d'éventuels braquages commis le dimanche par des policiers, sur les conditions étranges dans lesquelles ont éclatés un règlement de comptes entre dealers des cités des Iris et des Flamands. 07.02.13. LeMonde. BAC Nord de Marseille : la justice vise la hiérarchie |
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Marseille dans la tourmente de la violence | ||
En 2012, il y a eu 24 morts par homicidesliés aux trafics dans les quartiers populaires de Marseille. Ces violences se déploient dans un contexte de précarité. Les trafics sont lucratifs. En mai un réseau à été démentelé : il fonctionnait sept jours sur sept et 24 heures sur 24 et 1,340 million d'€ ont été saisis, ainsi que de la drogue, des armes (pistolets automatiques, magnum, beretta ou glocks) et des voitures (deux grosses BMW et une Golf). Mais ces trafics ne sont pas lucratifs pour tous. Les réseaux mobilisent un grand nombre de "petites mains" : des "nourrices" pour stocker les produits, des "charbonneurs" pour les vendre au détail, des "guetteurs" et des "rabatteurs". Les nourrices sont souvent des personnes vulnérables, des mères isolées par exemple, parfois enrôlées sous la menace. Les petites mains sont souvent très jeunes. En 2008, près de 10% des trafiquants de cannabis interpellés en France avaient moins de 18 ans, un tiers avait moins de 21 ans. Les peines plus faibles qu’encourent les mineurs poussent les dealers à les placer aux avant-postes. Les "petites mains" gagnent peu, et l’inscription dans les réseaux vient surtout compenser un déficit de liens sociaux, de reconnaissance, d’appartenance, d’affiliation, une manière de s’inscrire dans des formes de solidarité ou de protection qui ne peuvent plus être dispensées par les institutions ou par le fait d’avoir une place dans une activité économique légale, qualifiante et correctement rétribuée… Cette réussite apparente, via les trafics, génère une culture mortifère : "Dans les cours d’école, observe un éducateur, les enfants de primaire jouent au marchand de drogue. Ils s’échangent des petits bâtons à la place des barrettes de shit. Pour eux, c’est un jeu." Un jeune qui interprétait le rôle d'un jeune dealer qui se fait assassiné dans un clip de rap, intitulé "Marseille la kalash Liga One", s'est fait effectivement assassiné. Les jeunes flambent ce qu’ils gagnent et s’endettent auprès des têtes de réseaux. Il en résulte des pressions sur les mauvais payeurs qui se retrouvent harcelés, menacés. Certains ont recours aux vols pour rembourser et pour d’autres ce sont les familles qui déboursent des sommes importantes, parfois plus de 2000€ pour éviter la descente en enfer. Les dettes, observe N. Lalam, génèrent la violence. Un fournisseur avance, par exemple, quelques kilos de produit, mais le vendeur dépense à mesure qu’il vend et une fois la marchandise écoulée, il ne peut pas rembourser. |
L’endettement peut aussi venir des "carottages" : celui qui se fait voler sa marchandise se retrouve lui aussi dans l’incapacité de rembourser le fournisseur, s’il n’a pas payé d’avance. Même chose lorsque le produit tombe entre les mains de la police (avec 61,2 tonnes, les saisies de cannabis ont augmenté de 6,1% en France en 2012 selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). Le fait que les petits gragnent peu, aiguise leur appétit et produit de la concurrence. Les jeunes veulent se mettre à leur compte, et l’émancipation les met en concurrence avec des trafiquants plus aguerris, qui leur rappellent très vite que dans le trafic de drogue, il n’y a pas de prud’hommes. Les différends se règlent de façon plus expéditive. La baisse du prix des produits (selon l’Ocrtis, la résine a perdu un quart de sa valeur depuis le milieu des années 90 et le prix du gramme d’herbe a été divisé par deux) aiguise encore la concurrence. Ces réseaux de revente imposent des règles et normes de gestion, voire de domination de l’espace public, dans les quartiers, souvent avec le recours à l’intimidation et bien sûr la violence. De plus en plus coercitifs dans leur pratique, les consignes qu’ils dispensent concernent aussi les pratiques ou l’espace privé (laisser les portes des appartements ouvertes en cas de repli face une intervention policière… ne pas garer son véhicule à proximité d’un lieu de revente pour en faciliter l’accès et la surveillance… pression pour camoufler des produits à domicile, des armes à feu et de l’argent…). Sources : |
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Marseille face à l’abandon social | ||
Le déficit d’intervention public (manque présence policière, absence de service public, coupe dans les budgets des associations, etc.) génère un sentiment d’abandon social. Les familles sont dépassées. Une mère qui s’est battue pour que son fils quitte les réseaux raconte ces difficultés : "Ils le menaçaient, le frappaient, lui disaient on va faire ça à ta sœur, on va faire ci à ton frère." Alors elle a déposé plusieurs plaintes, mais les policiers lui auraient dit que son affaire était classée parce que son fils avait "le cul merdeux ", qu’il était impliqué dans le trafic. Sa porte a été vandalisée, une balle a traversé une vitre du salon, des sacs-poubelles enflammés ont été jetés sur le balcon de sa cuisine. Un "collectif du 1er Juin", réunissant des habitants et des parents s’est constitué, pour dénoncer les violences et réclamer des réponses publiques qui articulent répression / prévention / éducation / soins / réduction des risques / aménagement urbain / accès à l’emploi / suivi de formation qualifiante. Les travailleurs sociaux partagent le désarroi des habitants. Certains tentent de s’investirent sur ces questions, mais se heurtent parfois à des institutions fuyantes pour qui ces "petites mains" relèvent de la police, de la justice, mais pas du travail social. "Tu n’as pas à fricoter avec les dealers, cela ne fait pas partie de ta mission. Si tu as des ennuis, ne viens pas te plaindre", s’est entendu répondre une animatrice de prévention. "A l’Institut régional du travail social, explique Claire Duport, sociologue qui accompagne un groupe de travail, on forme des éducateurs sur un cursus de trois ans. Mais pas une heure n’est consacrée au fonctionnement des réseaux qu’ils vont trouver sur leur route en sortant." Pierre Roche, sociologue au Cereq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications), qui a animé le groupe Questions de réseaux et publié "Prévenir l'implication des jeunes dans le trafic des drogues. L'intérêt des espaces interqualifiants" aide les travailleurs sociaux à y voir plus clair dans leurs dilemmes professionnels. |
Le désarroi n’est pas moins grand du côté de la justice. Dans une tribune, Christine Bartolomei magistrate honoraire, ancienne juge des enfants et présidente du Tribunal pour enfants de Marseille (de 2000 à 2010), écrit : "J’ai pu constater que les adolescents arrêtés pour ILS sont souvent les plus ingénus, relégués en bout de chaîne et sans responsabilités. En ce qui concerne les mineurs, les procédures pénales, qui représentent environ 5% de la totalité des poursuites, ne débouchent jamais sur le démantèlement de réseaux. Certes pour les majeurs, la situation est différente : grâce à un très gros investissement d’une police spécialisée, des procédures concernant des bandes organisées sont ouvertes chez les juges d’instruction qui débouchent sur des procès fleuves au cours desquels des dizaines d’années de prison sont prononcées. Mais tout ceci ne représente qu’une goutte d’eau par rapport à l’ampleur des trafics installés dans les cités et qui font vivre des familles entières touchées par la précarité. (...) Il me paraît évident que la justice a échoué dans la guerre contre la drogue malgré un arsenal pénal impressionnant qui remplit les prisons de dealers mais qui n’empêche pas les trafics de perdurer dans les banlieues et de devenir de plus en plus violents." Sources : |
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Les "petits blancs" dans les trafics | ||
Bernadette Lafont interprète le personnage de Paulette, tirée d’une histoire vraie, d’une retraitée qui devient "nourrice" pour arrondir ses fins de mois et éponger ses dettes. Les réseaux recherchent ces profils qui attirent moins l’attention des forces de l’ordre. Au Pérou, premier pays exportateur de cocaïne, il y a 700 Européens en prison - 90% pour trafic de stupéfiant. A Bali, de même, les Européens pour faire passer de la drogue sur l'île indonésienne de Bali et l’amènent dans les bars et boîtes de nuit balinaises. Un tribunal de Denpasar, capitale provinciale de l'île de Bali, a condamné à mort mardi Lindsay Sandiford, 56 ans, reconnue coupable d'avoir transporté dans le double fond de sa valise 4,79 kilos de cocaïne. |
Les Américains, de même, seraient de plus en plus tentés d'arrondir leurs fins de mois en revendant de petites quantités de drogue, souvent de la marijuana, achetée au Mexique. Sources : |
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La guerre au Mali et la cocaïne | ||
La question du trafic de cocaïne s’invite dans la guerre du Mali [Voir "Trafics et violence : conséquences géopolitiques" in Politique des drogues - Actualité 2012 - 2nd semestre]. Depuis les années 2000, les Cartels latino-américains ont créés des routes alternatives pour acheminer la cocaïne vers l’Europe et l’un de ces "itinéraire bis" consiste à débarquer la drogue dans un pays côtier du Golfe de Guinée (Sénagal, Guinée-Bissau, Gambie, Guinée Conacri) puis de faire remonter le produit vers le Maghreb, via le Mali ou la Mauritanie. La Guinée-Bisseau est particulièrement impliquée du fait de la corruption de ses dirigeants. Le 2 avril 2013, José Américo Bubo Na Tchuto, ancien chef d’état-major de la Marine bissau-guinéenne et ses associés, ont été piégés et arrêtés par des agents de la DEA. Cette voie terrestre reste toutefois secondaire, car d’après l’UNODC, sur 170 tonnes de cocaïne entrée en Europe en 2010, 18 tonnes seraient passées par l’Afrique de l’Ouest. L’essentiel passe par la voie maritime, car les contrôles sont difficiles à mettre en oeuvre dans les ports de commerce européens, car ils ralentiraient le commerce internationnal. Une petite quantité arrive via des passeurs qui utilisent des vols commerciaux. Les saisies au Mali ont été modestes (116 kg en provenance de Guinée, 49 kg en provenance du Burkina-Faso). Le lien direct entre AQMI et trafic de cocaïne est difficile à établir. Ils semblent qu’ils prélèvent une dîme, assure la protection des convoies et s’enrichissent par ce moyen. La mise en cause des djihadistes comme acteur du trafic a eu surtout pour fonction de contribuer à légitimer l’intervention française au Mali et l’intervention croissante des USA dans la région. |
Le problème est plutôt que des trafiquants du Nord du Mali (les "hommes du Tilemsi", du nom de la vallée d'où ils sont originaires) ont affaiblit l’Etat malien, d’une part, grâce à la corruption, d’autre part, en jouant la carte de la "confusion" en soutenant les djihadistes, le chaos étant profitables à leurs affaires. L’homme d’affaire et maire de Tarkint, Baba Ould Cheikh, est d’ailleurs poursuivi pour trafic de drogue. Un autre problème vient du fait que les populations africaines, notamment dans les grands centres urbains, deviennent également consommatrices de cocaïne. C’est le cas, en Afrique subsaharienne, mais aussi dans le maghreb, et tout particulièrement en Libye, où des milices se sont impliquées dans des trafics. Il n’existe qu’un seul centre de désintoxication en Libye, qui traite ses patients avec du Tramadol. Selon un rapport de l’École de médecine tropicale de Liverpool (Liverpool School of Tropical Medicine, LSTM) publié en avril et basé sur des données collectées à Tripoli avant le soulèvement, 87 pour cent des consommateurs de drogues injectables de la ville ont le VIH. Sources : |