Retour à Penser ensemble les prises en charge
Retour par MOTS CLÉS :
Prise en charge hospitalière ; Substitution ; Travail en Réseau ;

ADAPTATION DU CADRE ET DES SOINS D'UNE STRUCTURE HOSPITALIÈRE D'ADDICTOLOGIE AUX PATIENTS ADRESSÉS
PAR DES CSST
Dr Laurent MICHEL, Dr Nadine MEUNIER, Limeil-Brévannes (94)

Le Flyer N°38, Décembre 2009
 
Présentation de la structure hospitalière d'addictologie Emile Roux
Le service d’addictologie de l’hôpital Emile Roux (Limeil-Brévannes, Val de Marne) est une des structures hospitalières de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, spécialisée en addictologie. Il comporte 24 lits d’hospitalisation complète dont 12 de court séjour et 12 de soins de suite et de réadaptation. Ces derniers permettent de prolonger certaines hospitalisations jusqu’à 3 mois. Les patients y sont hospitalisés pour des sevrages à tous produits, des mises en place de traitement de substitution et un travail sur la prévention de la rechute qui peut être prolongé lorsque l’état clinique du patient le justifie ou qu’un départ en post-cure est programmé.
Historiquement, ce service a d’abord été un service d’alcoologie. Il a progressivement accueilli des patients consommant d’autres
 
produits associés à l’alcool, de façon problématique ou pas, puis des patients poly-toxicomanes, pour finalement devenir un service d’addictologie à part entière accueillant tout type de sevrage. Il comprend également une activité de consultation importante et un hôpital de jour en plus de l’hospitalisation temps plein.
Les patients admis en hospitalisation sont soit des patients suivis par des médecins consultants du service, soit sont adressés par des structures de soins ou praticiens libéraux (ils sont alors vus en consultation préalable au moins une fois afin de leur présenter le cadre d’hospitalisation et préciser les objectifs de prise en charge) et pour certaines structures ayant un partenariat ancien avec nous, l’admission se fait sur dossier (faxé).
Retour en haut de page
Questionnements sur le cadre de soin et enquête auprès des CSST
Avec l’élargissement du recrutement à l’ensemble des pratiques addictives, l’équipe a rencontré des difficultés plus importantes avec certains patients, souvent identifiés comme poly-usagers problématiques de substances psycho-actives. Ces difficultés se traduisaient au niveau institutionnel, conduisant fréquemment à des exclusions ou des sorties prématurées à la demande du patient.

Sur un plan institutionnel, notre structure étant habilitée à effectuer des sevrages complexes, différentes questions pouvaient en découler :

> notre niveau d’exigence est-il trop élevé ?
> nos soins sont-ils adaptés à ce type de patients ?
> un travail de préparation plus important est-il nécessaire ?

 

Une proportion notable de ces patients nous étant adressée par des médecins de CSST de la région parisienne, nous avons réalisé une enquête auprès de ceux nous ayant adressé des patients en 2007 afin d’obtenir quelques éléments de réponse.

Cette enquête de pratique, que nous détaillons ci-dessous, a pour objectif d’initier une réflexion institutionnelle au sein de notre équipe de soin, mais aussi au sein de la collégiale d’addictologie de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, sur l’adaptation de l’organisation des soins aux besoins des populations concernées, en évolution constante.

Retour en haut de page
LES EXCLUSIONS
En 2007, 265 patients ont effectué 283 séjours (hospitalisation temps plein) dans le service. La moitié (49 %) présentaient (et avaient présenté dans le passé) exclusivement un problème avec l’alcool.

Parmi les 283 séjours, 47 séjours (et 44 patients) ont concerné des patients adressés par 19 CSST, soit 17 % de l’ensemble des séjours. Près d’un tiers (30 %) de ces patients adressés par les CSST ont été exclus (en moyenne après 13,5 jours d’hospitalisation) contre 10 % pour les autres patients :
 
- 15 % en raison de consommations de substances psycho-actives dans le service, soit deux fois plus que les autres patients (7,5 %). Il s’agissait le plus souvent d’alcool, puis de cannabis et plus rarement d’opiacés.
- 15 % pour des motifs institutionnels (fugue, bagarre, violence) ou de prise en charge (non adhésion aux soins), soit 8 fois plus que les autres patients (2%).
Par ailleurs, 20 % des patients adressés par les CSST sont sortis prématurément à leur demande (après 16 jours d’hospitalisation en moyenne) ; il ne nous a pas été possible de calculer ce taux pour les autres patients.
Retour en haut de page
L’ENQUÊTE
 
Retour en haut de page
- Méthodologie
Un bref questionnaire (7 questions) a été envoyé par courrier postal à chaque praticien de CSST nous ayant adressé un patient au cours de l’année 2007 (un questionnaire par patient lorsqu’ils nous avaient adressé plusieurs patients au cours de l’année),
 
accompagné d’un courrier d’explication et d’une copie du compte-rendu de l’hospitalisation (à titre de rappel). Parmi les 44 questionnaires initialement adressés (correspondant à 44 patients et 47 séjours), 33 nous ont été retournés par 20 médecins différents (taux de réponse de 75%).
Retour en haut de page
- Résultats

La synthèse des réponses est la suivante :
• L’hospitalisation a-t-elle répondu
> A vos attentes : Oui : 80% Non : 20 % non réponse : 6
> A celle du patient : Oui : 74 % Non : 26 % non réponse : 10


La deuxième question repose sur une estimation faite par le praticien et non sur un avis direct pris auprès du patient, ce qui explique le taux de non réponse élevé.

• Pensez-vous que, suite à cette hospitalisation, la situation du patient se soit améliorée ?
Oui : 73 % Non : 27 % non réponse : 3

• Votre patient a été exclu, pensez-vous que cette exclusion ait influencé négativement son devenir ? (n = 9)
Oui : 33 % Non : 67 %

• Votre patient est sorti prématurément à sa demande, pensez-vous que cela ait influencé négativement son devenir ? (n= 7)
Oui : 14 % Non : 86 %

• Pensez-vous qu’un travail plus important de préparation, avant l’hospitalisation, pourrait permettre à certains de vos patients de mieux accepter à adhérer au programme de soins ?
Oui : 37 % Non : 63 %

 
• Pensez-vous que le cadre institutionnel hospitalier est adapté à ce type de prise en charge ?
Oui : 85 % Oui MAIS : 11 % (total = 96 %) Non : 4% (non réponse : 5)
La réponse « oui Mais » n’était pas formulée ainsi dans le questionnaire : seules les réponses oui et non étaient proposées. Plusieurs correspondants ont cependant répondu « oui » à la question tout en ajoutant un commentaire modulant leur réponse (attente d’une souplesse dans certains cas particuliers, plus d’individualisation des soins pour les patients en difficulté, pouvoir fermer les yeux lors de consommations dans le service pour certains….), raison pour laquelle cette formulation a été rajoutée dans notre synthèse.

• Notre seuil d’exigence en termes d’adhésion aux soins ou d’absence de toute consommation (de produits, ou de médicaments non prescrits) dans le service, est élevé. Estimez-vous que ce seuil devrait être maintenu pour garantir un cadre de soins structurant à l’ensemble des patients, ou au contraire être abaissé afin de limiter les exclusions ou les demandes de sortie prématurée de certains patients ?
Oui : 69 % Oui MAIS 24 % (total =93 %) Non : 7% (non réponse : 5)
Même commentaire pour le « oui Mais » que dans la question précédente.
Retour en haut de page
- Discussion
 
Retour en haut de page
> La nécessité d'adapter le cadre de la prise en charge hospitalière

Cette enquête de pratique, effectuée auprès des praticiens des CSST nous adressant des patients pour sevrage hospitalier, nous a permis d’initier une réflexion institutionnelle au sein de notre équipe de soin, mais aussi au sein de la collégiale d’addictologie de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, sur l’adaptation de l’organisation des soins aux besoins des populations concernées, en évolution constante.


La principale conclusion est que si la grande majorité de nos correspondants attribue de l’importance au maintien d’un cadre clair et contenant lors de l’hospitalisation, une partie importante également attend plus de souplesse et une adaptation du cadre pour les patients les plus en difficulté.

 
Ces difficultés, qu’elles soient sociales, liées à la sévérité de leurs pratiques addictives ou associées à des troubles psychiatriques, sont fréquentes chez les patients pris en charge dans les CSST. Cette attente est légitime mais n’est pas forcément réalisable au regard des contraintes institutionnelles. Elle pose donc la question de l’adéquation proprement dite du cadre hospitalier à certains patients et des éventuelles étapes préalables ou alternatives envisageables.
Certains patients, notamment ceux vivant dans la plus grande précarité, poly-usagers et/ou présentant des comorbidités psychiatriques, éprouvent les plus grandes difficultés à se conformer à un règlement de vie en collectivité forcément extrêmement exigeant pour eux, la simple démarche de venir en hospitalisation ayant déjà représenté un effort considérable.
Retour en haut de page
> Les attentes des praticiens de CSST
En ce qui concerne les attentes des praticiens des CSST vis-à-vis de l’hospitalisation, la majorité de ceux qui se sont exprimés estime que l’hospitalisation a répondu à leurs attentes et à celle de leurs patients, et qu’elle a entraîné une amélioration de leur situation.
Même si les échantillons sont faibles (n = 9 et n = 7), les médecins ne pensent pas que l’exclusion, et encore moins la sortie prématurée à la demande des patients, aient eu une influence négative sur leur devenir.
Une majorité des praticiens pense qu’il n’est pas nécessaire ou faisable d’effectuer un travail de préparation plus important argumentant pour certains que la précarité du patient, au moment de la demande, est telle qu’elle ne permet pas aux patients de se projeter dans la réalité de cette hospitalisation, ou bien que rien ne vaut « l’épreuve de la réalité ».
Les médecins estiment majoritairement que le cadre et le niveau d’exigence du service doivent être maintenus. Plusieurs en soulignent le caractère structurant, thérapeutique ou indispensable, pour ces patients.
 
D’autres expriment que le patient étant informé à l’avance, il lui appartient de respecter ce cadre, et que l’échec peut lui permettre d’élaborer sur ce fait.
D’autres médecins, enfin, pensent que c’est à nous qu’il appartient de définir et d’appliquer ce cadre, lequel se devant d’être cohérent et protecteur pour l’ensemble des patients hospitalisés. Cependant, une part d’entre eux, le quart, regrettent que pour certains de leurs patients qui ont été exclus, le cadre n’ait pu être assoupli, et auraient souhaité soit un accompagnement plus actif (NDLR : prévenant la cause de l’exclusion), soit une reprise de la consommation ou de la transgression, une ré interrogation de la motivation, et le bénéfice d’une seconde chance. Ils reprochent à ce cadre trop rigide d’exclure de fait les patients les plus difficiles, les plus en échec, qui ne trouvent leur place dans aucune structure.
Deux médecins (10 % des réponses) se sont prononcés catégoriquement et sans appel pour un niveau d’exigence plus bas et un cadre moins rigide.
Retour en haut de page
> La difficulté de l'exclusion et d'assouplissement du cadre
Les souhaits d’assouplissement du cadre, pour certains patients, notamment les plus en échec, font écho aux difficultés et hésitations que nous éprouvons parfois à décider et à mettre en oeuvre l’exclusion de certains patients. L’acte d’exclure, symboliquement violent, manifestation ultime de rejet par une institution censée accueillir et soigner, s’accompagne également souvent de conséquences immédiates néfastes (rejet par la famille, parfois l’employeur, retour à la rue…).
La facilité serait donc pour nous de « fermer les yeux », de faire une exception, et il nous arrive bien sûr de le faire. Cependant, nous sommes alors souvent confrontés à des difficultés :
 

> Poursuite du comportement ou de la consommation, devenant alors gênantes, voire provocantes pour d’autres patients, (eux-mêmes éventuellement en difficulté avec le produit).

> Incitation d’autres patients à consommer, en particulier lorsqu’il s’agit du cannabis, volontiers partagé avec nécessité finalement d’exclure plusieurs patients.
> Tension avec l’équipe, qui accepte également mal le « 2 poids, 2 mesures », insécurisée par le sentiment que le cadre « bat de l’aile », ressentant également l’injustice, et craignant devoir gérer des contradictions apparentes face aux patients. Le partage de la décision avec l’équipe, le travail d’information et de reprises doivent être constants et sont essentiels.

Retour en haut de page
> Le sentiment d'injustice des patients
Le sentiment d’injustice est de toute façon fréquent. Ceux qui ont été exclus peuvent ne pas l’être au même moment que d’autres ayant partagé la consommation dans le service, soulevant des interrogations aussi bien chez l’exclu que chez ceux y ayant échappé. Nous ne décidons évidemment d’une exclusion pour consommation que lorsque celle-ci nous apparaît comme certaine du fait d’une convergence d’éléments (déclaration du patient lui-même, témoignage concordant de plusieurs autres patients, produits retrouvés dans les effets personnels, toxiques urinaires ou éthylotest positifs). Dans le doute, certains échappent à l’exclusion.
 
Il nous paraît ici important de souligner que les contrôles urinaires doivent être utilisés avec la plus grande prudence, les faux positifs et les faux négatifs étant fréquents, et ne devraient pas constituer des arguments uniques pour justifier une exclusion (sauf pour les éthylomètres, très fiables).
Lorsque l’exclusion est justifiée par des d’autres transgressions du contrat ou une non adhésion aux soins, elle n’intervient généralement qu’après plusieurs incidents, et après discussion institutionnelle. La décision est alors souvent perçue comme subjective par le patient et/ou les autres patients, l’incident la motivant n’étant souvent pas plus important que d’autres, apparemment banalisés.
Retour en haut de page
> Limite de l'enquete
Enfin, il nous faut souligner que cette enquête souffre peut-être de ce que l’on qualifie habituellement de biais de « désirabilité ». Les questionnaires envoyés n’étaient pas anonymisés, étaient adressés à des
 
correspondants que nous connaissions tous personnellement, et qui malgré tout avaient besoin de préserver des liens satisfaisants avec nous. Cela a peut-être influencé leur réponse et pourrait amener à tempérer certaines réponses très favorables.
Retour en haut de page
CONCLUSION
Les patients, adressés par les CSST en 2007, ont posé effectivement plus de problème dans le service que les autres patients. Les médecins des CSST qui nous les ont adressés auraient souhaité, pour un quart d’entre eux, que nous puissions être plus souples, et en particulier plus tolérants pour certains de leurs patients particulièrement en échec et ayant transgressé le cadre.
Les résultats de cette enquête, associés au constat d’un nombre important de séjours raccourcis de notre fait ou de celui du patient, (50 % au total) nous interrogent sur nos
 
capacités à prendre en charge et nous incitent à une réflexion au sein du service, mais aussi plus générale sur de possibles adaptations de notre cadre et de nos soins.
Comment parvenir à faire du cas par cas, (et au regard de quels critères, de « difficultés particulières ») dans un service d’addictologie, accueillant 25 patients généralement fragiles, vulnérables, partageant un même lieu, des activités souvent collectives, du temps à échanger, observer… et dont le cadre se doit à notre sens d’être protecteur (vis-à-vis des produits), structurant et cohérent pour l’ensemble des patients ?
Retour en haut de page