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Méthadone,
Alcool, Alcoologie

L'IMPACT DE LA MÉTHADONE SUR LA CONSOMMATION D'ALCOOL
The effect of methadone maintenance treatment
on alcohol consumption: A systematic review
Anita SRIVASTAVA et al. Center for Addiction and Mental Health,
University of Toronto, Canada.
Journal of Substance Abuse Treatment, 2007

Le Flyer N°31, Janvier 2008
 
Introduction
La méthadone est le traitement de substitution le plus fréquemment prescrit dans le traitement de la dépendance majeure aux opiacés. Si ses bénéfices ne sont plus à démontrer (amélioration de l’état de santé, diminution de la transmission du VIH, diminution des comportements délictueux, amélioration du fonctionnement global et de l’insertion sociale), il a été suggéré qu’elle pourrait favoriser l’accroissement de la consommation et de la dépendance à l’alcool, avec les conséquences qui en découlent pour le patient mais aussi pour sa prise en charge sanitaire. Il est donc important dans une perspective clinique d’établir la nature des liens entre alcool et opiacés afin d’être plus attentif à la planification des soins pour les patients présentant un usage problématique d’alcool associé à leur dépendance aux opiacés.
 
Il est établi que la prévalence de la dépendance à l’alcool est plus élevée chez les patients traités par méthadone qu’en population générale, variant selon les études de 13 à 31% (en fonction des définitions retenues d’usage problématique d’alcool et des populations étudiées). Son traitement, bien que ne permettant pas toujours d’aboutir à l’abstinence, est cependant efficace. La connaissance de l’influence potentielle de la méthadone sur la consommation d’alcool est donc importante, et son repérage précoce ainsi que sa prise en charge pourraient avoir un impact majeur sur le succès du traitement. L’objectif de ce travail est de réaliser une revue systématique des études cliniques évaluant les changements éventuels dans la consommation problématique d’alcool depuis l’initiation d’un traitement de substitution par méthadone et tout au long de son évolution.
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MATERIEL ET METHODE
Les bases Medline, PsychInfo et Cochrane ont été utilisées avec le croisement des mots clés suivants : « opioids », « opiates », « methadone », « heroin addicts », « addiction » avec « alcohol ». Quelque soit la méthodologie,
 
les études cliniques retenues ont été celles réalisées chez l’homme, publiées en anglais et évaluant spécifiquement les modifications dans la consommation d’alcool au cours du suivi (mesure avant instauration du traitement puis durant la période de traitement).
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RESULTATS
Sur les 690 références recensées, seuls 41 abstracts étaient pertinents et parmi eux, seules 14 publications remplissaient les critères d’inclusion et évaluaient la consommation d’alcool avant initiation du traitement par méthadone puis à un moment quelconque du traitement par méthadone. Une importante étude publiée dans un ouvrage scientifique a été ajoutée aux 14 précédentes.
 
Onze études ont été conduites aux Etats Unis, 2 en Angleterre, 1 en Italie et 1 en Autriche. Douze étaient des études de cohortes (prospectives ou rétrospectives) et 3 des études contrôlées avec randomisation. Les critères d’évaluation de la consommation d’alcool et de la dépendance alcoolique ainsi que les types de populations étudiées étaient variables d’une étude à l’autre.
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Études retrouvant une augmentation de la consommation d’alcool au cours du suivi
Trois études, toutes rétrospectives, retrouvaient une augmentation de la consommation d’alcool au cours du traitement par méthadone. Schut et al (1973) ont demandé à leurs patients d’évaluer l’évolution de leur consommation d’alcool à différentes étapes de la prise en charge. Soixante-huit pour cent des patients déclaraient ne pas consommer du tout d’alcool lorsqu’ils consommaient quotidiennement des opiacés illicites contre 38% après 18 mois de traitement par méthadone, et 20% déclaraient boire « plus » ou « beaucoup plus » qu’avant initiation du traitement. Dans l’étude de Anglin et al (1989), bien qu’une augmentation de la consommation d’alcool soit relevée, celle-ci
 
n’était pas attribuée par les auteurs à la méthadone puisque cette augmentation était également notée dans un groupe de patients non traités par méthadone. De plus, la consommation d’alcool était inversement corrélée à celle d’opiacés. Rittmannsberger et al (2000), chez 68 patients traités par méthadone depuis en moyenne 50 mois, notaient un accroissement non significatif de 19% à 33% des patients déclarant une consommation fréquente d’alcool entre la période préalable traitement et la période de traitement par méthadone. La consommation d’alcool avant traitement ou au cours du traitement n’était cependant évaluée par les patients qu’a postériori.
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Pas de changement dans la consommation d’alcool
Neuf études ne retrouvaient aucun changement dans la consommation d’alcool après mise sous méthadone. Deux études prospectives randomisées comparant buprénorphine et méthadone ne retrouvaient pas d’augmentation significative de la consommation d’alcool sous méthadone (Strain et al, 1996 et Shottenfeld et al, 1998). Une étude randomisée comparant méthadone orale et injectable (Strang et al, 2000) ne mettait également en évidence aucun changement significatif dans la consommation d’alcool après 6 mois de traitement, mais une diminution de l’usage de benzodiazépines et crack/cocaïne. Dans 4 études prospectives (Marcovici et al, 1980 ; Rounsaville et al, 1982 ; Simpson and Sells, 1990 et Gossop et al, 2000), aucun changement significatif n’était
 
retrouvé dans la consommation d’alcool, dont une sur une période de 12 ans (Simpson and Sells, 1990). Dans l’étude de Fairbank et al. (1993) suivant 513 héroïnomanes sous méthadone, la consommation à 1 an de drogues illicites, de tranquillisants et de méthadone « illégale " diminuait mais la proportion de buveurs importants (plus de 5 verres par jour au cours des 90 derniers jours) restait stable (28% vs. 26%), que les patients soient encore sous méthadone ou pas. Enfin, l’étude rétrospective de Green et al. (1978) retrouvait une augmentation modérée de l’usage excessif d’alcool sous méthadone, la plupart des patients présentant déjà une consommation excessive d’alcool avant mise sous traitement.
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Diminution de la consommation d’alcool avec le temps
Sur les trois études retrouvant une baisse de la consommation d’alcool sous méthadone, deux (Jackson et al, 1982 et Stimmel et al, 1982) reposaient sur l’évaluation de la même cohorte de patients, distinguant un groupe de patients alcoolo-dépendants et un groupe de patients non 16 alcoolo-dépendants à l’initiation du traitement par méthadone. Une baisse de la
consommation d’alcool au cours du traitement
 
était relevée lors du traitement par méthadone dans les 2 groupes, la plus notable étant celle dans le groupe des alcooliques « actifs » ayant la consommation initiale d’alcool la plus importante. Caputo et al. (2002) mettaient en évidence une baisse de la consommation d’alcool après 4 semaines sous méthadone dans un groupe de patients dépendants à l’héroïne non alcoolodépendants mais pas chez ceux n’étant pas traités par méthadone.
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DISCUSSION
En définitive, les conclusions de cette revue de la littérature ne supportent pas l’idée d’une augmentation de la consommation d’alcool sous méthadone : si 3 études constatent une augmentation de cette consommation lors du traitement par méthadone, 9 études ne mettent en évidence aucun changement et 3 une réduction de cette consommation. De plus, les études constatant l’absence de changement ou la baisse de consommation d’alcool au cours du traitement par méthadone sont les plus solides d’un point de vue méthodologique (3 essais contrôlés randomisés et 7 études prospectives de cohorte), alors que celles concluant à une augmentation de la consommation d’alcool sont toutes rétrospectives et sujettes à des biais liés aux difficultés de remémoration des consommations. Plutôt qu’une augmentation de la consommation d’alcool après initiation et substitution par méthadone, cette revue de la littérature conclut à l’absence de modification dans les comportements de consommation. L’importante hétérogénéité rencontrée d’une étude à l’autre rend les comparaisons directes difficiles et limite la portée de cette revue. Un autre facteur limitant est la possibilité que la consommation d’alcool fluctue chez les patients sous méthadone et donc que le moment choisi pour l’évaluation ait une influence sur les conclusions concernant l’évolution de cette consommation.
 
Le fait que dans 2 études, la consommation de substances illicites diminue alors que la consommation d’alcool reste stable, suggère que cette dernière reste problématique et devrait faire l’objet d’une attention particulière dans les programmes de substitution par méthadone. Les patients traités par méthadone devraient tous être évalués pour leur consommation d’alcool (recherche d’un abus ou d’une dépendance) et bénéficier de prises en charge adaptées qui semblent améliorer le pronostic. Il est également probable que des stratégies de réduction des risques vis-à-vis de l’alcool chez les patients présentant une hépatite C chronique soient bénéfiques. Si de nombreuses optios existent actuellement dans le traitement de l’alcoolisme, des recherches complémentaires semblent nécessaires pour évaluer l’efficacité du dépistage de la dépendance alcoolique et de ses modalités de traitement, intégrés aux programmes méthadone. Une meilleure connaissance et une meilleure organisation des soins sont nécessaires pour éviter une morbidité et une mortalité supplémentaires engendrés par l’usage problématique d’alcool, malheureusement trop souvent présent chez les patients traités par méthadone.
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Bibliographie
· Schut, J., File, K., & Wohlmuth, T. (1973). Alcohol use by narcotic addicts in methadone maintenance treatment. Quarterly Journal of Studies on Alcohol, 34, 1356–1359.
· Anglin, M. D., Almog, I. J., Fisher, D. G., & Peters, K. R. (1989). Alcohol use by heroin addicts: Evidence for an inverse relationship. A study of methadone maintenance and drug-free treatment samples. American Journal of Drug and Alcohol Abuse, 15, 191– 207.
· Rittmannsberger, H., Silberbauer, C. H., Lehner, R., & Ruschak, M. (2000). Alcohol consumption during methadone maintenance treatment. European Addiction Research, 6, 2–7.
· Strain, E. C., Stitzer, M., Liebson, I., & Bigelow, G. (1996). Buprenorphine versus methadone in the treatment of opioid dependence: Self-reports, urinalysis, and Addiction Severity Index. Journal of Clinical Psychopharmacology, 16, 58– 67.
· Schottenfeld, R. S., Pakes, J. R., & Kosten, T. R. (1998). Prognostic factors in buprenorphine- versus methadone-maintained patients. Journal of Nervous and Mental Disease, 186, 35– 43.
· Strang, J., Marsden, J., Cummins, M., Farrell, M., Finch, E., Gossop, M., et al. (2000). Randomized trial of supervised injectable versus oral methadone maintenance: Report of feasibility and 6-month outcome. Addiction, 95, 1631– 1645.
· Marcovici, M., McLellan, T., O’Brien, C., & Rosenzweig, J. (1980). Risk for alcoholism and methadone treatment. A longitudinal study. Journal of Nervous and Mental Disease, 168, 556– 558.
· Rounsaville, B. J., Weissman, M. M., & Kleber, H. D. (1982). The significance of alcoholism in treated opiate addicts. Journal of Nervous and Mental Disease, 170, 479– 488.
 
· Simpson D. D.,& Sells S. B. (Eds.), (1990). Opioid addiction and treatment: A 12-year follow-up (p. 57) . Malobar, FL7 Robert E. Krieger Publishing
· Gossop, M., Marsden, J., Stewart, D., & Rolfe, A. (2000). Patterns of improvement after methadone treatment: 1 year follow-up results from the National Treatment Outcome Research Study. Drug and Alcohol Dependence, 60, 275–286.
· Fairbank, J. A., Dunteman, G. H., & Condelli, W. S. (1993). Do methadone patients substitute other drugs for heroin? Predicting substance use at 1- year follow-up. American Journal of Drug and Alcohol Abuse, 19, 465– 474
· Green, J., Jaffe, J., Carlisi, J. A., & Zaks, A. (1978). Alcohol use in the opiate use cycle of the heroin addict. International Journal of the Addictions, 13, 1021– 1033.
· Jackson, G., Korts, D., Hanbury, R., Sturiano, V., Wolpert, L., Cohen, M., et al. (1982). Alcohol consumption in persons on methadone maintenance therapy. American Journal of Drug and Alcohol Abuse, 9, 69– 76.
· Stimmel, B., Hanbury, R., Sturiano, V., Korts, D., Jackson, G., & Cohen, M. (1982). Alcoholism as a risk factor in methadone maintenance. A randomized controlled trial. American Journal of Medicine, 73, 631– 636.
· Caputo, F., Addolorato, G., Domenicalli, M., Mosti, A., Viaggi, M., Trevisani, F., et al. (2002). Short-term methadone administration reduces alcohol consumption in nonalcoholic heroin addicts. Alcohol, 37, 164– 168.
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Commentaires
Cette revue de la littérature montre qu’une opinion trop souvent répandue parmi les intervenants en toxicomanie, à savoir « la méthadone fait boire », ne repose finalement sur aucune donnée scientifique.
Le concept d’addiction prend ici tout son sens : les patients traités par méthadone restent « addicts » ou en recherche de sensation, et l’usage problématique d’alcool en est un des avatars. Il est cependant plus souvent noté une absence de modification des habitudes de consommation d’alcool qu’une baisse de cette même consommation alors que, dans au moins 2 études de cette revue, les usages d’autres substances illicites baissent. Il y a donc peut-être une dimension particulière à prendre en compte : la méthadone permet de réduire l’usage d’opiacés et d’autres drogues illicites mais moins celle d’alcool. D’où l’importance, soulignée par les auteurs de ce travail, de sensibiliser les équipes intervenant auprès de ces patients au dépistage de l’usage problématique d’alcool et à sa prise en charge.
 

Différentes stratégies de soins pharmacologiques, psychothérapiques, comportementales et psycho-sociales permettent d’intervenir efficacement sur la consommation d’alcool, que ce soit afin de viser l’abstinence ou dans une logique de réduction des risques pour retourner à un usage moins toxique. Il est indispensable de rappeler que d’après l’étude Coquelicot (1), 60% des usagers de drogues sont séropositifs pour le VHC et que l’alcool constitue pour ces patients un facteur considérable d’aggravation du pronostic, de refus d’instaurer le traitement et de mauvaise observance quand celui-ci est instauré. Il paraît important que la variable « alcool » soit plus souvent, et de manière détaillée, intégrée dans les travaux épidémiologiques et de recherche associés au traitement par méthadone afin de mieux identifier les liens les unissant et les stratégies pouvant permettre d’améliorer l’état de santé de ces patients.


Dr Laurent MICHEL, pour le Comité de rédaction

 

(1) JAUFFRET-ROUSTIDE M, COUTURIER E et al. Estimation de la séroprévalence du VIH et du VHC et profils des
usagers de drogues en France, étude InVS-ANRS Coquelicot, 2004. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 33, 5
septembre 2006, 244-247.

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