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Infections virales (VIH, VHC, VHB)


HEPATITE C ET PRISE EN CHARGE ADDICTOLOGIQUE
Dr Laurent MICHEL, Limeil-Brévannes


Le FLYER, Hors-série n°4 Vol. 1, Hépatite C & Usagers de drogues, Septembre 2006
& Le Flyer, N° 24, Mai 2006
 
Une prise en charge privilégiant les plus "éligibles"
L’hépatite C est devenue une priorité de santé publique en raison de ses potentialités évolutives (70 à 80 % de formes devenant chroniques, 20 % évoluant vers la cirrhose et parmi elles, 30% vers un carcinome hépatocellulaire).
600 à 700 mille personnes sont touchées en France par l’hépatite C dont une proportion importante de patients présentant une ou plusieurs conduites addictives (usage de drogues par voie intraveineuse essentiellement, fréquent usage problématique d’alcool associé). Les usagers de drogues constituent actuellement le principal groupe concerné par les nouvelles contaminations (environ 7 000 personnes par an).
 
Les thérapeutiques anti-virales (bi-thérapie par interféron pégylé + ribavirine) sont de plus en plus efficaces (60 % pour l’ensemble des patients traités, 80 % pour les génotypes favorables, fréquents chez les usagers de drogues) et l’hépatite C est devenue une affection virale chronique qui se guérit.
Les patients pris en charge au niveau thérapeutique dans les services spécialisés sont actuellement ceux les plus « éligibles » et les plus accessibles, présentant le moins de comorbidités addictologiques et/ou psychiatriques.
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Préconisations de la conférence de consensus
Rappelons les préconisations de la conférence de consensus de 2002 sur la prise en charge de l’hépatite C :
- Alcool : « Il est recommandé de tenter d’obtenir un arrêt ou une réduction maximale de cette consommation pendant au moins 6 mois avant de débuter un traitement. »
- Usage de drogues : « Les indications thérapeutiques doivent être larges chez les usagers de drogue du fait de la plus grande fréquence des facteurs de réponse virologique favorable. Pour ces patients, une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire devrait être mise en place avant le traitement. Elle a pour objectif d’évaluer la stabilité psychologique, relationnelle et sociale (souvent favorisée par un traitement substitutif) et la nécessité d’une surveillance psychologique, de s’enquérir de l’usage ou non de psychotropes et d’informer le patient et son entourage. Chez une personne stabilisée, l’usage ponctuel de drogue ne s’oppose pas à un traitement. »
- Troubles psychiatriques : « Chez les patients ayant une maladie psychiatrique, il semble raisonnable de ne proposer un traitement anti-VHC qu'à titre exceptionnel. Le traitement ne sera envisagé qu’en présence d’une hépatopathie sévère et sous réserve d’une stabilisation des troubles psychiatriques en raison du risque d'apparition ou d'aggravation d'une manifestation psychiatrique grave. »
 

En conséquence, pour les consommateurs d’alcool, la règle est d’exiger une abstinence d’au moins 6 mois avant traitement, l’usager de drogues est fréquemment récusé quand il est déclaré, et les troubles psychiatriques constituent une source de réticences importantes à l’instauration du traitement.
La conférence de consensus laisse cependant la porte plus ouverte qu’il n’y paraît et met en avant l’importance de prises en charges pluridisciplinaires.
En résumé, les patients les plus « favorables » sont progressivement traités mais les autres, et en particulier les usagers de drogues (présentant fréquemment une co-dépendance pour l’alcool et divers troubles psychiatriques), restent en attente, sachant que leur contingent s’accroît régulièrement puisque l’usage de drogues constitue maintenant la principale source de nouvelles contaminations.
Si la situation n’évolue pas, ces patients seront vus dans quelques années au stade de cirrhose sévère ou dans le cadre d’indication d’une greffe hépatique.

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Méconnaissance des liens entre conduites addictives,
troubles psychiatriques et l’hépatite C
Il est donc important de se mobiliser pour ces patients et les structures de soins prenant en charge les conduites addictives sont à ce titre au premier plan. La culture de pluridisciplinarité acquise par ces équipes dans de nombreux domaines doit s’étendre au champs des hépatites, il en est de même pour les équipes d’infectiologie, de médecine interne ou d’hépato-gastro-entérologie.
Cependant, une actualisation des connaissances sur les liens entre conduites addictives, troubles psychiatriques et l’hépatite C ainsi que sa prise en charge thérapeutique est utile à défaut d’être indispensable.
 
L’une des principales causes de non-prise en charge de ces patients par les structures de soins est en effet la méconnaissance des enjeux sanitaires associés à l’hépatite C et son traitement.
- Quels sont les troubles psychiatriques observés au cours de l’hépatite C ?
- Quels sont ceux apparaissant au cours du traitement par bi-thérapie ?
- Quel est l’impact de l’usage de drogues sur l’évolution de la maladie et son traitement ?
- Quelles sont les conséquences de la consommation d’alcool sur l’évolution de
l’hépatite C ?
- Quel impact a l’alcool sur la bi-thérapie anti-virale ?
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Troubles psychiatriques observés au cours de l’hépatite C hors traitement

Ils sont sous-estimés et nombreux sont les patients présentant des troubles psychiatriques au cours de l’évolution de leur hépatite en dehors de toute prise en charge thérapeutique. On ne retrouve par ailleurs aucune corrélation avec la sévérité de l’hépatite, le degré de fibrose ou les antécédents d’usage de drogue par voie intraveineuse.


L’impact psychique de l’annonce du diagnostic est important et constitue un facteur contribuant à l’éclosion des troubles. La qualité de vie, évaluée par des échelles type SF36, est altérée précocement, parfois avant même que le patient ait connaissance du diagnostic.
Le caractère « chronique » de la maladie hépatique ne constitue pas le facteur déterminant la survenue de ces perturbations. Parmi des patients hospitalisés au long cours pour une affection chronique (études auprès de « vétérans »), ceux porteurs d’une hépatite C présentent significativement plus fréquemment une comorbidité psychiatrique que les autres. Il en de même lorsque l’on compare au sein d’une population de patients en attente d’une greffe hépatique ceux atteints d’une hépatite C de ceux qui ne le sont pas.


Les troubles les plus fréquemment observés sont l’anxiété, l’asthénie et les troubles dépressifs. Des signes cognitifs plus discrets (troubles de l’attention, « brouillard mental »…) sont également courants.

 
Leur fréquence est extrêmement variable d’une étude à l’autre, oscillant de 0 à 58% pour la dépression, en raison du manque d’homogénéité des méthodologies utilisées et des populations étudiées (cette variabilité est également observée dans les études portant sur les troubles psychiatriques au cours du traitement par interféron + ribavirine). Une fréquence significativement supérieure à la population générale est cependant quasi-constamment retrouvée. Par contre, dans certaines études (néanmoins peu nombreuses), la prévalence des troubles psychiatriques n’est pas significativement plus élevée au cours du traitement qu’avant traitement.
Le virus de l’hépatite C semble donc induire directement un certain nombre de troubles psychiques ou psychiatriques, non exclusivement liés à l’impact de l’annonce du diagnostic ou aux conséquences somatiques de son évolution. Notons qu’en plus d’être hépatotrope, il appartient à une famille de virus fortement neurotropes. Différentes études démontrent qu’il ne se contente pas d’être présent au niveau du système nerveux central, il s’y réplique également activement. On peut donc supposer l’existence d’un « génie » évolutif propre dans le système nerveux central, à l’origine d’au moins une partie de ces complications psychiques ou psychiatriques. Rarement graves, ces dernières altèrent cependant considérablement la qualité de vie des patients et entravent leur capacité à prendre l’initiative d’une démarche en direction d’un bilan puis du traitement. Elles méritent donc d’être dépistées et traitées au plus tôt.
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Troubles psychiatriques au cours du traitement par bi-thérapie
(interféron plus ribavirine)

Ils sont également fréquents, précoces (au cours des trois premiers mois et surtout des premières semaines), le plus souvent d’intensité modérée et dose dépendants (doses d’interféron).
Ils sont plus le fait de l’interféron que de la ribavirine.

Bien que l’interféron ne traverse pas la barrière hémato-méningée, divers arguments plaident en faveur de cette incrimination et entre autres :
• les complications psychiatriques sont rapidement réversibles en cas de diminution ou d’arrêt du traitement,
• des perturbations électro-encéphalographiques apparaissent dès la seconde semaine de traitement et persistent pendant 2 à 3 semaines après l’arrêt du traitement.
Certains troubles de l’humeur surviennent par contre tardivement, à distance de l’arrêt du traitement, sans que la part iatrogène puisse clairement être dissociée d’une dimension psychopathologique de « deuil » de la maladie.

 
Les troubles les plus fréquents sont les troubles du sommeil, l’anxiété, l’irritabilité et les troubles de l’humeur (dépression retrouvée chez 2 à 40% des patients selon les études avec une moyenne à 20-30%, rares épisodes maniaques qu’il faut cependant garder à l’esprit). Les troubles cognitifs (attention, concentration, mémoire) sont également courants. Plus rarement sont observés des épisodes psychotiques, confusionnels et des tentatives de suicide ou suicides réussis. A noter globalement une dimension anxiété-irritabilité très présente.
Ces manifestations sont rarement sévères mais constituent une cause fréquente de mauvaise observance et la première cause de rupture thérapeutique (10 à 20% des patients). Elles sont habituellement sensibles au traitement. Les épisodes dépressifs sont en particulier facilement curables, à la différence d’autres états dépressifs d’origine organique. Elles sont peu prévisibles et ne sont notamment pas corrélées à l’existence d’antécédents dépressifs.
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Consultation avec un psychiatre référent
L’exclusion de patients aux antécédents dépressifs ou psychiatriques est donc à ce jour une « précaution » qui ne se justifie pas scientifiquement. Initier la bi-thérapie au cours d’un processus évolutif non maîtrisé d’une maladie psychiatrique constituerait par contre une erreur et si à l’heure actuelle il ne semble plus y avoir de réelle contre-indication psychiatrique au traitement, l’obtention d’une rémission ou d’une stabilisation durable des troubles dans un contexte de prise en charge au long cours paraît nécessaire.
Les mécanismes à l’origine de ces complications et en particulier des troubles de l’humeur sont mal élucidés à ce jour. Une dysrégulation sérotoninergique est fréquemment évoquée (accroissement de la re-capture de sérotonine ou destruction accrue de tryptophane qui est son précurseur), plus rarement une responsabilité des cytokines, par divers mécanismes.
 
L’observation d’une corrélation grossière entre les complications du traitement et les antécédents psychiatriques dans leur globalité ou des troubles de la personnalité pour certaines études, conduit à suggérer une prise de contact préalable avec un psychiatre référent lorsque existent des antécédents psychiatriques. Cette consultation aura pour objectif de dépister, traiter si nécessaire avant bi-thérapie un épisode évolutif, informer le patient sur les éventuels effets secondaires psychiatriques du traitement et, surtout, dédramatiser le recours au psychiatre s’il paraît nécessaire ultérieurement.
Un traitement préventif par antidépresseur (type Inhibiteur de re-capture de sérotonine) est recommandé chez les patients présentant un terrain dépressif particulièrement instable ou lorsque un épisode dépressif est survenu lors d’un précédent traitement par interféron.

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Impact de l’usage de drogues sur le maladie hépatique et son traitement
La prévalence de l’hépatite C chez les usagers de drogues par voie intra-veineuse est particulièrement élevée (50 à 60 %). Comme nous l’avons vu plus haut, cette population constitue de plus en plus le « réservoir » du virus et une attention particulière doit lui être consacrée. Les drogues en elle-mêmes ne semblent pas avoir d’impact direct sur l’évolution de l’hépatite, en dehors bien entendu d’une toxicité éventuelle propre sur le foie de certains produits. Une étude a cependant mis en évidence récemment (1) l’accélération de l’évolution de la fibrose chez des consommateurs quotidiens de cannabis (expression plus marquée des récepteurs CB1 qui sont pro-fibrogéniques au détriment des CB2 plutôt protecteurs).
C’est en fait les pratiques associées à l’usage de drogues et les habitudes de vie qui en découlent qui peuvent favoriser l’évolution de la fibrose et réduire les chances de succès d’une prise en charge. La destructuration du mode de vie (précarité) des patients lors de la consommation d’opiacés, de cocaïne ou crack rend difficile l’observance thérapeutique essentielle au succès du traitement.
 

Les comorbidités addictives (alcool surtout), psychiatriques et infectieuses (VHB, VIH) fréquentes jouent également un rôle certain.
Certains facteurs associés à l’usage de drogues sont cependant plutôt favorables :


- âge moins élevé des patients et dépistage plus précoce,
- génotypes (2 et 3) plus souvent sensibles au traitement,


- atteinte histologique en général plus minime.
Une prise en charge pluridisciplinaire avec préparation au traitement et suivi régulier pendant la durée de la bi-thérapie sont donc également nécessaires. La règle d’une « abstinence » ou d’une stabilisation des consommations, si elle est souhaitable, conditionne moins le pronostic que dans le cas de l’alcool. C’est surtout la stabilisation du mode de vie qui est ici requise.

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Conséquences de la consommation d’alcool sur l’évolution de l’hépatite C

Quinze pour cent des patients atteints d’hépatite C ont une consommation excessive d’alcool (> 50 g d’alcool par jour, un verre d’alcool standard représentant 10 g d’alcool et correspondant à 25 cl de bière à 5°, 10 cl de vin ou 2,5 cl d’alcool fort). Quatorze pour cent des buveurs excessifs présentent des anticorps anti-VHC avec dans 79% des cas une PCR positive.


L’effet délétère de l’alcool sur la dynamique évolutive de l’hépatite C est bien établi. La question plus précise d’une synergie des 2 facteurs ou d’un simple effet additif de toxicités n’est cependant pas clairement élucidée (2).

 
La consommation d’alcool entraîne :
- une augmentation de la virémie
- une augmentation du risque de passage à la chronicité chez les buveurs excessifs
- une progression plus rapide de la fibrose chez les buveurs consommant plus de 50g/j
d’alcool
- une élévation du risque de décompensation d’une cirrhose virale C, dose dépendante
- une augmentation du risque d’évolution vers un carcinome hépato-cellulaire.
La prise en charge de sa consommation abusive ou de la dépendance qui y est associée constituent donc des enjeux considérables en terme de pronostic.
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Abstinence et modération de la consommation

L’abstinence est bien entendu préférable, et une prise en charge préalable à l’initiation d’une bi-thérapie par une structure spécialisée, indiquée.
Beaucoup de patients envisagent cependant difficilement une abstinence complète ou minimisent, voire dissimulent, une consommation problématique d’alcool.
La discussion doit pouvoir être ouverte sur la possibilité de ménager une consommation contrôlée chez ceux qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas arrêter leur consommation d’alcool.
Cela soulève une autre question : à partir de quelle quantité d’alcool celle-ci a-t-elle une influence délétère sur l’évolution de

l’hépatite C ?

 

 

Ou en d’autres termes : quelles quantités d’alcool quotidiennes un patient peut-il s’autoriser ?

Au delà de 30 g/j pour les hommes et 20 g/j pour les femmes, l’accentuation de la fibrose apparaît significativement dans la plupart des études (3). En dessous de ces quantités, peut-on en conclure que la consommation d’alcool n’influencera pas l’évolution de la maladie ?
Toujours est-il que si l’abstinence ne paraît pas envisageable, une modération avec des consommations en dessous de ces seuils doit être conseillée, assorti bien entendu d’un accompagnement thérapeutique prolongé qui permettra de saisir l’opportunité d’un sevrage si une perte de contrôle réapparaît.

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Impact de l’alcool sur la bi-thérapie anti-virale
Le maintien d’une consommation régulière d’alcool au cours de la bi-thérapie antivirale est associé à une réduction d’efficacité de cette thérapeutique. Il est cependant difficile de savoir si cet effet est lié à une action directe de l’alcool sur le traitement par interféron ou ribavirine, s’il découle simplement d’une mauvaise compliance au traitement associée au fonctionnement « sous alcool », ou si les deux mécanismes co-existent. L’alcool pourrait agir directement en réduisant l’impact de l’interféron au niveau hépatocytaire ou indirectement en réduisant la sensibilité de l’organisme à l’action de l’interféron par l’immunodépression que sa consommation régulière induit (4).
 

On ne peut donc que suggérer de favoriser l’abstinence si elle est possible et soutenir les patients dans une démarche de consommation contrôlée lorsque le sevrage n’est pas souhaité ou envisageable.


Il faut noter que la quantité d’alcool consommée est spontanément diminuée au cours du traitement chez la plupart des patients, sans doute en raison de l’inconfort occasionné par les effets secondaires de l’interféron.

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Conclusion
Le comité stratégique hépatite B et C dont les recommandations ont été rendues publiques récemment souligne l’importance de se mobiliser pour les populations les plus exposées (usagers de drogues, détenus,…) et la nécessité de prendre en charge de manière pluridisciplinaire, dans le cadre d’un parcours coordonné de soins, les patients atteints d’hépatite C et B. L’importance de l’abord psychiatrique et de la mobilisation des professionnels intervenant dans la prise en charge des addictions est également mise en avant.
 
On peut par contre s’étonner qu’il ne soit quasiment nulle part évoqué la nécessité de prendre en charge le facteur « alcool » dans la préparation au traitement et dans le suivi qui lui est associé. La primo-prescription de méthadone en médecine de ville est abordée, sous forme d’une étude de faisabilité dont l’ANRS aura le pilotage. C’est clairement un pas en avant. Espérons cependant que les professionnels seront associés à ce travail et que la programmation de cette étude ne prendra pas un temps excessif.
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Notes
(1) Hézode et coll. Hepatology, juillet 2005.
(2) Anand BS et Thornby J, alcohol has no effect on hepatitis C virus replication : a meta-analysis GUT 2005
 
(3) Hezode et coll., Impact of moderate alcohol consumption on histological activity and fibrosis in patients with
chronic hepatitis C, and specific influence of steatosis : a prospective study. Aliment Pharmacol Ther, 2003.
(4) Gao B et coll., Host Factors and failure of interferon-alpha treatment in hepatitis c virus. Hepatology, april
2004.
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