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Bas seuil & thérapeutiques ou Méthadone

LE PROGRAMME PREPARATOIRE AVEC METHADONE
Dr Nelson FELSMAN, Département de psychiatrie, Divisions d'abus de substances, Unité de toxidépendances, Genève

L'unité pour toxicodépendance de la Division d'Abus de Substances (DAS) est un service spécialisé dans l'accueil et le traitement de patients toxicodépendants à Genève. Depuis 1991, dans notre service, la méthadone est utilisée comme médicament de choix dans le traitement de la dépendance à l'héroïne, soit comme traitement de substitution à moyen ou à long terme, soit pour le sevrage en milieu ambulatoire ou hospitalier.

Le Flyer N°11, janv. 2003 & HS N°2, déc. 2003
 
Introduction
Cette Unité est composée de deux consultations sectorisées à Genève, avec une équipe multidisciplinaire, et deux unités hospitalières : la première de 7 lits pour les sevrages (Villa les Crêts), la seconde au sein de l'hôpital psychiatrique pour le traitement de la comorbidité associée à la toxicodépendance (le Seran).
Dans un premier temps, la majorité des héroïnomanes qui consultent en ambulatoire cherchent avant tout un traitement qui soulage l'état de manque, sans être clairs sur le choix d'un sevrage ou d'un traitement de substitution..
 
En raison de ce mode de présentation et dans un souci d'accessibilité aux soins, nous avons mis en place, depuis 1994, un programme d'admission avec méthadone, pendant une durée d'un mois, dans le but de favoriser le choix thérapeutique ultérieur le plus adapté, en évitant une orientation prématurée et parfois erronée lors des premiers entretiens, souvent dans un contexte de crise.
Ce travail présente le programme préparatoire et une étude réalisée pour évaluer ses résultats, durant la période d'octobre 2000 à octobre 2001, et les comparer à une étude précédente (1998-1999).
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Situation actuelle de la substitution en Suisse
Les traitements avec la méthadone représentent le 1er choix en matière de traitement de maintenance en Suisse. A l'heure actuelle, il y a 18.000 patients en traitement avec la méthadone (la Suisse compte un peu plus de 7 millions d'habitants).
Par ailleurs, il y a 1.200 places de traitement avec prescription d'héroïne (en intraveineuse ou en comprimés per os) dans 21 centres en Suisse, dont un à Genève (le PEPS), avec 50 places, qui fait partie de la Division d'Abus de Substances.
A Genève, 1.400 patients héroïnomanes sont en traitement avec la méthadone, 300 sont suivis dans la DAS, seule institution publique pour les soins. La Fondation Phénix (privée) et une centaine de médecins installés en ville suivent les autres patients en traitement.

Les pharmaciens de la ville sont associés à l'administration quotidienne du traitement

.
 

La DAS a développé depuis 10 ans un traitement de méthadone qui s'appuie sur une équipe multidisciplinaire et le travail en réseau.

Les interventions de différents professionnels sont adaptées selon les besoins et la situation de chaque patient, mais tous bénéficient d'un suivi médico-infirmier régulier, d'un bilan somatique, psychiatrique et social. Un psychiatre est responsable du traitement et le suivi psychothérapeutique est fortement encouragé.

Notre philosophie de travail en réseau permet une bonne articulation avec d'autres partenaires dans l'entourage du patient : famille, réseau social ou médical.

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Déroulement du programme préparatoire (P.P.)

Sans formalité administrative particulière, tout patient peut être reçu en entretien dans une consultation, sans rendez-vous, du lundi au vendredi.

Une ou des analyses d'urines sont réalisées avant tout traitement, pour mettre en évidence les consommations d'héroïne (analyses ultra-rapides).


Le médecin responsable du programme fait les entretiens d'évaluations nécessaires avec une anamnèse exhaustive sur la consommation de substances, les traitements entrepris dans le passé et le statut du patient. Le programme préparatoire se déroule suivant certains critères:


1. Administration quotidienne du traitement par la méthadone dans la consultation (du lundi au vendredi, week-end : doses à emporter). On commence souvent par 20 mg ou 30 mg par jour, avec une augmentation progressive, par palier de 5 mg à 10 mg.

 

Si des doses plus importantes sont nécessaires, elles sont introduites en 2 prises par jour en début du traitement.

2. Entretien régulier avec le psychiatre qui comprend un travail motivationnel, une élaboration du projet de soins par la suite et une évaluation de la comorbidité psychiatrique sous-jacente.


3. Suivi régulier par un infirmier référent, responsable du programme préparatoire dans l'équipe de soins.


4. Bilan somatique avec le médecin interniste : counseling, dépistage proposé pour HIV et hépatites, vaccinations.


5. Bilan social avec l'assistante sociale du service.


6. Selon besoin, entretiens avec la famille, ou de réseau, voire suivi psychothérapeutique.

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Description de l'étude du programme préparatoire avec la méthadone

Objectifs de l'étude :

1. Décrire le profil des patients admis en programme préparatoire dans les 2 consultations ambulatoires de la division, entre octobre 2000 et octobre 2001.

2. Evaluer l'issue du traitement après un mois.

3. Etablir des facteurs prédictifs des drop-out.

4. Comparer ces données à une étude similaire réalisée auparavant (1999).

Pendant la période de l'étude, il y a eu 185 admissions (169 patients) au programme préparatoire, ce qui concernait plus de 80 % des nouvelles demandes de traitement dans les consultations.

Cela montre la place importante que prend ce programme dans l'accueil des patients héroïnomanes.

 
Descriptif de cette file active :
72% hommes / Moyennes d'âge : 30 ans (17-47 ans) / Nationalité suisse : 65 % / Formation achevée : 51 % / Revenu provenant de l'emploi: 30 % / Logement personnel : 58 % / 23 % des patients n'avaient eu aucun suivi antérieur.
Descriptif des consommations de substances au moment de la demande de soins :
A l'admission, les patients consommaient en moyenne 3.8 substances (DS1.8), dont : Héroïne : 96 % / Cocaïne : 61 % / Cannabis : 59 % / Méthadone : 46 % / Benzodiazépines : 42 % / Alcool : 33 %
Durée moyenne de consommation d'opiacés = 9 ans, de la cocaïne = 6 ans / Pas de suivi antérieur : 23 % / Injections dans les 6 derniers mois : 58 %
Il est intéressant d'observer que 61 % des patients consomment également de la cocaïne car, en effet, depuis plusieurs années, l'usage de cette substance devient de plus en plus importante.
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Résultats et Facteurs prédictifs d'abandon

"Issue du traitement à un mois : sur 185 admissions après un mois


74 % sont retenus dans le réseau et orientés vers :


- Programme de maintenance à la méthadone 60 % (112), dont 83 % à la Division et 17 % chez médecin privé.
- Programme de prescription d'héroïne 2 % (3)
- Sevrage (amb./hosp.) 12 % (22)
26 % ne sont pas retenus en traitement (abandon) :
- Drop-out 20 % (38)
- Prison 4 % (7)
- Exclusion 1 % (2)
- Décédé 0,5 % (1).

 
Une régression logistique montre que les seuls facteurs qui prédisent un abandon du PP avant la fin du premier mois de traitement sont :
- L'utilisation de la cocaïne (p=002)
- Le fait d'avoir un emploi (p=0.001)
La consommation compulsive de cocaïne apparaît comme un facteur corrélé à l'abandon du traitement, et vient sans doute compliquer la prise en charge de la dépendance à l'héroïne.
En ce qui concerne le fait d'avoir un emploi, ce facteur peut s'expliquer dans l'exigence d'une présence quotidienne au centre de soins à des horaires fixes, pas toujours compatibles avec une activité professionnelle. Ce point mène à réfléchir sur la nécessité de travailler avec les pharmaciens de ville pour ces cas particuliers.
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Comparaison avec l'étude de 1998-1999

- Taux de rétention : 1998-1999 : 84 % / 2000-2001 : 74 %
- Taux de drop-out : 1998-1999 : 16 % / 2000-2001 : 26 %
- Orientation après 1 mois de P.P. vers méthadone : 1998-1999 : 66 % / 2000-2001 : 60 %
- Orientation après 1 mois de P.P. vers un sevrage : 1998-1999 : 16 % / 2000-2001 : 12 %
- Orientation médecine privée : 1995-1999 : 24 % (principalement fondation Phénix) / 2000-2001 : 17 % (principalement médecine de ville)

Une baisse de la rétention de 10 %, par rapport à l'étude précédente, peut en partie s'expliquer par la prévalence plus importante de la consommation de cocaïne chez les patients qui abandonnent le programme préparatoire car, dans les années précédentes, cette consommation était beaucoup moins importante.

 

D'autre part, il n'y a pas eu de changement particulier dans l'organisation du programme préparatoire ni un changement de règles ni de critères qui puissent expliquer cette différence à l'intérieur du P.P.

Par ailleurs, nous observons que l'orientation en traitement de méthadone vers la médecine privée s'est faite plus facilement vers des praticiens installés en ville, dans l'étude de 2000-2001.
Il semble que la reconnaissance de la médecine de l'addiction, comme une nouvelle spécialité à part entière, et l'organisation des collègues installés à Genève dans les GPMA (Groupe des Praticiens de Médecine de l'Addiction) a sans doute favorisé ce phénomène d'un transfert de traitement plus accessible vers les praticiens installés, souvent des médecins généralistes ou internistes.

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Conclusion
Le programme préparatoire est une porte d'entrée dans le réseau de soins pour des patients non suivis (25 %).
La plupart des nouvelles demandes de traitement dans la Division d'Abus de Substances sont orientées vers le programme préparatoire.
Dans ce groupe, la polytoxicomanie est fréquente, la situation socioprofessionnelle souvent précaire. La rétention en traitement, après un mois, est de 76 %, avec une tendance à la baisse entre 2000 et 2001 (probable influence de la cocaïne). Dans 2/3 des cas, les patients sont orientés vers un traitement de substitution, à moyen ou long terme. Cette orientation semble la plus réaliste en raison de leur situation psychique, somatique et sociale mais également de la difficulté à entreprendre un sevrage à court terme avec succès.
Le programme préparatoire permet de répondre de façon adaptée et souple à la demande initiale des patients avec dépendance aux opiacés. Toutefois, il semble important d'assouplir le cadre pour les patients qui travaillent.
Vu le profil de la population, il est important d'intégrer des stratégies thérapeutiques face à la cocaïne et aux autres substances psycho-actives. Le P.P. permet d'élargir la palette thérapeutique offerte aux personnes toxicodépendantes et d'offrir une bonne accessibilité au réseau de soins à Genève.
 

Ce travail résume la communication sur le programme préparatoire avec méthadone présenté lors de la conférence latine sur la réduction de risques, CLAT1, à Barcelone, les 14-15 et 16 novembre 2001, et la 5 ème journée de recherche Vaud-Genève du département de Psychiatrie des HUG, le 13 juin 2002 à Genève.

Cette étude a été faite avec la collaboration de Barbara Broers, Anne Chatton, Jérôme Selig et Corina Mititelu-Meiler.

Avec mes remerciements pour son appui et sa collaboration, à Marina Croquette Krokar, médecin chef de service a.i. de la Division abus de Substances.

Références : Prises en charge ambulatoire des problèmes de dépendance, statistique du traitement ambulatoire, chapitre 5, substitution avec la méthadone, OFSP, ISPA, Neuchâtel 2001.

Rapport : Les traitements avec prescription d'héroïne, septembre 2000, Berne, OFSP.
Revue : SPECTRA, OFSP, Juillet 2002, No 3, Berne

Adresse de l'auteur : Dr Nelson Feldman 1er chef de clinique DAS, Consultation rue Verte, 2 rue Verte - 1205 Genève, E-mail : nelson.feldman@hcuge.ch.

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Commentaire de la rédaction du Flyer
L'originalité de ce programme préparatoire est d'inclure d'emblée la délivrance de méthadone. Il ne s'agit plus d'opposer l'élaboration d'un projet de soin et un accès rapide au médicament de substitution, mais plutôt de les concilier dans un premier projet, à l'issue duquel le patient et l'institution se donneront la possibilité de définir le meilleur choix thérapeutique ultérieur.
Cet abord pragmatique permet probablement de dé-stigmatiser la méthadone, tant chez les usagers que dans les équipes soignantes. En effet, la place centrale donnée au médicament de substitution, dans la période notamment qui précède la première délivrance, où celui-ci est considéré comme l'objet et le remède, dont chaque moment à l'attendre le rend plus prépondérant encore, va souvent à l'encontre des 'principes' des équipes.
 
Celles-ci, à juste titre, considèrent en effet que le médicament n'est qu'un outil permettant la mise en place d'une stratégie globale de soins. Quel est alors cet outil, que l'on va mettre plusieurs jours, voire plusieurs semaines à utiliser ? Est-il dangereux chez des patients pharmaco-dépendants aux opiacés (qui l'ont d'ailleurs souvent déjà expérimenté dans la rue) ? Le retour en arrière est-il impossible ?, et la question récurrente : Que prend le patient dans cette période d'attente et a priori de soins (ou d'élaboration d'un projet de soins) ? Est-il cohérent, à un moment où l'on élabore un projet de soins avec un patient, de l'inciter implicitement à s'injecter des opiacés illicites, ou des médicaments de substitution détournés de leur usage, avec les risques que l'on connaît, alors que l'on sait qu'on finira par lui délivrer la méthadone.
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