ABSENTEISME ET SOUFFRANCE PSYCHIQUE
résumé de la conférence d’Etienne Douat
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Etienne Douat, sociologue , auteur d’une thèse sur l’absentéisme, écrite après une enquête qualitative auprès de collégiens « absentéistes », élèves scolarisés, notamment, sur Sarcelles et Villiers-le-Bel. Résumé de la conférence et des débats par E. Meunier
Correpondance, automne 2005
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L’absentéisme : émergence d’un discours sécuritaire
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L’absentéisme scolaire a toujours existé. L’école gratuite et obligatoire a, dès sa création, retenu une norme de tolérance (correspondant à 4 ½ journées d’absence par mois) afin de se concilier les classes populaires pour lesquelles l’aide et le travail des enfants étaient parfois un impératif de survie.
Ce qui est nouveau, ce n’est pas l’absentéisme, c’est la signification sociale qui lui est attribuée. A partir des années 90, l’absentéisme devient un « problème social ». En 1996, un premier colloque sur le « décrochage scolaire » est organisé.
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En 1997, le colloque de Villepinte (celui de Chevènement et de ses « sauvageons ») réinterprète l’absentéisme comme un problème de sécurité publique et pointe le fait que des enfants échappent au processus de socialisation par l’école et errent dans les rues.
En 1998, le législateur rappelle l’obligation scolaire. En 2002, la lutte contre l’absentéisme est inscrite parmi les objectifs de la loi sur la sécurité intérieure. Le principe de la suspension des allocations familiales est supprimé au profit d’une amende de 4e classe (750 €) afin de sanctionner plus sévèrement le non respect de l’obligation scolair
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Ecole et mode de socialisation |
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Ce nouveau discours sur l’absentéisme reflète tout d’abord le désarroi de l’institution scolaire face aux difficultés posées par la massification de l’accès aux études : réforme du collège unique, puis, objectif de 80% d’une classe d’âge obtenant un bac…
Les jeunes des milieux populaires, autrefois préférentiellement socialisés par le monde du travail, prennent le chemin des établissements scolaires. L’école, jusqu’ici méritocratique, doit inventer de nouvelles modalités de fonctionnement pour assurer ce travail de socialisation.
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La deuxième caractéristique de ce nouveau discours sur l’absentéisme, c’est sa tonalité sécuritaire : l’absence des jeunes à l’école effraie autant que la présence de ceux-ci dans l’espace public. L’inquiétude des élus n’est pas infondée : le monde de l’entreprise a « externalisé » sur l’école son ancienne mission de socialisation « par le travail » et on peut se demander si l’école, en difficulté pour mener les mutations qu’exige la massification de l’accès à l’enseignement, ne va pas « externaliser » cette mission… sur la ville.
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L’absentéisme : un phénomène multifactoriel
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Pour les besoins de sa cause (protéger la ville en obligeant les jeunes à aller à l’école pour qu’ils s’y « socialisent »), le discours nouveau construit une représentation univoque de l’absentéisme en le réduisant à un défi à l’autorité. L’absentéisme est expliqué par un raisonnement « substantialistes » : l’absentéisme s’explique par le fait qu’il y a des « absentéistes », c’est-à-dire des élèves insoumis à l’obligation scolaire.
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La solution serait donc de repérer ces enfants et de mettre en œuvre des mesures contraignantes pour qu’ils y retournent… L’enquête qualitative menée par Etienne Douat auprès d’une quarantaine de collégiens absentéistes permet d’éclairer la question de l’absentéisme comme « symptôme » des difficultés de l’école à intégrer des jeunes dont les modes de socialisation s’accordent mal avec le mode de socialisation dominant promu par l’école.
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Quand le lien à l’école s’effiloche
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Le premier constat d’Etienne Douat est la forte ambivalence des élèves « absentéistes » vis-à-vis de l’école. Au cours de son enquête, il ne rencontre pas de jeunes heureux d’avoir « défié » l’école. Il n’en est aucun qui nie que l’avenir passe par l’école ; aucun qui ne restitue des paroles d’adultes qui incitent à s’accrocher à l’école. Parmi les absentéistes, bien peu rompent absolument avec l’école : l’élève s’accroche à quelques cours suivis assidûment (le plus souvent dans des matières faiblement valorisées, tel le sport ou l’art). L’absent s’éloigne rarement de l’école. Il traîne à proximité.
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Il lui arrive même de « faire le mur à l’envers » pour retrouver ses copains quand sonne l’heure de la récréation Le lien à l’école est puissant et ne se rompt pas d’un coup. Il ne cède qu’après un long processus. Il s’effiloche lentement jusqu’à ce que l’élève soit dans une posture intenable : les absences génèrent la honte, la crainte des sanctions et des jugements infamants d’adultes lassés… Le courage à revenir, à se présenter et à s’excuser s’émousse. Et finalement, les absences se prolongent jusqu’à provoquer la rupture avec l’institution scolaire.
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« Dichotomie » entre des modes de socialisation
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Plutôt que de rechercher un « rejet » de l’école, il faut, selon E. Douat, analyser ces ruptures comme le reflet d’une « dichotomie » entre des modes de socialisation. Entre celui promu par l’école et ceux que produisent les modèles parentaux ou ceux des groupes de pairs.
Qu’est-ce que cette « dichotomie » ? Cette dichotomie s’observe moins au niveau des « valeurs » véhiculées par la famille, que de déterminants de base du mode de vie, tels le rapport au temps, à l’espace et au corps. L’école fonctionne dans une temporalité classique d’horaires de bureau. Or, les familles des quartiers populaires vivent, elles, dans les temporalités discontinues du travail à horaires décalés ou dans le vide temporel du chômage. L’école suppose l’acquiescement à se tenir dans un espace clos, la classe où l’on se « concentre ».
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Or les jeunes des milieux populaires ont eux des habitudes « d’extériorité » : les hommes sortent, car l’intérieur - la maison - est plutôt le lieu des femmes. L’école suppose un acquiescement à l’immobilité, celle qu’impose le respect (l’enseignant tient l’élève « en respect », et l’élève qui se meut sans y être invité fait, au moins, preuve de familiarité). Or, les jeunes des milieux populaires valorisent le « mouvement » (la danse, le sport). Le rapport à l’autorité est lui-même porteur de dichotomies : dans la famille traditionnelle, l’autorité est celle du père, qui « exerce » la loi. Outre que ce modèle d’autorité peut être en crise (père déqualifié par le chômage, père absent, etc.), il n’en reste pas moins inadapté à l’école où prédomine un mode de socialisation fondé sur « l’intériorisation » d’une loi explicitée.
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Renforcer le soutien socio-éducatif des élèves
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Rechercher la dichotomie dans les discours, les valeurs, les représentations des familles, c’est se restreindre à une explication simpliste des ruptures scolaires : elles seraient le fait de « mauvais » parents qui déprécient l’école ou qui estiment que l’école « n’est pas faite pour les gens comme eux ». Bref, les parents seraient seuls responsables, à cause de leur négativité, par laquelle ils condamneraient, plus ou moins consciemment, leurs enfants à une vie sans espoir d’avenir. Une telle explication invalide par avance toute forme d’action visant à soutenir les élèves puisqu’il faudrait d’abord transformer les « mauvais parents, mauvais pauvres » en « bons parents, bon pauvres » pour que les enfants aient la moindre chance de réussite. Le point de vue d’Etienne Douat est dynamique, car il laisse entrevoir très vite des pistes de travail.
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Prendre conscience de ce que les dichotomies se situent au niveau d’habitus offre des pistes pour un travail éducatif spécifique. Si les parents sont absents en raison de leur travail à horaires décalés ou trop dépressif pour accompagner leur enfant, alors on doit songer à aider l’enfant dans ses compétences à gérer le rythme de sa vie d’écolier : se lever seul, faire son petit déjeuner, aller à l’école, s’organiser pour faire ses devoirs, etc. Si les habitus commandent aux garçons de sortir de l’espace domestique (souvent surpeuplé), il faut leur aménager des lieux d’accueil structurants où ils puissent faire leurs devoirs... Bref, des actions éducatives visant à développer les compétences psychosociales des jeunes peuvent être efficaces.
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Mieux accompagner les enseignants |
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Mais c’est aussi en terme de soutien aux enseignants que l’exposé d’Etienne Douat ouvre des pistes. Ceux-ci, souvent jeunes et mal préparés au travail dans les banlieues, sont souvent désemparés et parfois en grandes difficultés. Réduire l’incompréhension entre enseignants et élèves est essentiel car, dans les parcours des élèves « absentéistes », observe E. Douat, il y a la blessure de s’être senti « indésirable » à l’école. Sans doute, les « injustices » des profs exaspérés et les marques de « rejet » d’enseignants lassés prennent-elles des reliefs inouïs aux yeux des jeunes. Mais la tension très réelle qui s’installe parfois entre profs et élèves provoque d’authentiques injustices et bien des rejets épidermiques…
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Les enseignants devraient se familiariser avec l’idée que la « bougeotte » de certains élèves n’est pas forcément un défi à l’autorité. Et qu’à prendre si mal la chose, ils se rendent, aux yeux de bien des élèves, tout à fait… incompréhensibles.
C’est une chose que d’expliquer qu’un cours ne peut avoir lieu si l’on n’accepte pas une relative immobilité, et de prendre les mesures qui s’imposent pour que le cours puisse se dérouler normalement. Une autre est de regarder telle gesticulation d’élève comme un affront personnel. Un meilleur soutien aux enseignants réduirait les tensions et contribuerait à prévenir l’absentéisme et les décrochages scolaires.
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Réadapter le collège
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Reste qu’il faudrait aussi mener des adaptations plus structurelles. Etienne Douat constate qu’il y a bien souvent, dans le parcours des élèves absentéistes, un pessimisme alimenté par la mise en doute de l’avenir promis par l’école. Le chômage d’un aîné pourtant diplômé, le constat amer que nombre de copains ont subi des orientations « bidons » sont les « motifs » puissants d’une déception et d’un découragement des élèves. Améliorer l’aide éducative pour que les jeunes trouvent une vraie capacité de choix lors de leur orientation serait essentiel.
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Certains absentéistes témoignent de leur désarroi causé par l’effondrement de leur résultats scolaires peu après leur entrée au collège. Des enfants qui travaillaient très correctement dans le primaire, notamment parce qu’ils étaient sensibles aux gratifications des « maîtres » et des « maîtresses », perdent leurs points de repères dans l’espace impersonnel du collège. La transition primaire-collège pourrait être repensée et conduire à des aménagements de fonctionnement dans le primaire et au collège.
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Absentéisme et « souffrance psychique »
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L’étude d’Etienne Douat remise les politiques autoritaires et récuse leur simplisme : elles seraient efficientes, si un « rejet » effectif de l’école pouvait être constaté. En fait, il est question de dichotomie entre des modes de sociabilité de l’école et nullement « d’insoumission » à l’école. Il ne s’agit pas, ici, de nier, qu’à la marge, certains absentéistes sont effectivement « en rupture », par exemple, impliqués dans des « bizness » qui les occupent « à plein temps ». Mais l’équation absentéisme = insoumission à l’école est fausse et improductive. Les discours qui cherchent à pathologiser le comportement des absentéistes en recherchant des causes « psychologiques » ne sont guère plus pertinents. Sans doute, les absentéistes, sont-ils bien souvent en souffrance psychique. Mais ce comportement n’est nullement en soi révélateur d’une « psychopathologie » de l’enfant ou de membres de sa famille !
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Emmanuel Ryo, CPE et modérateur dans le débat, notera à ce propos qu’il discerne des problèmes plus graves chez des enfants qui ont des absences répétées et « excusées », tels ces enfants qui, vivant dans la dépression de leurs parents, sont trop angoissés à l’idée « d’abandonner » ceux-ci ne serait-ce que pour quelques heures de cours… Des enfants en très grande souffrance peuvent aussi bien surinvestir l’école, trouvant là un peu de paix et/ou par des résultats honorifiques un moyen de re-narcissiser leurs parents. Si les élèves absentéistes sont des élèves en souffrance c’est principalement en raison de leur relative inadaptation à l’école. Inadaptation qui doit nous permettre de mesurer le déficit de travail socio-éducatif pour les aider à gérer les contraintes de la vie scolaire, à mieux comprendre le sens des règles de base qui conditionnent son bon fonctionnement, ou encore en terme d’aide aux familles pour qu’elles puissent mieux soutenir leur enfant.
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