SYNERGIE - Réseau Ville Hôpital

POLITIQUE DES DROGUES - ACTUALITÉ 2012 - 1er SEMESTRE
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L'actualité vue par la cyberpresse
par Emmanuel Meunier

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Aux Amériques : le débat sur les drogues et le trafic

L’Amérique latine, confrontée à l’explosion de la criminalité liée au trafic de drogue, joue un rôle très important dans la mise en débat des politiques prohibitionnistes, en particulier quatre anciens présidents, le Brésilien Fernando Henrique Cardoso, le Colombien César Gaviria et le Mexicain Ernesto Zedillo et le Chilien Ricardo Lagos font partie de la « Global Commission on Drug Policy » qui a publiée l’année dernière un rapport sur l’échec de la guerre à la drogue [Voir "Des appels de personnalités internationales pour en finir avec la guerre à la drogue" in Politique des drogues - Actualité 2011 - 1er semestre]. La « Global commission » présente, d’ailleurs, un nouveau rapport intitulé « La guerre mondiale contre la drogue accélère la pandémie du VIH/sida parmi les usagers de drogues et leurs partenaires sexuels » et affirme que « les études menées partout dans le monde montrent de façon constante que les politiques répressives de lutte contre la drogue empêchent l'accès des usagers de drogue aux services publics de santé et les maintiennent dans des milieux marginaux où le risque d'infection par le VIH est très élevé. »

Evo Morales, le président péruvien, a défendu, en mars, devant l'Onu, le « droit ancestral » à la consommation de feuilles de coca : « la feuille de coca n'est pas la cocaïne, nous devons en finir avec cette confusion [...]. C'est une tradition millénaire en Bolivie et nous espérons que vous comprendrez que les producteurs de feuilles de coca ne sont pas des trafiquants de drogue. » Otto Perez, président du Guatemala, a lancé, samedi 7 avril, dans le quotidien britannique "The Guardian" un appel à la dépénalisation des drogues comme « alternative » pour lutter contre la violence qui déferle sur l’Amérique centrale. Il prône un débat international pour aboutir à une légalisation contrôlée par les Etats. « Nous pensons que l’interdiction de certaines drogues pose plus de problèmes au sein de la société que la substance proprement dite », a déclaré de son côté Eleuterio Fernández Huidobro, ministre uruguayen de la Défense. L’Uruguay envisage une légalisation contrôlée du cannabis pour se concentrer sur « une guerre totale contre le trafic et la consommation de pâte de cocaïne, dont l’usage est parmi les plus faibles, mais dont les conséquences sont inadmissibles. »


Les USA prennent en compte les arguments de leurs partenaires. Barak Obama, après avoir réaffirmé qu’ « à titre personnel, et c'est (aussi) la position de mon administration, la dépénalisation n'est pas la solution », il a estimé que « discuter des lois en place pour déterminer si elles ne font pas davantage de mal que de bien dans certains endroits, c'est un programme valable ». L'Organisation des Etats américains (OEA) à été mandatée pour mener une enquête sur la question. D’autre part les USA ont annoncé une modification de leur propre politique des drogues qui « considère l'addiction aux drogues comme une maladie pouvant être traitée plutôt que comme un acte criminel. » L'administration compte ainsi désormais mettre un terme aux incarcérations massives de personnes consommant de la drogue et promouvoir au contraire une approche plus équilibrée entre santé et sécurité.

Au Canada, une étude réalisée par le British Columbia Center for Excellence in HIV/AIDS,  publiée mercredi dans la revue médicale Open Medicine, fait le constat du coût exorbitant de la répression et s’interroge sur une nouvelle loi, la C-10, qui enverra en prison des producteurs de cannabis dès leur première offense, et qui coûtera des dizaines de millions de dollars aux provinces canadiennes, qui devront construire de nouvelles prisons. L’étude affirme que la légalisation de la marijuana permettrait un contrôle de la distribution et permettrait de limiter la vente de stupéfiants chez les mineurs, de retirer ce marché lucratif des mains des bandes criminelles et de taxer le produit et aller ainsi chercher des millions de dollars.

Sources :
12.03.12. Nouvel Obs. Evo Morales défend à l'Onu la consommation de feuilles de coca
28.03.12. Cyberpresse.ca. Drogues: le Canada fait fausse route, selon une étude
08.04.12. Le Monde. Le président du Guatemala veut légaliser toutes les drogues
14.04.12. Le Figaro. Drogue: Obama pour un "débat"
17.04.12. RTL.be. Les Etats-Unis dévoilent une nouvelle approche dans la lutte anti-drogue
21.06.12. Courrier Internationnal. Cannabis : première mondiale en Uruguay
25.06.12. AFP. La lutte antidrogue aggrave la propagation du sida, accusent d'ex-dirigeants

Trafic : « hypocrisie » des Américains du nord et des occidentaux

La question est d’autant plus sensible que les Etats latino-américains, qui subissent la violence d’un trafic de drogues qui alimente les marchés états-uniens et européens, voient l’argent de la drogue profiter aux occidentaux [Voir "Mondialisation, drogue, blanchiment & finance internationale" in Politique des drogues - Actualité 2011 - 1er semestre]. Une étude de 2011 de l’université des Andes à Bogota, intitulée Políticas antidroga en Colombia: éxitos, fracasos y extravíos (Politiques antidrogue en Colombie: Succès, échecs et les mauvais virages) et reprise par le Guardian le 2 juin 2012, à montré qu’en 2008, que sur 300 milliards de dollars provenant de la production de cocaïne, seulement 7,8 milliards sont restés en Colombie. Ainsi, seulement 2,6% de tout l’argent généré par la production et le trafic de cocaïne reste en Colombie, alors que 97,4% des profits de la drogue sont partagés entre les narcotrafiquants et les banques européennes et états-uniennes. Cette étude met en évidence « l’hypocrisie » des occidentaux qui prônent la guerre à la drogue, mais qui « se limitent à chasser les petits poissons, ou les maillons faibles de la chaîne, mais ils ne s’en prennent jamais aux systèmes financiers. »

L’hypocrisie se situe aussi au niveau d’une guerre à la drogue qui tolère pourtant les « marijuana clinics », notamment californiennes. Rue89 publie quelques  « bonnes feuilles » de « Drogues store » d’Arnaud Aubron : « Depuis que la Californie a, en 1996, autorisé par référendum l’usage médical de marijuana, le système a largement été détourné pour aboutir à une dépénalisation de fait.


Il suffit aujourd’hui de rentrer dans l’un de ces « dispensaires » que l’on compte par centaines, de simuler sans grande conviction un mal de dos ou des migraines, pour se voir prescrire en quelques minutes de la marijuana, à retirer au guichet suivant. […] En Californie, la marijuana est ainsi devenue l’une des industries les plus florissantes. Dans certains comtés du nord de l’État, les plantations s’étalent à perte de vue et sont devenues la principale ressource agricole […].

Les cartels mexicains, qui ont réalisé qu’il était désormais moins dangereux – et donc moins coûteux – de planter de ce côté de la frontière que de tenter de la franchir avec la marchandise. » Les plantations de cannabis sous serres exigeant pas mal d’électricité, ce sont bien souvent les compagnies électricité qui les découvrent.  « Le plus important, c’est de bien payer l’électricité. La plupart des mecs qui font ça préfèrent bloquer le compteur pour limiter les coûts et ne pas se faire repérer mais, selon mon expérience, ce n’est pas la chose à faire. Aussi longtemps que tu paies les factures, tout se passe bien », témoigne un trafiquant. Avant d’ajouter : « Aussi longtemps que la loi ne changera pas, l’économie souterraine de cette médecine restera florissante et abondante. Les jobs réguliers sont rares dans cette vie… et celui qui a dit que l’argent ne poussait pas dans les arbres devait être un fou. »

Sources :
08.03.12. Rue 89. « Drogues store » : la Californie, paradis de la marijuana
08.06.12. Slate. Colombie: le trafic de drogues profite aux banques occidentales
Colombie: le trafic de drogues profite aux banques occidentales

Débats en Europe : Suisse, Pays-Bas et Espagne

Les pratiques disparates des cantons suisses ont conduit le Conseil des Etats a modifié un projet de la Chambre du peuple, en limitant à 100 Franc suisse le montant des amendes pour usage de cannabis.

A partir le 1er mai, dans le sud-est des Pays-Bas, les résidents néerlandais devront présenter une "wiet pass" (carte cannabis), réservée aux seuls résidents des Pays-Bas, pour entrer dans un coffee-shop. La mesure sera étendue à tous les magasins spécialisés du pays en 2013. Le but est de mettre fin aux nuisances du tourisme du cannabis. Les autorités néerlandaises pointent tout particulièrement les virées des touristes « français ». Pourtant, observe Christian Ben Lakhdar, Maître de conférences en économie à l'Université Catholique de Lille, le voyage aux Pays-Bas pour la « fumette » n'est pas répandu. « Le coût du transport est un frein et il y a suffisamment de cannabis en France pour ne pas avoir besoin de se déplacer. » Cette pratique attirerait plutôt les « connaisseurs », selon Laurent Plancke, sociologue : « Depuis 2006 on a vu apparaître en France des herbes 'coupées', enrichies par des agents chimiques. Cet épisode a marqué la fin du cannabis pur. Ceux qui se rendent aux Pays-Bas sont attirés par la garantie d'obtenir un cannabis de qualité. » La nouvelle loi transforme les coffee-shops en clubs privés comptant au maximum 2.000 membres titulaires de "wiet pass". Un tribunal a débouté les propriétaires de coffee-shops qui objectaitent que la loi induisait une discrimination à l'encontre des étrangers même lorsqu’aucune question d'ordre public n'était en jeu.


Les propriétaires de coffee-shops de Maastricht (sud), qui redoutent une baisse importante de leur chiffre d'affaires, ont prévenu qu'ils n'appliqueraient pas la mesure. Les municipalités de Tilburg, Breda et Maastricht ont également fait connaître leur opposition à la "wiet pass".

Un bourg catalan de 900 habitants, Rasquera, acculé par une dette de 1,3 million d'euros a fait parler de lui en proposant de consacrer des terrains à la culture de marijuana comme mesure anti-crise. La municipalité a vendu un terrain de sept hectares à une association de consommateurs de cannabis, l’ABCDA (Asociación Barcelonesa Cannábica de Autoconsumo), qui en fera une vaste plantation. En plus des produits de la vente, la municipalité recevra le produit de services qui seront fournit à l’ABCDA, par deux entreprises publiques créées pour l’occasion, l’une se consacrant à la recherche scientifique relative au cannabis et l’autre offrant des services de sécurité. Montant du contrat négocié par la mairie : 1,3 million d’euros, versés à partir du mois de juillet en 24 mensualités de 54.000 euros.

Sources :
02.03.12. La Tribune. Du cannabis pour sortir de la crise de la dette en Espagne
20.04.12. L'express. Les coffee-shops néerlandais ferment leurs portes aux étrangers
27.04.12. Nouvel Obs. Un tribunal de La Haye donne son feu vert à l'interdiction de vente aux étrangers dans les coffee-shops
04.06.12. Grea. SUISSE : Dépénalisation du cannabis : Le Conseil des Etats choisit le pragmatisme et favorise la prévention (Groupement Romand d'études des addictions) (PDF, 1p.)

France : la circulaire du 16 février 2012

Le débat politique autour de la question des drogues aura été pauvre. Pourtant, N. Sarkozy avait publié une circulaire qui pouvait faire débat. Alors que la répression de l’usage de drogue, en particulier du cannabis, est devenu un « contentieux de masse » [voir Politique des drogues - Actualité 2010], cette nouvelle circulaire en interdisant tout classement sans suite et toute mesure de rappel à la loi, ne pouvait qu’augmenter la probabilité de poursuite et de condamnation des usagers. La circulaire privilégie comme mesures d’alternative aux poursuites des stages de sensibilisation (au danger de l’usage de produits stupéfiants) payants (450 €) et des injonctions thérapeutiques. La circulaire donne aux Agence régionale de Santé le pouvoir de réquisitionner des médecins pour les mesures d’injonction thérapeutiques. 

Le Dr Philippe Batel, M. Jean Pierre Couteron, le Pr Michel Reynaud, le Dr William Lowenstein publièrent un communiqué émettant des doutes sur des stages de sensibilisation « auto – décrétés pédagogiquement efficaces, alors même que l’évaluation promise est encore attendue »


et regrette la réquisition de personnels soignants, qui annule « tout l’intérêt des pratiques de travail en commun santé/justice ».

Le Réseau Français de Réduction des Risques et le Syndicat de la Magistrature, dans un communiqué commun, dénonce une mesure dans la droite ligne de la « politique du chiffre » et constate qu’ « on punit pour faire peur, on fait peur pour punir, on punit sans discernement. Et on invite manu-militari les parquets à alimenter la glorieuse statistique d’un état-major vieillissant grâce à la « remontée semestrielle ». Mais la classe politique n’a pas réagit.

Sources :
24.02.12. Réductiondesrisques.fr. Réaction de quatre spécialistes des addictions sur le traitement judiciaire de l’usage de produit stupéfiant (Dr Philippe Batel, M. Jean Pierre Couteron, Pr Michel Reynaud, Dr William Lowenstein).
27.02.12. Réductiondesrisques.fr. Sanction des usagers de drogues illicites : la circulaire du 16 février 2012 va droit dans le mur !

A Gauche : quelques divergences vis-à-vis d’une ligne officielle prohibitionniste

Le consensus des candidats socialistes à la primaire socialiste pour ne pas changer de politique en matière de lutte contre la drogue [Voir "Débat en France : la question du cannabis durant la primaire socialiste" in Politique des drogues - Actualité 2011 - 2ème semestre] et ce malgré quelques positionnement d’élus en faveur d’une réflexion sur la « légalisation contrôlée » du cannabis [Voir "Le parti socialiste et la « légalisation contrôlée »" in Politique des drogues - Actualité 2011 - 1er semestre] n’a pas permis de vrai débat. Certes, François Rebsamen, le "Monsieur sécurité" du candidat PS François Hollande, a certes évoqué la possibilité de rendre la consommation de cannabis passible d'une simple amende et déploré que des usagers de drogues soient fichés au fichier des empruntes génétiques, mais François Hollande a immédiatement réaffirmé qu’il ne donnerait pas « le moindre signal de renoncement à une dissuasion par rapport à cette consommation de cannabis. » 


Certes, Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts et ministre du Logement, a créé quelques émotions en rappelant à la veille du 2e tour des législative que les Verts étaient pour la « légalisation » du cannabis en précisant que « l'objectif est double: il est de faire baisser le trafic, de supprimer le trafic et la violence notamment, et d'avoir une politique de santé publique. » Mais, la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem, a immédiatement rappelé : «nous connaissons tous la position du président de la République, qui est opposé à la dépénalisation du cannabis».  Il n’y a que dans le domaine de la réduction des risques que F. Hollande ait pris des engagements [Voir Réduction des risques – Actualité 2012 – 1er semestre].

Sources :
20.04.12. Le Monde. Hollande contre l'allègement de la pénalisation du cannabis
06.06.12. Le Parisien. Interdire, dépénaliser, médicaliser? Le cannabis divise la gauche

Une opinion publique hostile à une réforme de la loi de 70

Un sondage IFOP pour Atlantico, montre que les opposants à la dépénalisation n'ont jamais été aussi nombreux depuis 1996 (67 %). Le soutien à la dépénalisation - qui atteignait 34 % en février 2001 et 36 % en juin 2011 - est tombé à 30 % en juin 2012. Ceux qui sont opposés à la dépénalisation du cannabis sont 70 % en juin 2012 contre 63 % en juin 2011. La tranche d’âge des moins de 35 ans, favorables à 41 % à la dépénalisation du cannabis est en recul de dix points en un an (51 % en 2011). Une étude Harris Interactive menée en mars 2012 pour Grazia affirme que 68% des sondés sont opposés à une légalisation et 61% à une dépénalisation. Seul 36% des personnes interrogées en mars 2012 étaient favorables à une évolution de la loi concernant cette drogue douce. 


Un recul de trois points par rapport à juin 2011 selon Harris Interactive.  S’il y a un clivage gauche-droite sur cette question, l’idée d’une réforme n’est pas majoritaire à gauche. D’après le sondage IFOP, 52 % des personnes ayant voté pour Jean-Luc Melenchon sont favorables à la dépénalisation, 41 % des électeurs de François Hollande, 29 % des électeurs de François Bayrou, 18 % des soutiens de Nicolas Sarkozy et 17 % des électeurs de Marine Le Pen.

Sources :
08.06.12. Le Monde. Les Français de plus en plus opposés à la dépénalisation du cannabis
08.06.12. L'express. Dépénalisation du cannabis, la question qui coupe la France en deux

Les partisans de la prohibition argumentent

Même si le débat, en France, n’a pas lieu, le fait qu’il ait pris corps sur la scène internationale, oblige les partisans de la prohibition à répondre de manière argumentée aux questions soulevées par les partisans des réformes.

Bernard Leroy, avocat général près de la Cour d'Appel de Versailles et ancien responsable du Programme d'Assistance Juridique de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans une tribune du Monde, oppose-t-il à l’argument de l’échec de la « guerre à la drogue » : « Ce qu'omettent de dire les tenants de la légalisation [...] c'est que les expériences menées dans le monde, jusqu'à ce jour depuis les années 20, ont toutes échoué, sans aucune exception. » Echec pour échec, la réponse la plus souhaitable serait une « prohibition éclairée » qui pourrait être institutionnalisée en France « en adoptant maintenant la contraventionnalisation de l'usage (sanction par simple amende) » qui écarterait la possibilité d’incarcérer des usagers de drogues. La loi en maintenant l’interdit assurerait son rôle, à savoir « de garder la majorité des citoyens à distance de la drogue et en réalité, elle y parvient. » « Ouvrir les vannes [de la consommation] en légalisant conduirait vers des niveaux problématiques d'usage, alors que pour l'instant environ 3% seulement de la population mondiale recourt aux substances illicites. »

Bernard Leroy reproche ensuite aux partisans de la légalisation de promouvoir un projet abstrait dont on voit mal « les mécanismes précis qu'ils mettraient en place », flou dommageable car « le diable se cache dans les détails ». Si on légalise un cannabis à faible teneur en THC, le marché illicite « sera bientôt inondé par un cannabis de type "skunk" ou "nederwiet" à haute teneur comme cela s'est passé aux Pays-Bas, et qui se rapproche des "drogues dites dures" ». Si la vente aux mineurs est interdite, « quelle crédibilité aura un système de légalisation qui, en maintenant la prohibition pour ces derniers, décuplera - ipso facto - le trafic illicite ? » De plus, la légalisation dans un seul pays créerait des problèmes aux pays voisins : « comment les anti-prohibitionnistes empêcheront-ils un crime organisé - de plus en plus transnational -  de décupler sa richesse et son pouvoir en se ruant pour s'approvisionner sur ce nouveau marché licite aux prix avantageux des Etats qui auront légalisé, afin de fournir, à partir de là - au prix fort du marché illicite ? »


Le Pr Jean Costentin, pharmacologue, neurobiologiste, membre titulaire des Académies nationales de Médecine et de Pharmacie et président du Centre National de Prévention d'Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies publie « Pourquoi il ne faut pas dépénaliser l'usage du cannabis. » Ce livre reprend l’ensemble des arguments sanitaires en défaveur du cannabis, argument faible face à l’argument que l’alcool et le tabac font infiniment plus de ravage sans être interdit. Mais, la légalisation du cannabis ne pouvant manquer, selon l'auteur, d'accroître sa consommation, la faisant tendre alors vers les chiffres de l'alcoolisme (3 millions d'alcoolo-dépendants) et pire, du tabagisme (13 millions de nicotino-dépendants), le cannabis deviendrait le troisième fléau. « Ce n'est pas quand tout brûle qu'il faut se débarrasser des extincteurs (la loi), même s'ils s'avèrent insuffisants. »

Les Académies de médecine et de pharmacie s’inscrivent dans le même registre d’arguments et tire argument du fait que «le combat contre le tabac est loin d'être gagné», pour ne pas «ajouter la toxicité du cannabis avec 8 fois plus de goudrons cancérigènes» et peut créer une «addiction plus dangereuse puisqu’elle abolit la volonté et annihile tout effort personnel de désintoxication. » Et dans l’édition du mois de mars de La Lettre de l’Académie nationale de pharmacie, le Pr Paul Lafargue récuse la légalisation, car  « ce n’est pas cette libéralisation qui arrêtera le commerce illicite et la délinquance. Le trafic de tabac, pourtant en vente libre, se chiffre en dizaines de tonnes… »

Sources :
13.04.12. Elserevue. Faut-il dépénaliser le cannabis?
24.02.12. Santé Log. Livre : "THC: Pourquoi il ne faut pas dépénaliser l'usage du cannabis" (Pr Jean Costentin, pharmacologue, neurobiologiste)
19.04.12. Le Monde. La légalisation des drogues : une illusion (Point de vue de Bernard Leroy, avocat général près de la Cour d'Appel de Versailles, responsable de 1990 à 2010 du Programme d'Assistance Juridique de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime ONUDC)
13.06.12. Libération. L'Académie de médecine se dresse contre la dépénalisation du cannabis

Les partisans de la légalisation contre-argumentent (1) : la loi protège-t-elle vraiment ?

La FFA (Fédération Française d'Addictologie) apporte une réponse à l’un des arguments des prohibitionnistes : « pour les auteurs le lien entre dépénalisation et augmentation de consommation (et donc de complications) va de soi sans que ce lien, seulement suggéré, ne soit étayé par des données scientifiques solides ; Car le problème est que les données disponibles ne vont pas dans ce sens. Nous donnerons comme seul exemple l’étude publiée dans le rapport 2011 de l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies » qui affirme qu’ « aucune corrélation simple ne peut être observée entre les changements législatifs et la prévalence de la consommation de cannabis. Sauf au Royaume-Uni où la diminution des sanctions est concomitante d’une baisse de la consommation de cannabis, dans les autres pays les changements législatifs n’ont pas modifié de manière significative les tendances de fond tant il est vrai que bien d’autres déterminants influencent cette question sociétale complexe. »

Une étude américaine l’Institute réalisée par des économistes de 3 universités, (Colorado, Orégon et Montana) pour le Study of Labor (IZA) va dans le même sens. Il s’agissait de savoir si la légalisation du cannabis thérapeutique dans plusieurs Etats des USA avait pour conséquence de favoriser l’usage des adolescents. L’analyse des données, de 1993 à 2009, portant sur la consommation de 46.700 étudiants venant de 400 établissements secondaires, n'a trouvé aucune preuve d’association entre la légalisation de l’usage médical du cannabis et un développement de son usage récréatif chez des étudiants du secondaire. « En fait, les données montrent plutôt une association négative entre la légalisation et l'usage de marijuana », déclarent les chercheurs.

L’autre postulat des prohibitionnistes est que l’interdit pénal, par son existence même, entraîne une diminution des problèmes liés à ces produits. La loi serait une condition nécessaire et, au final, sans doute suffisante, pour modifier les comportements individuels.

Etienne Apaire, le président de la Mildt, dans une lettre d'information de janvier avait, sur la base des premiers résultats de l’enquête ESCAPAD 2010 qui porte sur les jeunes de 17 ans, clamé que l'objectif de faire baisser "le nombre des entrées en consommation" avait "été atteint". Un satisfecit réitéré en mai, dans son éditorial d'adieu. Mais, les chiffres d’ESCAPAD évoquent plus une stabilisation qu’une baisse significative.


Plus problématique sont les chiffres publiés par l’enquête ESPAD (Health Behaviour in school-aged children) qui porte sur les jeunes de la CM2 à la 3e et qui compare les pays entre eux. Pour le cannabis, la France reprend la première place du classement européen et retrouve ses niveaux de consommation du début des années 2000. La France qui possède l’une des législations les plus répressives d’Europe ne protègerait donc pas aussi bien sa jeunesse que les pays « laxistes » ?

Bons princes, le psychiatre Alain Morel et le psychologue Jean-Pierre Couteron (auteurs de : « Drogues : faut-il interdire ? ») nous assurent qu’ « il serait malhonnête d’attribuer entièrement les mauvais chiffres de consommation à cette politique, [car] des éléments structurels y ont une part importante. Il est ainsi urgent de prendre en compte l’environnement addictogène [...]. Nul ne peut imaginer que dépénaliser représente la seule solution [...]. Mais nul ne peut accepter que l’interdit, sans autre précision, soit brandi comme seule réponse à l’hypersollicitation consommatoire de notre société. Une politique du XXIe siècle doit être globale et agir sur au moins quatre domaines. Elle doit d’abord contenir cet environnement addictogène en posant règles, interdits et limites, en prévoyant des sanctions, y compris pénales. Mais sans craindre de remettre en cause une pénalisation de l’usage simple qui ne sert à rien et coûte cher. » Les moyens seraient mieux affectés à l’éducation préventive, au soutien à la parentalité, aux actions qui permettent d’aller au-devant des usagers, à l’intervention précoce dans le milieu scolaire.

Sources :
11.04.12. addictologie.org. Communiqué de presse de la FFA (Fédération Française d'Addictologie) : Réponse au texte "Dépénaliser le cannabis aurait de graves conséquences sur la santé" de l’Académie Nationale de Médecine (PDF, 3p.)
31.05.12. Le Monde. Drogues : l'échec des politiques répressives chez les jeunes (appuyé entre autres sur l'Enquête European school survey project on alcohol and other drugs (Espad))
07.06.12. Libération. Face aux drogues, tirer les leçons de l’échec (Alain Morel, Psychiatre, directeur général de l’association Oppelia, Jean-Pierre Couteron, Psychologue, président de la fédération Addiction)
18.06.12. Santé Log. USA - Cannabis : Son usage médical sans impact sur son usage récréatif (Institute for the Study of Labor)

Les partisans de la légalisation contre-argumentent (2) : conséquences d’une légalisation

Un autre argument des prohibitionnistes est que la légalisation n’éliminerait pas le trafic. C’est sans doute vrai. Néanmoins, dans la mesure où l’Etat, à travers des taxes, et des agents économiques légaux auraient des intérêts à défendre, la volonté de lutter contre le trafic se trouverait renforcée. En 2005, l’économiste de Harvard Jeffrey Miron estimait que légaliser la marijuana aux Etats-Unis permettrait d’économiser 7,7 milliards de dollars par an (environ 6 milliards d’euros), soit l’argent dépensé pour la répression. S’y ajoutaient 2 à 6 milliards provenant de la taxation du cannabis vendu légalement. Qu’en serait-il en France ? L’économiste Pierre Kopp estimait l’an dernier qu’elle dégagerait un milliard d’euros par an [Voir "La légalisation, comment ça marcherait ?" in Politique des drogues - Actualité 2011 - 2ème semestre]. Pour l’économiste Christian ben Lakhdar, maître de conférence en économie à l’université catholique de Lille, l’Etat capitaliserait 420 millions € d’économie du seul fait qu’il y a 140.000 interpellations pour usage de cannabis et que le coût de chacune est de 3.000 €. Pour ce que cela pourrait rapporter dans les caisses de l’Etat « cela dépend avant tout des taxes qu’on appliquerait sur la production et la vente. Pour l’instant, la répression agit elle-même comme une taxe : quand les dealers commercialisent un gramme à 7 euros, ils incorporent dans le prix une «prime de risque». Si ce risque n’existe plus, le prix va mécaniquement baisser. Mais si on légalise, on impose des taxes : rappelons que le tabac est taxé à 80%. Donc, il est possible que les prix augmentent en cas de légalisation. Cela pourrait entraîner une baisse de la consommation, effet paradoxal. Voyez les coffee-shops aux Pays-Bas : les prix au gramme y sont élevés, et la consommation dans le pays est plus faible qu’en France. » Dès lors, du fait des taxes et des cotisations sociales des travailleurs impliqués dans la production et la distribution du cannabis, il est peu vraisemblable que la légalisation dans un seul pays induise une exportation massive de cannabis vers des pays limitrophes qui auraient conservé une politique prohibitionniste. 


Enfin, en 2005, le chiffre d’affaires de la vente [de cannabis au détail] est estimé à 832 millions d’euros annuels. S’il devient légal, et si le prix reste le même, cette somme sera reversée dans l’économie légale, et davantage en fonction des taxes.

Autre argument des prohibitionnistes, sans doute le plus fort : on ne voit pas comment la légalisation marcherait concrètement. La seule proposition concrète formulée dans le débat politique est celle de Jean-Michel Baylet, candidat lors de la primaire socialiste, qui suggérait d'autoriser la vente du cannabis dans les officines de pharmacie. « Si vous me proposez de peser et de vendre des barrettes de cannabis en pharmacie, je ne serai pas d'accord », prévient d'emblée Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Mais « si le cannabis obtenait le statut de médicament et était prescrit, sur ordonnance, à des fins thérapeutiques, nous n'aurions pas de raison de refuser de le délivrer. […] Nous délivrons déjà, sur ordonnance, des substituts de synthèse à l'héroïne. Nous distribuons par ailleurs, gratuitement, des seringues aux toxicomanes pour leur éviter de se contaminer par des virus comme le VIH. […] Si, en raison de réticences personnelles, nous refusions de le faire, nous serions contre-productifs d'un point de vue sociétal. » Reste que la délivrance dans le cadre de l’usage thérapeutique ne pourrait concerner que des « patients » et non les « clients » et que les vertus thérapeutiques du cannabis restent faiblement documentée [Voir Cannabis – Actualité 2012 – 1er semestre].   

Sources :
06.06.12. Libération. Cannabis : «En légalisant, 832 millions seraient reversés dans l’économie légale» (Interview de Christian ben Lakhdar, maître de conférence en économie à l’université catholique de Lille)
08.06.12. Santé Log. Cannabis vendu en pharmacie : «Ce serait une aberration»

L’usager de cannabis et la répression du trafic

Moréas note sur son blog qu’en 2010, avec plus de 120 000 interpellations (soit 1 interpellation sur 4, hors infraction routière) ont peut estimer que « l’activité judiciaire d’un commissariat de la banlieue parisienne est consacrée à plus de 40 % à la lutte contre l’usage et le trafic de drogue. Et je suppose que dans les tribunaux, les parquetiers croulent sous les dossiers stups. » Quel est le sens d’un tel investissement ? Le fait que l’usage de cannabis soit un délit « permet d’arrêter et de ficher un maximum de gens, et notamment des jeunes. « C’est le vivier de la délinquance de demain » m’a dit un commissaire. Cela peut paraître cynique, mais c’est le principe même d’un fichier : plus il contient de noms (auteurs, suspects, victimes, plaignants…), plus il est efficace. » D’autre part, « grâce à cette législation très dure, il est possible de faire pression sur [le consommateur de cannabis], voire de négocier », et ainsi obtenir des renseignements utiles pour des enquêtes. En somme, la connaissance de la population délinquante et des pratiques délinquantes passerait par la surveillance de la population des usagers de cannabis.


La limite du raisonnement, c’est que le fichier ne recensera que des usagers de cannabis devenu dealers et que les consommateurs de cannabis ne sont qu’en contact avec les « petites mains » du trafic. A un niveau supérieur, les agents du trafic n’ont pas l’allure typique du jeune fumeur de pétards, mais plutôt celle d’une personne « au dessus de tout soupçons. » Or des gens « au-dessus de tout soupçons » il y en a partout. L’arrestation du « grand flic » Michel Neyret qui entretenait des relations avec le milieu lyonnais ou l’arrestation de sept douaniers « exemplaires » de l'aéroport de Roissy qui, depuis vingt ans, récupéraient discrètement de l'argent liquide de trafiquants de drogues qui arrivait par valise, qu’ils plaçaient ensuite sur des comptes bancaires en Andorre, témoigne du caractère très limitatif d’enquêtes qui ne s’appuieraient que sur du fichage ou sur des témoignages d’usagers de cannabis.

Source :
07.06.12. Moreas.blog.le Monde. Pétarades autour du cannabis: Qu’en pense la police ?
23.06.12. Le Huffingtonpost/AFP. Des douaniers arrêtés pour vol auprès de...trafiquants de drogue

Le trafic de drogue encore plus problématique que l’usage de drogue ?

En Suisse, des acteurs du soin s’alarment de la montée de la violence liée au trafic, qui pourrait exaspérer la population et remettre en cause les acquis des politiques de soin et de prévention. « L’impact sur la sécurité est réel !, écrit Première Ligne. Comme le montrent les nombreuses études consacrées à ce sujet, la criminalité liée à la consommation a fortement chuté (cambriolage, vols à la tire, etc.). Par contre, la présence quotidienne des dealers et l’accroissement des réseaux mafieux a augmenté le sentiment d’insécurité. […] En augmentant la répression sur le « cannabis », nous avons provoqué une fusion de ce marché avec celui des autres produits. Par la même, nous avons augmenté la présence et la visibilité des groupes criminels organisés et donc augmenté les nuisances des réseaux violents. Or, la visibilité est un élément tout à fait déterminant dans la mise à l’agenda politique d’un problème. » Les acquis du soin et de la prévention sont précieux, mais, note Première ligne, « savoir que l’OMS vante aujourd’hui les programmes suisses de prescription d’héroïne est une bien maigre consolation pour une population confrontée tous les jours aux nuisances du trafic. »

Le trafic exerce une séduction très forte, puis une emprise, sur des jeunes, souvent en échec scolaire [Voir Politique des drogues - Actualité 2011 - 2ème semestre]. L’avenir de certains jeunes semble bien plus compromis par le trafic que l’usage de cannabis. Ainsi Mounir, rencontré par Libération, qui sorti précocement de l’école, consomme du cannabis, puis deale pour financer sa consommation, puis se prends à la logique du trafic : « Tu gagnes plein de fric. Tu perds les repères. Tu t’achètes n’importe quoi. Tout ce que tu veux, tu l’as et en même temps tu fais rien. » Pendant six ans, il a eu «la cage d’escalier comme seul horizon ».« Tu t’arrêtes jamais, parce que tu peux pas. Si tu t’arrêtes, tu perds trop de fric. » Il se souvient d’avoir fait souvent des midi-minuit sans quitter son point. «Jamais lâcher le terrain. ». En six ans, il n’est jamais allé au ciné, n’a pas eu de vraie copine. «En fait, t’as plus de relations humaines, c’est ça le pire. T’es brouillé avec ta famille. Tu parles à personne, à part tes potes avec qui tu vends. Travailler, t’y songes pas une seconde. Se lever pour quoi ? Pour gagner 1 000 euros ? C’est loin tout ça. Surtout quand t’as jamais travaillé. » Souvent, Mounir ne rentre pas chez lui. Il finit chez ses copains à boire et à fumer jusqu’au petit matin. « J’ai même dormi plusieurs fois dans la cage d’escalier. Ou dans une bagnole.» Durant ces années, seule sa relation avec sa mère le ronge. « J’avais honte. Petit à petit, tout ça devient insupportable. Tu te sens mal. En même temps, tu penses pas à arrêter. Jamais. »


A Marseille, la municipalité a tenté de réagir dès le début des années 2000. « Notre choix a été d'engager une politique non pas de répression, mais de soutien aux professionnels de première ligne », explique Mylène Frappas, responsable de la mission «sida toxicomanies et prévention des conduites à risques» de la ville. Les intervenants de terrain rapportaient un sentiment d'épuisement face à des jeunes irrésistiblement attirés par l'argent du deal. La ville a alors constitué un groupe de travail, afin de mieux comprendre ces trafics, et d'aider les professionnels à agir. Claire Duport, l’une des sociologues qui intervient auprès des professionnels marseillais, a décrit, lors d’un colloque « métropolitain Paris-Seine-Saint-Denis. Drogues, conduites à risques : quelles politiques, quelle prévention ? », comment le fait de considérer « qu’un enfant en prise avec les trafics de drogue, avant d’être un délinquant, est un enfant en danger » a permit de réduire le sentiment d’impuissance des professionnels. Des partenariats ont été mis en place avec la justice pour mettre en place un dispositif d’accompagnement des jeunes qui voulaient sortir du trafic. « Nous avons échangé avec la juge des enfants de l’époque, Sylvie Mottes, avec les services de prévention et les services de la protection des mineurs sur le signalement. Signaler une situation de trafic, c’est aussi éventuellement se mettre en danger, se faire repérer comme celui qui a signalé et donc se fermer toutes les portes. […] Nous avons travaillé un dispositif appelé "l’information préoccupante", qui se passe avant tout signalement. Nous nous sommes adossés sur cette procédure pour construire cet outil d’accompagnement, rassemblant autour de la table un certain nombre d’acteurs, le protecteur éventuel [une personne de la Cité assez influente pour dissuader les dealers de retenir le jeune dans les trafics], la famille, la personne concernée […], et le logeur, sachant que dans certaines conditions, une des conditions de sortie du réseau, c’est de déménager. »

Sources :
Novembre 2011. Actes du Colloque métropolitain Paris-Seine-Saint-Denis. Drogues, conduites à risques : quelles politiques, quelle prévention ?
Janvier 2012. Première Ligne. N°16 - Journal gratuit d’information et d’échange de l’association genevoise de réduction des risques liés aux drogues (PDF, 4 pages)
31.03.12. Libération. «La cage d’escalier comme seul horizon»
08.06.12. Gazette santé social. Des élus locaux pragmatiques face aux addictions

Dépister les consommations dans le monde du travail

Etienne Apaire, président de la MILDT, en avait fait l’un de ses cheval de bataille [Des tests de dépistage sur le lieu de travail in Politique des drogues - Actualité 2011 - 1er semestre]. L’INPES a fait paraître son premier « baromètre » sur les usages de substances psychoactives dans le monde du travail. Les consommations d’alcool, qu’il s’agisse de l’usage quotidien ou des consommations ponctuelles importantes, sont  particulièrement fréquentes dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche (16,6 % d’usage quotidien contre 7,7 % parmi l’ensemble des actifs âgés de 16 à 64 ans) et de la construction (13,4 % d’usage quotidien). Ces secteurs sont également particulièrement touchés par les consommations ponctuelles importantes mensuelles (30,7 % dans le secteur de l’agriculture et de la pêche et 32,7 % dans le secteur de la construction contre 19,2 % parmi l’ensemble des actifs), ainsi que les secteurs de l’industrie (26,2 %), l’hébergement et la restauration (26,9 %). Des facteurs liés à la culture populaire et à la masculinité du personnel éclairent partiellement ces écarts.
La consommation actuelle de cannabis (usage au cours de l’année) s’avère plus fréquente dans la construction (13 % de consommateurs dans l’année contre 6,9 % parmi l’ensemble des actifs), l’hébergement et la restauration (12,9 %), mais de manière encore plus prononcée dans les arts et spectacles (16,6 % de consommateurs dans l’année). Des facteurs générationnels dans des professions où l’on retrouve plus de jeunes éclairent partiellement ce type d’usage.
Pour ce qui est de l’expérimentation d’autres drogues illicites (cocaïne, ecstasy, poppers, champignons hallucinogènes), le milieu de la construction apparaît plus souvent expérimentateur de cocaïne et de champignons hallucinogènes, tandis que les milieux de la restauration, de l’information/communication, et des arts et spectacles sont particulièrement consommateurs de toutes ces autres drogues (cocaïne, ecstasy, poppers, champignons hallucinogènes).
A l’inverse, quatre secteurs d’activités ont des consommations significativement plus faibles que le reste des actifs : l’administration publique, l’enseignement, le milieu de la santé humaine et de l’action sociale, et les activités de services des ménages.

D’autres observations de terrains font état de forte consommation de médicaments opiacées dans les milieux ouvriers précaire, recruté en intérim ou en sous-traitance, en particulier chez les caristes. Or c’est la première profession en termes d’accidents mortels au travail. Une étude réalisée en 2004 auprès de 1000 chauffeurs routiers a montré que l’alcool (fortement réprimée) n’arrivait plus qu’en troisième position (avec 5% de chauffeurs concernés) largement devancé par le cannabis (8,5%) et les opiacées (6,4%).


On constate aussi la présence de produits « dopants » comme la DHEA, la créatine, la méthamphétamine, mais aussi la prise massive de produits licites comme le Guronsan ou la caféine.

D’après la Mildt, « près de 15 % à 20 % des accidents professionnels, d'absentéisme et de conflits interpersonnels au travail seraient liés à l'usage d'alcool, de psychotropes ou de stupéfiants. » Ce qui justifierait une politique de promotion du dépistage dans le monde du travail. L’employeur – dont la responsabilité (civile, voire pénale) peut être engagée en cas de dommages liés à une consommation peut exercer des mesures de contrôle grâce à des tests salivaires :

- dans le respect des droits des salariés, de leur dignité humaine, de leur vie privée …

- dans le cadre des grands principes de « justification », de « proportionnalité », ainsi que par le principe de « transparence ».

Et à condition que :

- Le dispositif de dépistage doit être défini dans le règlement intérieur ;

- Les circonstances et les postes de travail doivent y être ciblés ;

- Le salarié a le droit de se faire assister d’un tiers,

- L’agent qui procède au dépistage salivaire doit avoir reçu la formation théorique et pratique adéquate ;

- L’obligation d’une contre-expertise systématique et nécessairement biologique.

Sources :
Janvier 2012. travailler-mieux.gouv. Repères pour une politique de prévention des risques liés à la consommation de drogues en milieu professionnel (La Documentation Française, Mildt, DGT,INRS) (PDF, 71p.)
16.01.12. Inpes. Des substances psychoactives plus consommées dans certains secteurs de travail
13.04.12. Le Monde. Comment l'employeur pourrait pister la consommation de drogue de ses salariés
23.05.12. Elserevue. D’une addiction à l’autre. Addictions et entreprise (Bernard Fontaine, médecin du travail à l’AMEST et fondateur avec Paul Frimat du Groupe Régional Santé Travail 59-62 addiction et entreprise)
07.06.12. ISTNF. Addictions et travail : aspects juridiques (Sophie Fantoni-Quinton, Praticien
hospitalier, Docteur en droit, CHRU Lille) (32e Congrès national de médecine et santé au travail) (PDF, 6p.)

Pathologie addictive ou pathologie du monde du travail ?

Le problème est que nombre de travailleur consomment pour pouvoir travailler, pour répondre à des exigences de performance, notamment. « Les dopés du quotidien », selon l'expression de Michel Hautefeuille, psychiatre à l'hôpital Marmottan. Le Dr Alcaix confirme : « Le salarié se dope pour améliorer ses capacité puis il a besoin de sa dose le week-end et il reste dans l'addiction. » Ainsi, a-t-il rencontré dans son cabinet des cadres qui boivent avant une réunion « par peur de s'exprimer » ou des salariés qui fument du cannabis pour « oublier la peur ». Pour le Dr Hautefeuille, les causes de cette consommation sont d'abord manageuriales : « la pression gigantesque sur les salariés, l'anonymat de plus en plus important et la tension rajoutée par l'open space qui est redoutable et qui fait que tout le monde est épié en permanence. »
Le travail est lui-même « addictif » dans certains contextes. Des chercheurs norvégiens et britanniques viennent de mettre au point un nouvel outil d’évaluation de la dépendance au travail « The Bergen Work Addiction Scale », avec 7 critères essentiels de l’addiction : La saillance (ou préoccupation constante), la modification de l’humeur (agitation ou irritabilité en cas d'impossibilité), la tolérance (besoin d'augmenter l'intensité ou la fréquence), le retrait (dans d’autres activités), les conflits, les rechutes et la poursuite du comportement malgré les problèmes. Ces 7 critères sont pondérés en fonction de leur importance ou fréquence (1 : Jamais, 2 : Rarement, 3 : Parfois, 4 : Souvent, 5 : Toujours)
- Vous réfléchissez à la manière dont vous pourriez libérer plus de temps pour travailler,
- Vous passez beaucoup plus de temps à travailler que prévu initialement,
- Vous travaillez dans le but de réduire un sentiment de culpabilité, d'anxiété, d'impuissance ou de dépression,


- D’autres personnes vous conseillent de réduire votre temps de travail mais vous ne les écoutez pas,

- Vous devenez stressé si vous êtes dans l’impossibilité de travailler,

- Vous faites passer après votre travail, vos hobbies, loisirs, ou activité physique,

- Vous travaillez tellement que cela a une influence négative sur votre santé.

L’étude montre qu’une notation « 4 » ou « 5 » pour « souvent » ou « toujours » sur au moins 4 des 7 items que vous êtes « workaholic ».

Dès lors le dépistage généralisé en entreprise « pose des questions éthiques pas simples », comme le fait observer un médecin du travail : « cela n'est pas d'une grande utilité si ce n'est de faire peur et faire perdre confiance : il vaut mieux en parler. » Pour Astrid Fontaine, socciologue, c'est l'enjeu économique qui motive une telle volonté de dépister, « le lobby pharmaceutique produit et cherche à vendre des tests de dépistage en entreprise, c'est un marché énorme. » Face à « un marché américain saturé », l'industrie pharmaceutique s'intéresserait à l'Europe. « D'autant plus qu'en parallèle, les laboratoires produisent aussi les produits qui permettent de falsifier les tests, ce qui représente un marché. »

Sources :
13.04.12. Le Monde. La drogue au travail : les dopés du quotidien
13.04.12. Le Monde. Comment l'employeur pourrait pister la consommation de drogue de ses salariés
24.04.12. Santé Log. Addiction au Travail : Etes-vous workaholic ? Une nouvelle échelle d’évaluation (Scandinavian Journal of Psychology)