Retour à Penser ensemble les prises en charge
Retour par MOT CLÉ :
Médicaments de substitution aux opiacés (M.S.O.)

EUROPAD : LA CONFERENCE D'OSLO
EVALUATION DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION EN EUROPE
Dr Gilles NESTER, CSST Rivage, CH de Gonesse

L'évaluation scientifique des différents modèles thérapeutiques dans les addictions aux opiacés fût le thème principal de la 5ème conférence de l'EUROPAD, European Opiate Addiction Treatment Association, qui s'est déroulée à Oslo du 14 au 16 mai 2002.
Pendant ces trois jours, scientifiques, chercheurs et praticiens se sont réunis pour échanger leurs expériences et comparer leurs résultats.

Correspondances, Eté 2002
 
Dépendance et neurosciences

Les avancées régulières dans les domaines de la neurobiologie et de la neurophysiologie nous permettent de mieux connaître aujourd'hui les mécanismes en jeu dans les phénomènes de la dépendance. Mary Jeanne Creek, professeur à la Rockefeller Université de New York étudie depuis plusieurs années l'action des opiacés sur les organismes biologiques.

Des substances comme la morphine ou l'héroïne altèrent profondément l'expression des gènes, au niveau de l'ARNm, ce qui entraîne une cascade de modifications neurochimiques et biologiques jusqu'au niveau comportemental. Ainsi la perturbation de la réponse physiologique au stress, et cela longtemps après le sevrage, est un facteur particulièrement important dans le mécanisme des rechutes fréquentes dans la toxicomanie.

 

Au contraire la méthadone, par une action intra-cellulaire endorphin-like, permet une restauration rapide de l'axe corticotrope hypothalamo-hypophysaire, ce qui joue un rôle important pour la stabilisation clinique de nos patients et rend compte d'un effet thérapeutique précoce.

Cette communication d'une éminente chercheuse américaine venait illustrer une part de l'argumentation scientifique pour la réduction des risques et l'accès à la substitution.

De nombreuses autres études complètent ces données et augmentent nos connaissances et nos compétences en thérapeutique.

Retour en haut de page
Substitution en Europe : évaluation des traitements

Ce congrès d'Oslo se proposait surtout de faire l'état des lieux des traitements de substitution en Europe et de présenter les résultats de nombreuses études qui y sont consacrées.

La quantité de traitements de substitution délivrés dans l'Union Européenne a été multipliée par cinq au cours de la dernière décennie et la plupart des pays européens ont mis en place des programmes de traitement et de prévention qui se développent à leur rythme depuis plusieurs années ; sur les 300 000 sujets bénéficiant de ces traitements actuellement, les deux tiers sont à peu près équitablement répartis entre l'Espagne l'Italie et la France.

A l'inverse, l'Europe de l'est, la Grèce et une partie de la Scandinavie, restent les zones les plus timides en matière de développement de programmes. La situation française est toute particulière et unique au sein de l'Europe car en moins de trois ans la proportion d'usagers sous traitement passe de 10 à 40%, avec une écrasante majorité pour la buprénorphine.

 
Les évaluations des traitements par la méthadone sont très nombreuses depuis quelques années et font l'objet d'essais thérapeutiques contrôlés, les "controlled randomized trials" ou CRT, qui valident les principes de la substitution avec des résultats comparables d'une étude à l'autre. On relèvera simplement l'originalité de certaines de ces études:
L'association méthadone héroïne serait plus efficace que la méthadone seule dans les cas d'échecs répétés de diverses tentatives thérapeutiques d'après une étude faite aux Pays-Bas. Plusieurs pays d'Europe pratiquent actuellement des essais sur l'utilisation thérapeutique de l'héroïne.
L'évaluation de programmes thérapeutiques dits de bas-seuil, dans quatre grandes villes européennes, montre leur efficacité pour réduire le nombre des overdoses.
La buprénorphine, commence à se développer en Europe après l'expérience française. Nous allons bientôt voir paraître toute une série d'études d'évaluation de la buprénorphine et de sa comparaison avec la méthadone..
Retour en haut de page
L'importance primordiale de l'accompagnement médico-psycho-social des traitements

Parmi les traitements visant à l'abstinence, on retiendra l'efficacité des thérapies comportementales associées ou non aux antagonistes.

En revanche les protocoles de sevrage sous anesthésie générale n'ont apporté aucune preuve de leur intérêt.

Dans tous les cas, quelque soit l'option thérapeutique choisie, il faut souligner l'importance primordiale de l'accompagnement médico-psycho-social lors de ces traitements.


La diversification de l'offre de soins en matière de substitution apparaît ainsi de plus en plus large surtout si l'on y ajoute la codéine, le sulfate de morphine, l'héroïne, utilisés en thérapeutique dans plusieurs pays, ainsi que l'utilisation de formes injectables.

 

Mais tous ces traitements ne concernent que l'héroïnomanie et les dépendances aux opiacés, l'usage abusif d'autres substances comme la cocaïne ou l'alcool et les polytoxicomanies restent de graves problèmes qui nécessitent des approches thérapeutiques différentes.

Ces traitements sont donc maintenant de mieux en mieux connus dans le milieu médical et leur efficacité reconnue de manière incontestable. Ces multiples études s'accordent sur leur intérêt pour diminuer les abus de toxiques, la criminalité et la mortalité parmi les usagers. Cependant tous les problèmes ne sont pas résolus et les résultats escomptés pour contrecarrer l'épidémie du VIH sont encourageants mais restent inégaux selon les pays. Ils sont le fruit d'une politique volontariste de santé publique, la situation restant préoccupante dans certaines régions, notamment dans toute l'Europe de l'est.

Retour en haut de page
Evidence based medicine: les limites

L'EBM, basée sur la preuve scientifique pour une plus grande efficacité thérapeutique, permet de clarifier et d'approfondir nos connaissances, elle donne des arguments toujours plus convaincants pour généraliser l'utilisation de la substitution chez les héroïnomanes et pour développer de nouvelles thérapeutiques des addictions. Mais il nous faut aussi prendre en compte certains excès et limites de la démarche scientifique:

La volonté d'obtenir des résultats démonstratifs amène parfois à sélectionner les sujets en fonction de leur adaptabilité au protocole de recherche et à poser des critères d'exclusion plus que d'inclusion dans certaines études. Plus graves encore sur le plan de l'éthique apparaissent ces évaluations de traitement de substitution contre placebo ou les sevrages pratiqués à l'insu des patients à doses imperceptiblement dégressives.


Les pratiques des contrôles urinaires dans le suivi des traitements peuvent avoir des effets négatifs tels que l'arrêt du traitement ou l'aggravation des abus de toxiques lorsqu'ils ne sont pas suffisamment expliqués ou pas utilisés à bon escient.

L'augmentation spectaculaire du nombre de CRT dans les publications scientifiques et médicales serait-elle le signe d'un appauvrissement qualitatif de nos capacités d'invention au profit d'un accroissement quantitatif de connaissances standardisées et uniformisées?

 

On connaît déjà ce type de critique adressée le plus souvent aux effets de la modernité. Chacun devra s'y faire sa propre opinion..

Maintenance ou sevrage dans le traitement des addictions aux opiacés? La réponse est clairement pour les tenants de l'EBM, en faveur des traitements à long terme, leurs travaux renforcent les thèses en faveur de la substitution de maintenance plutôt que pour les objectifs de sevrage et d'abstinence. Les recherches à venir dans les neurosciences paraissent très prometteuses, tout particulièrement dans le domaine de la génétique pour tout ce qui concerne les addictions et leurs traitements.

Certains prétendront que nous entrons dans une période où les connaissances scientifiques vont supplanter les croyances qui dominaient les pratiques de traitement de la toxicomanie, mais n'oublions pas que tout notre savoir sur la biologie ou la génétique ne résume pas l'individu usager de drogues et que celui-ci aura toujours le rôle déterminant pour aller vers la santé et l'équilibre dans sa vie.

De ce point de vue, le débat entre abstinence et maintenance perd de son intérêt, cependant il faudra continuer à lutter contre trois tabous qui persistent à propos d'un accès plus libre à la substitution, de la question de la durée du traitement, et de la recherche d'un dosage adapté lorsqu'un tel traitement est institué..

Retour en haut de page